21 avril, 2007

Journée de formation ! Application immédiate !


La formation donnée pour le compte de Sean s’étant fort bien passée, je n'aurai pas à fuir en Patagonie. C’était une formation sur la communication efficace et la gestion de conflit, construite sur la base des styles sociaux. J’ai déjà rédigé des articles sur le sujet.

J’arrive donc le matin, passablement tendu. Sous mes dehors primesautiers, je suis quelqu’un de sérieux et j’ai une grande conscience professionnelle. Mon abruti d’associé, ayant préféré aller skier la semaine passée, je trouve que nous n’avons pas suffisamment répété et je ne me sens pas vraiment fin prêt. Bon, il me restera la possibilité de faire du show et des improvisations, mais je n’aime pas ce manque de préparation.

Quand je parle d’associé, il ne s’agit pas d’un véritable d’associé. C’est un type qui a une boîte de conseil, avec qui je bosse pour certains types de formations à dominante psy. Dans les faits, j’écris la formation, il fait les slides sur Powerpoint, il se charge ensuite des merdes administratives et techniques, et on se partage la thune. Il m’a proposé plusieurs fois de rentrer dans le capital de sa société, ce que j’ai toujours décliné. D’une part, je préfère être libre, d’autre part, si je devais m’associer, je ne le ferais pas avec ce type.

Je le surnomme le chacal, bien qu’un chacal soit plus franc que lui. Je ne sais pas à quel animal il pourrait ressembler. Agé de cinquante ans, c’est un type complexé, pas très franc, assez manipulateur : une bête vicieuse que n’importe quel fermier abattrait d’un coup de fusil. Il adore travailler avec moi parce que j’ai une culture encyclopédique et une assez grande gueule, et que je le fais rire. Secondairement, il est tellement persuadé de sa profonde intelligence de cadre sup, qu’il me prend aussi pour un bon gros gars gentil qu’il est persuadé de manipuler.

Il n’est pas idiot mais tellement complexé, que plutôt que d’admettre ses limites, il tente de surcompenser d’une manière un peu ridicule, en devenant d’une rare suffisance dans le genre de la grenouille de la fable de La Fontaine. Je pense que 99% des gens qui le rencontrent doivent avoir envie de le baffer.

En plus, il n’est pas très beau. Il est petit, les épaules creuses, surmonté d’une assez vilaine tête chafouine avec un regard torve. Plutôt maigre, il est affublé d’un ventre proéminent et s’habille comme un sac en prenant même le risque de porter des chemises blanches avant dix-sept heures, ce qui est le comble de la cuistrerie. Le pire reste toutefois le petit bruit qu’il fait perpétuellement avec le nez. Ce n’est pas un vrai reniflement mais un petit bruit étrange de déglutition nasale, avec lequel il ponctue ses phrases. C’est assez dégoûtant et j’ai à chaque fois l’envie de l’envoyer chez un ORL ou de lui dire de se moucher et d’arrêter d’être sale.

On pourrait évidemment se demander pourquoi je m’affuble d’un tel associé ? Dans les faits, je suis créatif et plein d’allant et j’adore travailler avec des gens plus carrés qui pourront me canaliser. C’est exactement ce qui se passe avec lui. Issu d’une grande multinationale, il y a acquis des méthodes de travail efficaces dont je bénéficie en retour. Accessoirement, je déteste les tâches administratives, dans lesquelles il excelle. Et comme, j’adore me la péter en jouant la « vedette », il est parfait pour jouer mon agent, même s’il faut constamment surveiller qu’il ne tape pas dans la caisse, parce qu’il est plutôt malhonnête, n’hésitant jamais à remettre un accord pour tenter de me piquer du blé sous des motifs divers. Comme il est très lâche et craint par dessus-tout les deux cousins de mon épouse, Ange et Dominique, il ne m'a jamais encore arnaqué malgré son envie.

Et puis, comme je suis gentil, et que je n’ai pas choisi mon métier pour rien, j’ai tendance à l’excuser et à lui trouver des bons côtés et évidemment, des excuses. Quand on travaille ensemble, on passe aussi quelques bons moments qui me font oublier sa traîtrise congénitale. Et puis, c’est aussi un mec pratique. Par exemple, hier, tandis que j’allais boire un café avec Sean, en attendant le début de la formation, mon cher associé, s’est tapé le déchargement du matériel (portable, écran, vidéo projecteur) et son installation. A la fin de la formation, ce fut pareil, tandis que je buvais une Leffe en terrasse avec Sean et quelques participants à cette formation, lui s’est tapé l’inverse, rangeant la salle, et ramenant le matériel dans sa voiture. Sean rigolait en me disant qu'il allait lui dire de passer le balai. C’est assez pratique finalement et c’est ma manière de lui montrer que je ne suis pas le bon gros garçon qu’il imagine.

D’ailleurs puisque nous ne sommes pas associés, donnons lui un prénom et appelons le Gérard.

Je dois avouer que Sean déteste Gérard. Je pense même qu’il rêve de lui taper sur son vilain museau. Sean étant assez dominateur, il ne supporte pas que l’autre crétin suffisant vienne lui mettre trois gouttes d’urine sur son territoire. La signature du contrat entre Sean et Gérard fut assez homérique. Comme, je ne suis qu’intervenant dans ces formations, travaillant pour le compte du cabinet de Gérard, c’est ce dernier qui signe les contrats. La dernière fois, Sean est donc venu signer le contrat de la formation.

Cela s’est fait chez moi. Sean lui a fait un show tellement convaincant, que quand j’ai raccompagné Gérard à ma voiture, il en tremblait encore. Il m’a dit que mon ami était fou et qu’il n’avait pas l’habitude d’être traité de cette manière là. Ce à quoi je lui ai répondu, qu’il n’était pas fou mais slave, et qu’il montait dans les tours facilement et que vu, le montant totalement dispendieux qu’il nous payait, je trouvais bienvenu qu’il le laisse faire son show sans s’en offusquer. Je crois que ce que Gérard n’a pas aimé, c’est quand Sean lui a dit que cela le faisait chier de relire le contrat mais que de toute manière si « il voulait l’enculer, y’aurait pas de tribunaux et qu’il viendrait lui brûler sa maison ». Bien sur Sean n’aurait pas fait cela, mais il est tellement convaincant quand il joue le « slave fou » que Gérard a tout gobé.

Alors, voilà la formation a eu lieu. Ce ne fut pas parfait notamment au début, simplement parce qu’on n’avait pas répété comme je l’exigeais. Gérard le suffisant était si sur de lui qu’on a fait quelques erreurs en étant trop verbeux. Mais, comme je m’entends bien avec les gens, tout s’est finalement bien passé et on a rattrapé le coup. Je pense avoir apporté pas mal de valeur ajoutée avec des très belles improvisations. Je ne suis pas totalement satisfait mais je suis « plutôt satisfait », cela méritait un seize sur vingt. Les participants ont été ravis et Sean aussi. Mais bien sur il a fallu que Sean se paye Gérard devant tout le monde.

A la fin de notre exposé, Gérard a demandé ce que Sean avait pensé de la formation. Sean aurait pu être cool mais Gérard a commis une grosse erreur.

Sean explique ainsi que c’était vraiment intéressant mais qu’il trouvait juste que cela manquait un peu de jeux de rôle et de cas pratiques. A ce moment, au lieu de laisser continuer Sean qui n’aurait rien dit de méchant, il a fallu que Gérard joue le beau en tentant une objection. Je revois encore la scène comme si j’y étais. Sean parle, et d’un seul coup Gérard lève les deux mains, paumes ouvertes pour contrer les arguments de Sean. Sean déteste Gérard et Sean n’est pas le genre de mec à qui on coupe la parole impunément. Alors Sean, voit rouge et c’est assez drôle parce qu’on se rend compte quand Sean va s’emporter et massacrer l’interlocuteur. Et il a eu les mêmes mimiques !

Gérard a donc levé les mains, comme un petit professeur demandant à un élève turbulent de se calmer. J’ai senti immédiatement l’énervement de Sean. Sean a baissé son énorme tête carrée, en regardant Gérard par en dessous, avec l’œil toujours aussi bleu mais très mauvais. Il a commencé à balancer doucement sa grosse tête sans doute en se demandant qui était cette tête de noeud qui osait l’interrompre. On aurait cru que de la vapeur allait souffler par ses naseaux. Et Sean a chargé détruisant Gérard. Gérard s’en est pris plein la gueule et Sean lui a rappelé que c’était lui qui payait et que quand il payait il voulait exactement ce qu’il demandait et qu’il n’aimait pas qu’on discute ses ordres. J’étais mort de rire. D’autant plus que nous venions de faire un exposé sur la communication efficace et que Gérard parle donc de choses qu’il n’applique pas, parce que pour foutre Sean dans une telle rage, Gérard n’a pas été super efficace du point de vue « communicationnel » comme on dit maintenant.

Je les ai laissé s’engueuler et l’assaut a été bref parce que Gérard a pris immédiatement sa branlée. Ce gros buffle de Sean a chargé, transperçant les deux mains, que Gérard levait en signe de protestation, de ses cornes avant de le planter contre le mur. J’ai regardé la charge, j’ai failli faire « ollé » mais je n’ai rien dit. J’ai juste expliqué aux participants que c’était là un joli cas pratique pour conclure, et qu’on venait d’assister à un conflit entre un promouvant (Sean) et un analysant (Gérard) et que dans ce cas, l’analysant avait intérêt à se planquer.

Mais finalement, comme Sean est un mec sympa et pas salaud, il nous a repris une seconde journée de formation, payée super cher pour faire des cas pratiques. Gérard était blanc et tremblait un peu parce que je pense qu’il a eu très très peur de la réaction de Sean. Il démontait son matos sans rien dire, c’est pour cela que je me suis éclipsé pour aller boire une Leffe avec Sean et ses collègues : je pense que Gérard devait reprendre son souffle. C’est super dur de dégager du ring au premier round. C’est un peu la loose.

Et puis après il m’a expliqué qu’il avait été sympa parce que son envie première avait été de mettre son poing dans la gueule de Gérard mais qu’il s’était contrôlé. Alors il m’a dit un truc qui m’a fait super plaisir :

« Tu vois ta formation sur la gestion des conflits, j’ai immédiatement commencé à l’appliquer avec l’autre con ».

C’est bien de faire des trucs utiles, des formations immédiatement opérationnelles. Grâce à moi, Sean blesse grièvement mais il ne tue plus !

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

Après le chien Rantanplan, le buffle Sean et le chacal Gérard. Les péripéties de ce bestiaire m'enchantent et ce blog est un régal.
Vivement la suite!

NB: Finalement, la statue équestre, il faudrait peut être l'envisager sérieusement… ;-)

22/4/07 1:21 AM  

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