28 mars, 2020

Utilité !

Mais pour qui il se prend ce psy ? Non mais !


Cette crise a pour mérite de constater que pour faire tourner un pays il existe des gens indispensables et d'autres non. On a évidemment parlé des soignants mais on constate que les routiers et les éboueurs se révèlent plus indispensables que les conseils en stratégie d'Accenture ! Je me posais d'ailleurs la question consistant à me demander ce qui pouvait se passer dans la tête d'un jeune consultant surpayé qui constate qu'en cas de crise, il ne sert à rien et que pire, on lui dit même de se mettre à l'abri pour ne pas gêner les autres ! 

Est ce qu'il a envie de faire comme Jean Gabin durant la seconde guerre mondiale qui s'engagea dans l'armée pour ne pas avoir à souffrir la paix revenue de l'étiquette de gros planqué. C'est vrai qu'après avoir joué Pépé le Moko, courir se planquer à Hollywood relevait de la supercherie. Est-ce qu'un consultant surpayé se dit aujourd'hui que lui qui paradait hier aux terrasses ou en voiture, est aujourd'hui un inutile ? Rêve-t-il d'être "mobilisé" dans quelque service civique pour soulager les employés des grandes surfaces ou les éboueurs rien que pour dire le calme revenu, qu'il a été utile ?

A moins que pris de remord, il ne se fende d'une somme plus importante lorsqu'au moment des étrennes, les éboueurs et les pompiers viendront lui vendre leurs calendriers ? Peut-être daignera-t-il se fendre d'un pourboire auprès du livreur qui lui apportera ses colis Amazon ? Est-ce que les crises comme celle que l'on vit actuellement permettent de guérir la sociopathie ordinaire ? Voilà une bonne question.

Il va sans dire que je m'en prends aux consultants dans leur ensemble mais que j'en connais de très bien. Mais que voulez vous le dégoût et la haine pour être efficaces ne peuvent être que collectifs. 

Je me suis posé la même question à propos des services que j'offrais. Il va sans dire que la première semaine, le nombre de rendez-vous que j'avais s'est effondré. Les gens paraient au plus pressé, à savoir comment s'organiser et comment faire face à une éventuelle pénurie, puisque tout le monde se précipitait dans les supermarchés. Et puis il y avait ceux qui désertaient Paris pour s'établir dans des résidences secondaires et enfin d'autres que le confinement rend moins loquaces puisqu'il devient compliqué de parler de ses problèmes de couple quand le conjoint risque de coller l'oreille à la porte.

Peut-être aurais-je pu continuer à aller à mon cabinet et à recevoir les patients quitte à leur faire des attestations en cas de contrôle. Mais à quoi bon ? Comment m'occuper entre les séances ? Comment meubler mon creux du débit d'après midi maintenant que le cafing m'est interdit puisque les terrasses sont interdites. Je n'aurais même pas eu le loisir d'attendre sur un banc avec un livre puisque c'est interdit alors autant fermer et consulter par Skype, Whatsapp ou FaceTime. 

C'est vrai que je ne fais pas dans l'urgence et que je traite principalement des crises de vie. L'expérience nous enseigne d'ailleurs qu'en période de guerre, on va au plus pressé, on tente de survivre et de manger et on se demande moins si c'était grave que dans notre famille on ne se soit jamais dit "je t'aime".

Pourtant j'ai conservé la moitié de mes rendez-vous. Ils me sont restés fidèles non qu'il y ait eu une urgence pour la plupart d'entre eux mais que nos rendez vous hebdomadiers ou quinzomadaires soient pour eux des repères rassurants. Ils me parlent de leurs soucis habituels, de ceux d'avant le confinement et ils font comme si tout cela n'existait pas. Je joue le jeu. Bien sur que l'on aborde aussi la crise que l'on vit mais on se concentre sur ce qui les motivaient avant le virus, quand le monde était normal et qu'on était insouciant. Je suis un peu une fois par semaine, un Radio-Londres rassurant, un amer dans une mer formée (je refuse de parler de tempête) qui leur montre que la terre est toujours la, pas si loin que cela. 

Quand on se parle c'est comme danser sous les V1 et les V2 à Londres oserais-je dire en étant dune prétention extrême ; on maintient un semblant de normalité, on met le temps en suspens et on pense à l'après. Je leur suis utile et je me sens utile, c'est agréable mais je crois que j'ai souvent insisté sur le fait que les patients apportaient bien plus que des honoraires. 

La semaine suivante j'ai aussi eu beaucoup de nouveaux ou d'anciens patients qui m'ont appelé pour faire face aux crises d'angoisse. J'aime bien les crises d'angoisse. Non que je sois un monstre ou un sadique mais c'est là que l'on doit faire preuve d'adresse. On sent que la personne en face de soi décolle et que "sur âme pour d'affreux naufrages appareille" comme dirait Verlaine, et on doit être rassurant sans être lénifiant. 

L'angoisse est le phénomène le plus irrationnel que je connaisse ; elle prend des éléments de réalité pour broder un roman tragique. Mais cela se traite plutôt bien même à distance. Non, on ne vas pas tous mourir, non on ne sortira pas dans un pays en ruine en proie aux bandes ! 

C'est vraiment bien de se sentir utile dans ces temps troublés. Rassurez vous je reste modeste et je sais que je ne suis pas anesthésiste-réanimateur en train de sauver des vies. Mais si par ma présence, mon calme et mes certitudes inébranlables de pessimiste-optimiste j'ai permis à certains de traverser avec plus de confort cette période j'en suis ravi.

J'aurai apporté à défaut d'une pierre, un petit caillou à l'édifice. 

2 Comments:

Blogger Élie said...

Nous allons vite avoir une idée plus précise de l'utilité de certaines professions si les routiers exercent leur droit de retrait à partir de lundi.
Pour ce qui est des éboueurs, leur mouvement de grève de cet hiver nous a déjà montré les conséquences de leur absence ... je n'ose même pas imaginer s'ils exerçaient leur droit de retrait dans le contexte actuel !

29/3/20 3:18 PM  
Blogger cmosorchestra said...

Jean Gabin était un bon acteur, mais je lui préfère largement Henri Virlogeux.

29/3/20 9:33 PM  

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