Tous victimes de préjugés ! Défendons-nous !

Alors, citons des chiffres. Près de trois cents cinquante mille personnes dans le monde, dont six-mille français seraient hémophiles. L'hémophilie est une maladie génétique affectant la coagulation du sang. Jusque là, tout va bien. Personne n'ignore généralement ce qu'est l'hémophilie. Et ceux qui sont allés à l'école, se souviennent même que cette pathologie affectait le tsarévitch Alexis Nicoaevitch de Russie (photo ci-dessus), fils du Tsar Nicolas II. On explique même que cette maladie développa chez sa mère un mysticisme qui favorisa les intrigues de Raspoutine. Voilà ce qu'on peut en dire.

Curieusement, rentré chez moi, j'allume la télévision pour me mater un petit DVD. Je tombe alors sur un publicité curieuse montrant un jeune éphèbe nu et bouclé sortant d'un boîte et se livrant à une pantomime mièvre et outrée, dont l'histrionisme le dispute au ridicule. Et alors que je ne vois pas où ils veulent en venir, une voix off m'apprend qu'il s'agit d'une publicité pour la journée mondiale de l'hémophilie du 17 avril.

Le slogan est le suivant : "90% des français pensent que si un hémophile se coupe il se vide de son sang, c'est faux. Le 17 avril est la journée mondiale de l'hémophilie. Luttons contre les préjugés pour mieux comprendre cette maladie".

Journée Mondiale de l'Hémophilie 2008

Que dire après un tel ramassis d'aneries ? S'agissant des préjugés, je trouve la formule stupide. La notion de préjugé, utilisée en psychologie sociale est "une opinion adoptée en l'absence d'information ou de pratique suffisante".

Le préjugé est donc le point de départ nécessaire à toute acquisition de connaissance. Par la suite, l'apprentissage permet de corriger éventuellement ces préjugés à l'aune de l'expérience. Toute connaissance du monde doit nécessairement prendre appui sur un a priori, ne serait-ce que la confiance accordée au moins provisoirement à un formateur. Nous avons donc tous des préjugés. Il est idiot de les combattre car certains préjugés sont justes tandis que d'autres seront outrés soit dans un sens défavorables soit dans un sens favorable.

Tout le monde ayant des préjugés, il s'ensuit que 90% des français racontent ou pensent n'importe quoi à propos de n'importe quelle pathologie. C'est normal puisque dans une écrasante majorité, les français ne sont pas tous médecins. Moi-même, pourtant puit de culture incontesté (mes patients me surnomment avec respect "Amazone de la pensée"), il m'arrive de ne pouvoir répondre à certains patients, à qui je conseille de s'adresser à leur médecin. Par ailleurs, les médecins eux-mêmes ont des préjugés. Régulièrement, je m'oppose à leurs diagnostics hâtifs en matière de psychopathologie. C'est normal puisque plus de 90% des médecins ne sont ni psychiatre, ni psychologues.

Poursuivons en affirmant que 90% des français pensent tout un tas de bêtises à propos de tout un tas de sujets divers. C'est assez logique puisque rares sont les gens spécialisés en tout ! Les gens ont donc pour les sujets qu'ils ne maitrisent pas de simples opinions. Ces opinions sont souvent fondées sur des informations, lesquelles sont plus ou moins jugées sérieuses en fonction de la personne qui les émet. Ainsi, un médecin affirmant une bêtise sera plus à même d'être cru qu'un ouvrier spécialisé. C'est ainsi que la fable du réchauffement climatique fonctionne.

Certains, la majorité, croit au réchauffement climatique parce qu'indépendamment des faits, ils ont entendu des personnes jugées crédibles (politiques, scientifiques) émettre des opinions allant dans ce sens. D'autres, une minorité dont je fais partie, n'y croit pas. Dans mon cas, il s'agit aussi d'un préjugé bâti sur le fait que je pense que dans 99% du temps, l'état, ses représentants et ses affidés nous mentent. On appelle cela l'état agentique.

Autre exemple, voici encore une heure, je pensais qu'on ne pouvait installer MAC OS sur un PC mais un pote, spécialiste de l'informatique, m'a expliqué qu'à condition de savoir bidouiller un peu, la chose était possible. Selon lui, il n'y aurait donc pas besoin de se ruiner en Mac pour avoir un produit fiable. Il suffirait d'une plateforme PC avec le MAC OS dessus. J'aurais cru la chose impossible, comme quoi j'avais un préjugé. Mon préjugé était bâti sur le fait que je croyais que les Mac étaient très différents des PC.

Si l'on revient à cette publicité stupide, nous comprenons que le fait de croire que les hémophiles saignent abondamment lorsqu'ils se coupent est un préjugé. D'accord, nous pensions que c'était vrai mais c'est faux et donc ? Dans les faits, une blessure superficielle n'entraine pas un saignement plus important que chez une personne normale. Et même si la blessure est plus importante, le saignement n'est pas plus abondant mais durera simplement plus longtemps. Le seul vrai truc à savoir c'est que dans l'hémophilie, ce qui est dangereux, ce sont les hémorragies internes.

Voilà, maintenant que je l'ai écrit, vous le savez. Vous ne direz plus à propos d'un hémophile : "il parait qu'il peut mourir s'il se coupe en se rasant !". Vous saurez dorénavant que c'est faux et que vous étiez victime d'un préjugé. Et donc, est-ce que le change la vie d'un hémophile que l'on sache cela ? Si le préjugé à propos des hémophiles avait été défavorable du type : "il parait que les hémophiles ont des tendances pédophiles", je comprends que ces malades aient voulu se défendre car ils auraient souffert d'un tel préjugé.

Les malades du SIDA étaient eux, dans un cas différent, dans la mesure où ils souffraient de préjugés extrêmement négatifs. On imaginait que leur serrer la main suffisait à être contaminé et il fut un temps, où l'on brûlait parait-il les draps qui avaient accueilli un sidéen dans les hôpitaux. Il était donc nécessaire de faire un effort d'information envers le grand public pour que cesse ce préjugé.

De même, cette pathologie étant très connotée socialement (homosexuels et toxicomanes), les malades étaient d'office classés parmi les "déviants" et on n'hésitait pas à amalgamer tout le monde. Heureusement grâce aux bons soins de Monsieur Fabius, on sait depuis l'affaire du sang contaminé, que des gens qui ne sont ni homosexuels ni toxicomanes peuvent être contaminés. Et d'ailleurs parmi les sujets les plus atteints, on trouva les hémophiles qui bénéficièrent du sang contaminé. On retrouve aussi tous ceux dont le conjoint est infidèle.

Nous sommes tous victimes de préjugés. Ma profession par exemple les cumule. Si je dis mon métier, certains penseront que je suis un gros branleur inutile, d'autres en revanche imagineront que je détiens les secrets de la vie et de la mort, tandis que d'autres encore jugeront que nous sommes tous à moitié dingues. Et donc ? Il suffit de parler, de rétablir la vérité quand c'est possible et puis voilà. Sachant que si quelqu'un veut penser que je suis un gros branleur à moitié-fou, cela le regarde, moi je m'en fous. Doit-on pour autant faire une publicité pour les psys ?

Cette publicité est donc stupide dans la mesure où elle souhaite amalgamer la notion de préjugé et celle de souffrance. Un préjugé, rappelons-le, n'est qu'une opinion hâtivement acquise. De ce fait, le préjugé peut être positif, négatif, voire neutre. Si chaque individu ou groupe d'individus s'estimant victime de préjugés commencent à gémir, alors nous n'avons pas fini de voir des publicités aussi stupides.

Drôle d'époque que la nôtre qui voit des victimes partout et ne cesse de les ériger en symboles. Etranges temps que les nôtres qui ne savent plus discriminer intelligemment entre ce qui est grave et ce qui ne l'est pas. Croire qu'un hémophile se vide de son sang à la moindre coupure est un préjugé résultant de l'ignorance bien normale de cette pathologie parmi d'autres, cela n'est pas grave. C'est un préjugé parmi des milliards d'autres.

Ceci dit, je m'interroge et reste dubitatif, voire circonspect et même peut-être un peu soupçonneux car moi aussi j'aime que les victimes, TOUTES les victimes soient défendues. Ainsi, me dis-je sournoisement, si l'on fait une journée mondiale spécialement pour l'hémophilie, n'est-ce pas une manière d'indiquer que d'autres pathologies sont moins invalidantes ? Ne serait-ce pas un fâcheux préjugé pour ces autres pathologies ?

Méfiez-vous, ils sont partout ! Quoi ??!? Les préjugés !

Malade atteint de la progeria se plaignant qu'on parle peu de sa pathologie
et se jugeant de ce fait victime d'un préjugé !