01 juillet, 2010

S'autoriser !

Jacques Lacan qui n'a pas dit que des conneries même s'il en a dit beaucoup !

Récemment deux de mes patients se sont posés les mêmes questions au même moment. L'un veut être coach, et l'autre désire ouvrir son cabinet de psychologue clinicien. Ce sont des professions connexes dans lesquelles si les connaissances sont nécessaires, il n'en reste pas moins que c'est le savoir être qui sera au centre de la relation. Et cela ne s'apprend pas.

Les deux présentent une grande intelligence et une fort belle sensibilité. J'en suis persuadé. D'ailleurs si je n'avais qu'un seul talent, ce serait bien celui de faire la différence entre un âne et un cheval de course. Or les deux ont du talent. Et c'est bien la chose la plus difficile que de convaincre quelqu'un qu'il a du talent. Parce que ceux qui ont vraiment du talent doutent souvent d'eux-mêmes.

Chacun à sa manière m'a expliqué combien la relation d'aide lui faisait peur. Non qu'il ne se sente pas capable de la mener à bien mais simplement que leur passion ne les entraîne à aller trop loin, en enfermant "l'autre" au lieu de l'autonomiser, et en voulant à sa place.

La seule chose que j'aie pu leur expliquer est que ces interrogations sont louables et que le fait même de les avoir eues éloigne d'eux le spectre du narcissisme éhonté. Comme disait Pascal : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé". Avoir peur d'enfermer autrui dans la relation, c'est déjà être averti de ce risque et commencer à lutter contre. Dans notre jargon, on appelle cela "lutter contre la toute puissance".

Pour le reste, comme je leurs disais, si nous parvenons à changer la vie de nos patients, il est évident qu'eux mêmes changent la notre. Penser que parce que l'on a son DESS de psycho clinique, on sera un bon psy est idiot. L'état vous donne un diplôme qui sanctionne des connaissances et uniquement des connaissances.

La pratique c'est autre chose et créer une relation thérapeutique agit dans les deux sens. Par leurs expériences différentes, leurs vies, leurs tourments et leurs manières de réagir, nos patients nous apportent aussi quelque chose. Si l'on fait son métier sérieusement, on est obligé de se souvenir que l'on n'emmènera jamais autrui plus loin que nous ne sommes allées nous mêmes.

Lorsque j'ai commencé mon activité professionnelle, j'étais intelligent, cultivé et je crois que j'étais plutôt bon en psychopathologie. J'étais aussi un peu rigide et finalement meilleur conseilleur que payeur. J'étais très doué pour entrainer les autres à lutter contre leurs peurs mais pas forcément très doué avec les miennes.

Ainsi, j'étais une vraie petite choupinette, aussi anxieux qu'une gamine de dix ans. Je masquais cela derrière une sorte d'exosquelette composé de ma froideur habituelle et de mes connaissances dans lesquelles je puisais comme l'aurait fait l'ancien juriste que j'étais. J'ai eu la chance d'avoir pour seconde patiente une jeune femme peine plus âgée que moi qui m'a juste dit "bonjour, j'ai une leucémie, je vais mourir, comment le dire à mon fils de neuf ans ?"

C'était le coup dur parce que si je me sentais compétent en matière de dépression et d'anxiété, être confronté à cette mort annoncée et surtout acceptée m'a bouleversé. C'est là que je me suis dit qu'un ordonnancier m'aurait été utile. J'aurais papoté, prescrit quelques psychotropes et me serais dit que j'avais au moins fait quelque chose.

N'ayant pas le droit de prescrire, je me suis retrouvé comme l'on dit trivialement avec "ma bite et mon couteau". Elle m'avait choisi et je ne suis pas du genre à renoncer. Étant aussi orgueilleux qu'anxieux, il fallait que je fasse quelque chose. Je l'ai fait. Je tairai la manière dont j'ai agi pour ne pas vous ennuyer. Mais le fait est que douze ans après ma patiente est toujours en vie. Elle n'a d'ailleurs jamais raté un jour de l'an ou un de mes anniversaires. S'il y en a bien une qui sait que je suis capricorne, c'est bien elle !

Son courage face à l'adversité est toujours resté vivace en moi. J'étais beaucoup plus intelligent et diplômé qu'elle et pourtant je sais qu'à sa place je me serais écroulé. Elle reste persuadée que je lui ai apporté beaucoup sans vraiment comprendre ce qu'elle m'aura elle-même apporté. Je ne lui ai d'ailleurs jamais dit parce que je pense que le transfert qu'elle avait fait sur moi l'a aidée et l'aide encore. Pourtant dans bien des décisions ultérieures de ma vie, j'ai pensé à elle. Parce qu'elle m'avait assigné une mission et qu'elle avait placé toute sa confiance en moi, j'ai fait en sorte de la mériter. Je susi devenu moins chouineur et plus courageux.

Je crois avoir réalisé grâce à elle qu'être assis sur mon fauteuil nécessitait bien plus que des connaissances. Sans doute que mon immense orgueil m'aura beaucoup aidé. Démériter face à cette patiente m'aurait conduit à tout arrêter. Quand j'étais jeune je détestais ces profs qui ne sachant répondre à une qustion vous disait qu'on verrait cela la semaine prochaine sans évidemment en reparler. Et j'aurais été atrocement déçu de moi même si je leurs avais ressemblé.

Avant elle, je me raccrochais à mes diplômes donnés par l'état, que j'acceptais comme la garantie ultime de mes compétences, même si je n'y croyais pas vraiment. Après elle, j'ai développé mon savoir-être. Je suis devenu plus libre. Moi qui avais fait une belle analyse avec un psy connu qui avait même fréquenté Jung (rendez vous compte !), j'ai admis que tout ceci n'était que de la merde. Que durant cinq ans, j'avais raconté des tas de bêtises à un psychanalyste qui ne m'avait rien appris. Tout au plus avais-je eu la certitude d'être aussi, voire plus, intelligent que lui. C'est bien mince comme travail sur soi. Ceci dit comme mon psy et moi sommes devenus très copains, je ne regrette pas le fric que je lui ai versé.

En ce cens, cette patiente m'aura beaucoup appris. Et notamment que la vraie vie était toujours hors du cabinet. Que je pouvais jouer le beau face à elle et n'être qu'un pitre dans la vraie vie. Tandis que dans les thérapies cognitives et comportementales nous évacuons le transfert et le contre-transfert, je crois m'être pris un contre transfert magistral dans les dents. Et cela a marché.

Tout ceci pour dire que l'on n'est jamais vraiment prêt et qu'il faut se lancer un jour. Que les diplômes, que l'on peut amasser, ne sont jamais un gage de garntie d'être un bon psy mais qu'il faut aller chercher ailleurs et surtout découvrir en soi les ressources de se dire : ça y est je sais que je suis bon. La confiance en soi ne se travaille jamais dans un cabinet ou sur les bancs d'une faculté mais uniquement confronté au monde réel.

Je déteste Lacan que je prends pour un fou furieux, mais je n'ai jamais oublié sa phrase : "l'analyste ne s'autorise que de lui même". Parmi tant de bêtises qu'il aura pu dire et écrire, sur ce coup là, il ne s'est pas trompé.

J'ai donc dit à ces patients de se lancer, qu'ils verraient bien. Qu'ils feraient sans doute des erreurs mais que c'était normal d'en commettre. Et surtout que leurs interrogations étaient la garantie qu'ils feraient tout pour remplir leur obligation de moyen. C'est bien mince comme conseil et peut-être que l'on attendrait mieux d'un psy, quelque chose de plus livresque, doctoral et érudit. Mais, je ne pourrais jamais dire plus que cela.

C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Il n'y a que le premier pas qui coûte. Tout le reste n'est que questionnement superflu.

9 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Voilà qui est bien relaté avec une belle issue pour une courageuse dame et son enfant ;(

1/7/10 11:43 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je n'ai pas de leucémie et pas de fils de 9 ans.
Je fais juste une pauvre dépression, et de l'exczema.

J'imagine que ça me condamne à moisir encore de longs mois dans la salle d'attente de votre blog.
Mais je ne désespère pas de me découvrir prochainement une maladie grave : dès que j'arrive en phase terminale, vous en serez le premier informé.

Toujours : Melle Capricorne
Toujours : maiiison@yahoo.fr
(Toujours pas réussi à vous retrouver sur Google, désolée, pas faute d'avoir cherché...)

2/7/10 5:20 AM  
Blogger El Gringo said...

Beau texte.

2/7/10 12:25 PM  
Blogger humeur de femmes said...

J'ai adoré ton article, vraiment et sincèrement !
Le savoir psy ne s'apprend pas uniquement dans les bouquins et nous en faisons le constat tous les jours, car tous les jours nous apprenons encore et encore par et grâce à nos patients.
Chaque être humain est unique, chaque douleur se respecte et c'est ce qui manquent le plus dans l'apprentissage de la psy 'correcte' "le respect de la douleur et la compassion bien à propos".
En fait nous n'y apprenons que le pouvoir !
J'ai fait ou reçu une analyse didactique, lorsque j'ai quitté 'dieu le Pair' il m'a simplement dit que j'allais commettre des erreurs déontologiques, ce à quoi je lui ai répondu que sa plus belle était en face de lui "MOI" !
Merci encore pour cet écrit et au plaisir de te relire.

4/7/10 7:03 PM  
Blogger AlainX said...

voilà qui est bien intéressant quand on est un petit vieux comme moi... Quelque peu psy, et qui a appris bien plus de choses de la vie à partir du jour où il a quitté les stratosphères intellectuelles pour se contenter d'observer les personnes et leur vécu tel qu'il se présentait, chez lui... Et chez quelques autres...

6/7/10 11:44 AM  
Blogger Rastofire said...

Bonjour
je ne trouve pas le lien pour vous contacter directement, je passe donc par les commentaires.

Je prépare pour http://psychologik.blogspot.com une série qui s'appelle Derriere les blogues. Elle présentera différents blogues psy* francophones


Si vous pouvez prendre le temps de répondre a ces questions questions, je serais très heureux de les mettre en ligne.

yann.leroux@laposte.net

Comment êtes vous devenu bloggueur ?

Quel est le but de votre blogue ?

Comment est venu le nom du blogue ?

Etes vous aussi sur Twitter ou d’autres plates formes sociales ? Comment ces comptes interagissent avec le blogue ?

Comment est ce que le blogue affecte votre travail ?

Quel matériel utilisez vous pour bloguer ? Quelle plate forme / CMS avez vous choisi et pourquoi ?

Quels blogues lisez vous régulièrement ?

Comment vient l’inspiration pour les nouveaux billets ?

Avez vous des contraintes d’écriture ?

Quelques conseils à un blogueur débutant ?

Quelle question ai je oublié ?

11/7/10 6:21 PM  
Blogger philippe psy said...

@mademoiselle asc.capricorne : écrivez moi à pa6712@yahoo.fr

merci

12/7/10 12:35 AM  
Blogger V. said...

moi j'aime bien
"la psychanalyse est un remède contre l'ignorance elle est sans effet sur la connerie"

:o)

14/7/10 8:31 PM  
Blogger V. said...

moi j'ai pas d'ex -czéma, je me suis longtemps tailladé l'avant bras gauche, et récemment j'ai démonté la voiture de mon ex parce que j'étais fâchée.

et tout ça Philippe c'est de votre faute.
Parce que vous laisser moisir votre clientèle dans la salle d'attente de votre blog.
Et qu'elle ne sait plus qu'elle conversion adopter pour attirer votre regard.
Vous restez qd même le meilleur psy de l'univers.
ça ne laisse AUCUNE place aux autres professionnels de la professions !
Alors débrouillez vous et faites cesser cette souffrance une bonne foi()s pour toutes !

;o)

25/7/10 12:55 PM  

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