22 février, 2007

Nettoyage de printemps ! A dégager ! Vive la liberté !

Liberté efflanquée vaut mieux que gras esclavage.
Thomas Fuller, physicien anglais, 1652-1734


D’abord, j’aimerais vous soumettre deux questions :

Peut-on dégager un patient qui nous emmerde ?
Est-il possible d’apprendre à jouer du piano à tout le monde ?

Je ne sais pas ce que vous répondriez, mais moi à ces deux questions je réponds « oui ». Oui, il est possible et même souhaitable de dégager un patient qui nous emmerde. Et, oui, tout le monde peut apprendre à jouer du piano. Bien su,r je reste persuadé que le talent st quelque chose d’inné, une sorte de disposition avec laquelle on naît. Mais je suis aussi certain, que tout un chacun, peut en trois ans, pourvu qu’il y mettre une certaine assiduité, devenir un honnête pianiste de bar capable d’exécuter la plupart des standards de jazz et des morceaux de variété.

Pourquoi lier ces deux questions me direz-vous ? Simplement, parce que tout comme le piano, la réussite en thérapie n’est pas liée à un niveau d’instruction ou à un niveau d’intelligence : on peut être très moyen et réussir. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

Il m’est arrivé plus jeune de donner quelques cours de piano, et j’avoue que j’ai toujours été motivé non par le talent de l’élève mais plutôt, par son engagement, sa motivation à réussir. En thérapie, c’est pareil, je reste toujours disponible et prêt à monter sur le ring, pour ceux qui se donneront la peine de persévérer. Je pense qu’il fait partie de mon métier d’encourager la motivation, notamment face aux patients particulièrement déprimés, mais parfois, celle-ci restera absente, quelques soient mes efforts. Et dans ce cas, je reste durant des mois face à quelqu’un qui vient, de manière plus ou moins assidue, me parler ou plutôt s’écouter, geindre, se plaindre, me livrer ses considérations souvent très connes et immatures sur la vie. Et moi j’écoute et je prends le blé à al fin de la séance.

C’est totalement déprimant, parce que d’une part j’ai l’impression de voler le patient, ça à la limite je m’en fous, mieux vaut que son fric soit dans ma poche que dans la caisse d’un mauvais restau branché. Mais le pire, c’est que lorsque je vois le monsieur ou la dame pérorer, je comprends, que ce type de patient n’a rien compris à ce qu’était une thérapie. Qu’il reste persuadé qu’une thérapie, c’est comme à la télévision, dans les films, où un mec écoute en faisant des « hmm-hmm » entendus, tandis qu’un patient donne dans une logorrhée merdeuse et insignifiante, dans laquelle surnagent parfois quelques morceaux intéressants.

Pour moi, ce monologue narcissique, n’est pas de la thérapie, du moins pas au sens où je l’entends, c’est à dire un exercice philosophique donnant du sens à nos expériences malheureuses, afin de grandir, c’est du n’importe quoi et ça me fait chier. Je ne saurais pas vous dire pourquoi cela m’emmerde d’écouter cela. ? Comme d’habitude, plutôt que de creuser en moi, j’en rendrai responsable mon ascendant bélier qui doit me donner un petit côté martial. Donc, ce genre de thérapie m’ennuie, ça n’a ni queue ni tête, et j’ai l’impression de devenir une sorte de cuvette de chiotte dans laquelle un patient déverse son trop indigestion.

A la limite, je pourrais me calmer et me dire, que je me fais du blé facile. Mais non, je déteste cela. Pas me faire du blé facile, non, ça c’est plutôt sympa. Non, ce que je déteste, c’est de voir le peu de valeur que m’attribuent ce genre de patients. Et encore, cela serait ma propre valeur, je m’en foutrais car on est forcément le con de quelqu’un. Non, ce qui m’ennuie, c’est le peu de cas que ce genre de patients, puissent faire de ma profession, des connaissances que j’ai pu acquérir, qu’elle ne puissent pas les utiliser plus utilement qu’en jouant à « je vais chez mon psy et je vais bavasser comme dans les films ». Il faut un minimum de respect, sinon, comme diraient les psychanalystes, y’a un mauvais contre-transfert qui s‘établit. Durant quelques temps, le blé qu’on me file amoindrit ma douleur, mais à force, j’ai envie de cogner, et de mettre des claques. Il faudrait réellement qu’on me file mille euros de l’heure pour que je puisse supporter ces bavardages stupides.


Bon, tout ceci pour vous dire quoi ? Que le temps est clément. A Paris, il fait 14 degrés, on se croirait au début du printemps. ? Et dans mon jardin, les forsythias sont en fleurs ! Et que fait-on au printemps ? Allez vous le savez tous ! On fait le ménage !

Donc la semaine dernière, j’ai commencé à faire le ménage. J’ai commencé par un beau spécimen, une emmerdeuse qui en plus me réclamait des rendez-vous super tôt le matin, alors que je ne suis pas du matin. Et semaine après semaine, j’ai enduré ses babillages stupides. Des dizaines de fois, j’ai proposé des pistes, des choses à faire, des modifications à envisager. Mais mon cul, pareil que pisser dans un violon, elle ce qu’elle veut c’est parler et après aller bien. Comme si parler servait à aller mieux ! Ca se saurait !

Et la séance dernière, ne voilà-t-il pas qu’elle ose me dire que son médecin, un abruti qui la blinde d’antidépresseurs et d’anxiolytiques depuis des mois, trouve qu’elle ne progresse pas et qu’il lui faudrait peut-être voir un psychiatrE. Bon, je lui réponds que déjà si le psychiatre qu’il lui propose est aussi doué que lui, ça ne pas être utile. Deuxièmement, je lui explique qu’elle n’a rien de grave mais que venir me voir, c’est un peu comme prendre des cours de piano. Que je ne suis pas chien, que je comprends qu’on ait aussi d’autres choses à faire dans la vie mais que si elle espère réussir à jouer du piano en approchant jamais d’un clavier et en venant au cours en parlant de musique sans en jouer, qu’il y peu de chances, à moins d’un gros cierge à Sainte Rita patronne des causes désespérées, qu’elle parvienne à des résultats probants. Je lui explique ensuite que nous avons déjà eu cette explication dix fois ensemble et que cela n’a servit à rien mais qu’après tout, c’est sa vie. Elle se décompose, et elle qui me connaît soucieux d’elle, se demande où va la conduire la liberté de ton que j’adopte.

"L'exigence de liberté est une exigence de pouvoir"
John Dewey, philosophe anglais (1859 - 1952)


Elle s’entête. Alors je lui propose de me régler et d’en rester là en lui expliquant que devant le manque de collaboration et d’engagement thérapeutique qui existe, il ne sert à rien de poursuivre car nous perdons tous les deux notre temps, et elle son argent. Qu’il ne manquait de psychanalystes prêts à l‘accueillir. Que bien sur, le jour elle aurait envie de faire quelque chose, et non de bavasser stupidement, mon cabinet lui sera grand ouvert. Putain, elle la grande gueule, exerçant de hautes responsabilités dans une entreprise connue, toujours à me tenir tête et à pinailler, je l’ai vue médusée, défaite, sur le cul. On n’avait pas du lui parler comme cela depuis des années. Je lui ai donné deux adresses de sites Internet où elle pourrait me trouver un remplaçant. Après on donne son manteau à la dame, on la pousse gentiment vers la porte. Et, dehors et à bientôt peut-être mais à mes conditions. Et comme il me reste vingt minutes avant la séance suivante, je prends mes clopes, mon manteau et je file me prendre un petit café et lire le Parisien.

Ca m’a fait tellement de bien, que j’ai réitéré cette semaine. J’en ai encore viré quatre, dont une qui n’a eu le temps que de faire deux séances. Hop à dégager. Demain, je vois mon banquier pour lui dire que durant quelques temps, il y aura une baisse de mes revenus et qu’il m’augmente mon découvert autorisé.

Pauvre mais libre, putain que ça fait du bien. De toute manière, je suis meilleur coach et entraîneur que psy. Bon, il me reste à me refaire une clientèle. Mais je compre plutôt diversifier la source de mes revenus. Cela me permettra de choisir ma clientèle. Etre libéral sans choisir, c’est atroce. La liberté, c’est avoir le choix et pour moi, c’est un bonheur extrême, celui de bien vivre.

«Personne ne se soucie de bien vivre, mais de vivre longtemps, alors que tous peuvent se donner le bonheur de bien vivre, aucun de vivre longtemps.»
Sénèque, Lettres à Lucilius.


Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage.
Périclès, homme politique grec, Vème siècle avant J.C.