La peur de s'installer !
Lorsque je me suis installé, j'ai eu un peu peur. J'avais beau connaitre mon boulot, j'avais l'impression qu'une bande de fous, la bave aux lèvres, allaient faire le siège du cabinet. J'en étais presque à me dire, que derrière le dossier de mon fauteuil, j'aurais intérêt à coller un fusil à pompe à canon scié, que je pourrais saisir d'une main en cas de problèmes.
Je m'étais ouvert de cette curieuse idée auprès d'un vieux confrère que je connaissais bien. Avec près de cinquante ans de pratique psychiatrique, il avait suffisamment de bouteille pour répondre aux angoisses d'un jeune blaireau comme je l'étais.
Il m'avait confirmé qu'un cabinet comme le mien ne recevrait déjà par le même "public" qu'un hôpital. Effectivement, les schizophrènes en crise ne sont pas notre clientèle habituelle et je le savais. Il m'avait juste dit de me méfier des paranoïaques et d'avoir toujours leur "portrait clinique" en tête. Il m'avait ensuite raconté des histoires terribles de psys qui se faisaient tuer ou agresser par des patients paranoïaques même vingt ans après qu'ils ne les aient plus vus. Ça faisait froid dans le dos : de vrais scénarios de film ! En revanche, il m'avait donné une recette efficace et très peu déontologique pour s'en débarrasser.
Ce vieux confrère n'avait pas tort. Je n'ai jamais eu de problèmes avec ma clientèle. Et pourtant, lorsque j'ai commencé, les médecins qui ont accepté de collaborer avec moi, m'ont envoyé leurs "fonds de tiroirs", c'est à dire tous les patients à problèmes que les psys avec lesquels ils collaboraient habituellement ne voulaient plus.
Je me suis donc constitué une clientèle essentiellement composée d'héroïnomanes et d'alcooliques. Et je n'ai jamais eu de problèmes avec eux. N'étant pas spécialiste du problème, tout ce que je connaissais de l'héroïnomanie datait de l'époque ou gamin, j'avais vu, terrifié, "Moi Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée". Parce que pour les gens de mon époque, la toxicomanie, c'était un truc diabolique et terrible. Mais bon, je vous parle d'une époque où le subutex et la méthadone n'existaient pas. Les sevrages se faisaient à l'arrache et les toxicos n'avaient le droit pour toute aide qu'à des conseils lénifiants de médecins pontifiants ou alors à des "hmm, hmm" de psychanalystes.
Mais bon, comme je vous le disais, je n'ai eu aucun problème particulier avec eux. Sans doute que le fait que je sois fumeur, ce qui est une forme de dépendance, y est pour quelque chose. Après tout, héro ou tabac même combat. On sait à peu près pourquoi on commence, on finit par aimer cela puis, on continue parce que l'on est accro. D'ailleurs, certains patients m'ont clairement expliqué que le fait que je sois fumeur les avaient aidés dans la mesure où je n'apparaissais pas comme quelqu'un ignorant tout de leurs problèmes. Maintenant, je peux dire que je fume par vocation et non parce que j'aime cela !
Et puis, un jour j'ai reçu mon premier paranoïaque. C'était un type que je ne connaissais pas et qui avait pris rendez-vpsu sous un faux prétexte. Il s'est assis et puis peu après m'a dit qu'en fait, il avait pris mes coordonnées parce que sa copine venait me voir. Je lui ai alors dit que déontologiquement, je ne pourrais pas le recevoir. Je lui ai transmis les coordonnées d'un syndicat professionnel auquel j'adhérais en le priant de chercher quelqu'un d'autre.
Ce type est devenu menaçant mais de manière assez voilée. Il tenait à savoir ce que je pouvais dire à sa copine. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais soumis au secret professionnel, rien n'y faisait. La paranoïa, c'est la "folie raisonnante", une sorte de rationnalisme morbide qui fait que le paranoïa croit à son délire généralement bien structuré.
Il devenait de plus en plus menaçant. J'avais beau faire "le mur mou" comme disaient les "aliénistes" au XIXème siècle, avant qu'on ne les appelle des psychiatres : rien n'y faisait. J'avais l'impression que dès que j'entrais en contact avec lui, il obturait ce qu'il considérait comme une faille au moyen d'un volet blindé. Ce typé était de plus en plus muré dans son délire.
Voyant que je n'y arriverai pas, j'ai décidé de clôturer l'entretien. Comme il ne débarassait pas le plancher mais restait menaçant, j'ai appliqué la fameuse recette que m'avait donnée le vieux psy. Celui-ci m'avait dit que pour "gagner" face à un paranoïaque, il fallait lui faire plus peur qu'il ne nous faisait peur.
De fait, malgré leur formidable blindage, un paranoïaque est un peureux qui se protège. Il est toujours possible, si l'on se sent suffisamment armé, de pointer ses tourelles sur lui et de lui envoyer une salve d'obus de 400mm pour le mettre KO. Face à ce type, je m'en sentais capable.
Comme il ergotait, fier du pouvoir qu'il imaginait avoir sur moi, je l'ai alors coupé net. Par chance, je connaissais très bien son médecin. D'une voix ferme, je lui ai simplement dit :"Monsieur, vous me réglez et je vous donne deux minutes pour quitter mon cabinet". Il me demanda ce que j'allais faire si il ne voulait pas partir.
Je n'ai eu qu'à lui dire : "je vous promets que j'appelle votre médecin et qu'avec nos deux signatures, vous vous retrouverez ce soir, avec une camisole, sous Haldol, en train de baver comme un bébé dans une cellule d'un hôpital psychiatrique. Je vous en donne ma parole. Et avec eux, on ne sait jamais si on est là pour quinze jours ou quinze ans. Mais je vous promets que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faire interner si vous me menacer encore une fois".
Manifestement j'ai du bien réciter ma tirade parce qu'il est resté debout quelques secondes, puis m'a jeté deux billets de 200 francs sur la table basse et est parti. La peur d'être interné avait suffit. Je n'ai jamais eu de ses nouvelles.
Les paranoïaques sont les pires personnalités pathologiques qui soient. Le pire est qu'elles sont sous-diagnostiquées. Tout schéma intellectuel trop structuré, trop rigide, ou trop froid, devrait immédiatement faire penser à de la paranoïa.
Je m'étais ouvert de cette curieuse idée auprès d'un vieux confrère que je connaissais bien. Avec près de cinquante ans de pratique psychiatrique, il avait suffisamment de bouteille pour répondre aux angoisses d'un jeune blaireau comme je l'étais.
Il m'avait confirmé qu'un cabinet comme le mien ne recevrait déjà par le même "public" qu'un hôpital. Effectivement, les schizophrènes en crise ne sont pas notre clientèle habituelle et je le savais. Il m'avait juste dit de me méfier des paranoïaques et d'avoir toujours leur "portrait clinique" en tête. Il m'avait ensuite raconté des histoires terribles de psys qui se faisaient tuer ou agresser par des patients paranoïaques même vingt ans après qu'ils ne les aient plus vus. Ça faisait froid dans le dos : de vrais scénarios de film ! En revanche, il m'avait donné une recette efficace et très peu déontologique pour s'en débarrasser.
Ce vieux confrère n'avait pas tort. Je n'ai jamais eu de problèmes avec ma clientèle. Et pourtant, lorsque j'ai commencé, les médecins qui ont accepté de collaborer avec moi, m'ont envoyé leurs "fonds de tiroirs", c'est à dire tous les patients à problèmes que les psys avec lesquels ils collaboraient habituellement ne voulaient plus.
Je me suis donc constitué une clientèle essentiellement composée d'héroïnomanes et d'alcooliques. Et je n'ai jamais eu de problèmes avec eux. N'étant pas spécialiste du problème, tout ce que je connaissais de l'héroïnomanie datait de l'époque ou gamin, j'avais vu, terrifié, "Moi Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée". Parce que pour les gens de mon époque, la toxicomanie, c'était un truc diabolique et terrible. Mais bon, je vous parle d'une époque où le subutex et la méthadone n'existaient pas. Les sevrages se faisaient à l'arrache et les toxicos n'avaient le droit pour toute aide qu'à des conseils lénifiants de médecins pontifiants ou alors à des "hmm, hmm" de psychanalystes.
Mais bon, comme je vous le disais, je n'ai eu aucun problème particulier avec eux. Sans doute que le fait que je sois fumeur, ce qui est une forme de dépendance, y est pour quelque chose. Après tout, héro ou tabac même combat. On sait à peu près pourquoi on commence, on finit par aimer cela puis, on continue parce que l'on est accro. D'ailleurs, certains patients m'ont clairement expliqué que le fait que je sois fumeur les avaient aidés dans la mesure où je n'apparaissais pas comme quelqu'un ignorant tout de leurs problèmes. Maintenant, je peux dire que je fume par vocation et non parce que j'aime cela !
Et puis, un jour j'ai reçu mon premier paranoïaque. C'était un type que je ne connaissais pas et qui avait pris rendez-vpsu sous un faux prétexte. Il s'est assis et puis peu après m'a dit qu'en fait, il avait pris mes coordonnées parce que sa copine venait me voir. Je lui ai alors dit que déontologiquement, je ne pourrais pas le recevoir. Je lui ai transmis les coordonnées d'un syndicat professionnel auquel j'adhérais en le priant de chercher quelqu'un d'autre.
Ce type est devenu menaçant mais de manière assez voilée. Il tenait à savoir ce que je pouvais dire à sa copine. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais soumis au secret professionnel, rien n'y faisait. La paranoïa, c'est la "folie raisonnante", une sorte de rationnalisme morbide qui fait que le paranoïa croit à son délire généralement bien structuré.
Il devenait de plus en plus menaçant. J'avais beau faire "le mur mou" comme disaient les "aliénistes" au XIXème siècle, avant qu'on ne les appelle des psychiatres : rien n'y faisait. J'avais l'impression que dès que j'entrais en contact avec lui, il obturait ce qu'il considérait comme une faille au moyen d'un volet blindé. Ce typé était de plus en plus muré dans son délire.
Voyant que je n'y arriverai pas, j'ai décidé de clôturer l'entretien. Comme il ne débarassait pas le plancher mais restait menaçant, j'ai appliqué la fameuse recette que m'avait donnée le vieux psy. Celui-ci m'avait dit que pour "gagner" face à un paranoïaque, il fallait lui faire plus peur qu'il ne nous faisait peur.
De fait, malgré leur formidable blindage, un paranoïaque est un peureux qui se protège. Il est toujours possible, si l'on se sent suffisamment armé, de pointer ses tourelles sur lui et de lui envoyer une salve d'obus de 400mm pour le mettre KO. Face à ce type, je m'en sentais capable.
Comme il ergotait, fier du pouvoir qu'il imaginait avoir sur moi, je l'ai alors coupé net. Par chance, je connaissais très bien son médecin. D'une voix ferme, je lui ai simplement dit :"Monsieur, vous me réglez et je vous donne deux minutes pour quitter mon cabinet". Il me demanda ce que j'allais faire si il ne voulait pas partir.
Je n'ai eu qu'à lui dire : "je vous promets que j'appelle votre médecin et qu'avec nos deux signatures, vous vous retrouverez ce soir, avec une camisole, sous Haldol, en train de baver comme un bébé dans une cellule d'un hôpital psychiatrique. Je vous en donne ma parole. Et avec eux, on ne sait jamais si on est là pour quinze jours ou quinze ans. Mais je vous promets que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faire interner si vous me menacer encore une fois".
Manifestement j'ai du bien réciter ma tirade parce qu'il est resté debout quelques secondes, puis m'a jeté deux billets de 200 francs sur la table basse et est parti. La peur d'être interné avait suffit. Je n'ai jamais eu de ses nouvelles.
Les paranoïaques sont les pires personnalités pathologiques qui soient. Le pire est qu'elles sont sous-diagnostiquées. Tout schéma intellectuel trop structuré, trop rigide, ou trop froid, devrait immédiatement faire penser à de la paranoïa.
4 Comments:
Excellent je vous remercie pour votre article, je le trouve assez pertinent et je suis d'accord avec vous, maintenant je sais comment me débarrasser d'un paranoïaque, mais pourriez-vous m'éclairer sur le traitement d'un paranoïaque ou la méthode pour les ramener à la raison ou atténuer leurs crises ? s'il vous plait. je suis convaincu que c'est un sujet très complexe et mal diagnostiqué comme vous dite.
Super article, avec du suspense qui tient le lecteur en haleine!
Par contre pour le fusil, si vous voulez scier le canon, prenez un fusil de chasse, parce qu'avec un fusil à pompe, le mécanisme de la pompe s'étend jusqu'à 4/5 de l'avant du canon, et si vous le sciez, ça marchera plus!
En intérieur, à portée égale, les bombes de gel au poivre rivalisent pratiquement en efficacité immédiate, avec des conséquences plus légères pour votre conscience, votre mobilier, vos oreilles, et moins de répercussions légales...
Pourquoi aussi s'emmerder à scier le canon, et prendre le risque d'abimer le mécanisme, quand il existe des armes de poing...
Merci pour ce témoignage vivant et drôle à la fois.
Beau tour joué à ce Monsieur paranoïaque.a voir si j aurais le culot d essayer !!
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