04 juillet, 2011

La petite alcoolique et le Saint-Bernard !



Voici plus de dix ans, j'ai eu une curieuse patiente. Il s'agissait d'une toute jeune femme affligée d'un alcoolisme peu courant. Non qu'elle ait bu régulièrement, mais simplement qu'il se soit agi d'un alcoolimse massif présent lors de crises d'angoisses importantes.
Tandis qu'elle se révélait charmante dans le cabinet, ses abus d'alcool la rendait totalement folle de rage. Je me souviens d'être allée la chercher deux fosi dans des cafés où elle s'était énivrée, les deux fois à la demande du patron à qui elle avait donné mes coordonnées. J'étais alors entré dans l'établissement pour voir ma patiente totalement ivre, agressive avec l'ensemble du personnel, capable de se donner des coups de tête contre le mur proche de sa table : une vraie furie.

Curieusement, elle s'était calmée plutôt vite et je pouvais la faire sortir sans aucun problèmes et la ramener en bas de chez elle où elle était rentrée sans faire d'histoires. Et lorsque je la revoyais en séance, elle se confondait en excuses toujours sincères alors qu'elle et moi savions qu'elle recommencerait forcément.

Elle avait eu une vie mouvementée et plutôt traumatisante. Sa mère ayant divorcé tôt d'un homme qui la battait, s'était remise en ménage avec un type libidineux qui eu tôt fait de préférer les charmes de sa toute jeune belle fille à ceux de son épouse usée par la vie. De fait, ma petite patiente avait connu l'inceste mais curieusement, si elle avait énoncé les faits, elle ne semblait pas en souffrir et nous n'en avions pas plus parlé que cela.

L'incestes comme le viol sont des expériences traumatisantes mais on rencontre régulièrement des personnes qui les ont vécues sans que cela ne semble les avoir marquées plus que cela. Parfois il peut s'agir d'un déni par lequel la personne ne veut pas aborder l'expérience traumatisante tandis que d'autres fois, c'est sincère. La personne ne nie rien des événements traumatisants mais les a digérés, sans doute ce que Cyrulnik appelle la résilience.

Ma patiente était ainsi. Dotée d'une forte personnalité, elle avait parlé de son passé parce qu'il lui semblait que chez un psy, on devait tout dire même ce qui ne semblait pas forcément important. Mais dans les faits, ce n'était pas son passé qui posait problème mais bien son présent sans que ni elle ni moi ne sachions vraiment de quoi il s'agissait.

Elle avait un travail, un type qui l'aimait comme un fou et semblait avoir échappé à un destin malheureux qui la menaçait autrefois. Très bien notée par son patron, elle aurait pu sans problèmes mener une très belle carrière. Mais il y avait cet alcoolisme massif qui se manifestait de plus en plus régulièrement sans que nous en connaissions les raisons. S'il s'agissait vraisemblablement d'une réponse à des crises d'angoisse terribles, elle n'en connaissait pas les raisons ou plus vraisemblablement s'interdisait d'en connaitre les raisons. Pour elle, amour et travail, tout allait plutôt bien.

La thérapie suivait son cours. Elle venait à l'heure régulièrement et se montrait sympathique sans pour autant que quelque chose se passe. On aurait pu se voir dix ans sans que rien ne change si ce n'est son taux de gamma-GT. C'était assez frustrant jusqu'au jour où je rencontrais son médecin pour lui parler de ce cas. 

Le médecin était une jeune femme exerçant depuis quelques années dont la vocation était réelle et même parfois proche d'un certain fanatisme. Elle me parla alors de ce qu'elle connaissait de la patiente. Rien de nouveau à l'horizon ; tout ce qu'elle me dit, je le savais déjà. Sauf un élément qui apparut au détour de la conversation concernant la personne avec qui ma patiente vivait. Aux dires du médecin, il s'agissait d'un type extraordinaire qui n'avait vraiment pas de chances avec les femmes. Ainsi m'expliqua-t-elle, avant ma patiente, il était déjà avec une héroïnomane qui n'avait malheureusement jamais réussi à décrocher.

C'est ce détail qui me fit réfléchir. Qu'on soit tombée une fois sur ce genre de femme pourquoi pas ? On peut avoir une âme de Saint Bernard sans se rendre compte de la gravité d'une situation. Mais, connaitre un chagrin d'amour pour rempiler ensuite avec le même profil de femme suppose une curieuse psychologie assez bien connue toutefois. Car si l'altruisme est une noble attitude, l'excès d'altruisme est souvent pathologique, ne devient pas la croix rouge qui veut, cela suppose un passé compliqué.

Ainsi, on peut définir l'altruisme comme un dévouement à autrui et l'altruisme excessif comme une dévouement par lequel le sujet échapperait à un conflit. L'altruisme a l'avantage d'être socialement reconnu et c'est un bon moyen de passer pour un saint. Le problème est que l'altruiste fait souvent payer à l'autre son renoncement. Le conflit revient toujours et l'altruiste exclusif est contraint à être de plus en plus altruiste. Le risque est de tisser une relation de dépendance avec la ou les personnes avec lesquelles il se dévoue.

De fait ce type avait rencontré ma petite patiente alors qu'elle avait débarqué à Paris. Sans doute touchée, tant par son caractère que son histoire assez sordide, il s'était mis en tête de la sauver. Il y avait bien réussi. Lui offrant un cadre structuré et rassurant, elle avait vite trouvé une formation puis un travail qui lui plaisait. La jeune femme se révélant très courageuse, elle n'avait pas tardé à parfaitement s'insérer dans la vie parisienne. Et c'est là que les choses avaient commencé à se dégrader.

Sans doute que sans la présence insistante de cet homme, tout aurait été pour le mieux. Mais il était là près d'elle comme un chien fidèle qui attend une caresse et de la reconnaissance. Elle ne l'aimait sans doute plus, n'éprouvant pour lui que de la reconnaissance et n'osait sans doute pas le quitter de peur de passer pour une ingrate. C'est du moins ce que j'imaginais pour intégrer son alcoolisme dans l'équation. 

J'imaginais ainsi que lorsqu'elle avait des velléités de le quitter, elle devait se sentir tellement angoissée que seul le recours à l'alcool lui permettait de faire descendre la pression qu'elle ressentait dans ces moments. Il s'agissait sans doute d'une distorsion cognitive de Festinger qui se serait résumée à ceci : face je lui arrache le coeur si je pars, pile si je reste je gâche ma vie avec un homme que je n'aime pas.
Un jour que je la recevais, et comme je savais qu'elle était assez forte et structurée pour se prendre les choses en pleine figure, je lui exposai simplement ma théorie dans laquelle elle se reconnut. Bien sur il y eu quelques larmes mais nul excès, elle me demanda juste comment résoudre cette inéquation. Je lui expliquai alors que lorsque l'on était face à une dissonance cognitive de Festinger composée de deux termes A et B, il ne fallait jamais chercher à trancher entre les deux mais que cela se résolvait en C.

Pour elle, choisir C, c'était admettre de ne pas se sentir coupable du choix qu'elle ferait, qu'elle était libre de mener sa vie comme elle l'entendait et qu'on ne fondait par un couple sur de la reconnaissance. Au surplus, elle devait admettre que son copain était une personne adulte devant assumer ses choix et qu'au surplus, ce surcroit d'altruisme signalait sans doute en lui un problème qu'il n'avait jamais voulu aborder. 

Parce qu'elle voulait être rassurée, elle me fit promettre que si elle le quittait, j'accepterais de m'en occuper parce que j'avais senti qu'il n'allait pas bien. Pour elle, c'était une sorte de garantie par laquelle elle s'assurait que quelque soit le mal qu'elle lui ferait, il trouverait un endroit où avoir du réconfort. e lui fis cette promesse même si je n'ai jamais vu ce type par la suite ; peut-être a-t-il rencontré une troisième femme à problèmes ?


La rupture a eu lieu, ma patiente a retrouvé un logement. On a du se voir quelques fois et puis elle est partie. Environ deux ans après, je l'ai recroisée dans une brasserie non loin de mon cabinet où elle déjeunait avec sa mère. Elle me convia à prendre le café avec elles et elle me fit part des changements intervenus dans sa vie. Elle avait changé d'emploi, gagnait bien sa vie et avait rencontré quelqu'un. C'était donc une happy end.

Elle me demanda tout de même si j'avais eu des nouvelles de son ex. Je lui avouai qu'il n'avait jamais pris contact avec moi. De son côté, elle avait préféré couper court que de maintenir une relation qui aurait été source de souffrance pour les deux et ne savait donc pas ce qu'il était devenu.

La morale de cette histoire est que si l'altruisme est une noble chose, si vous en êtes au point de donner votre chemise pour autui, il faut vous interroger sur les raisons de vos actes. Vous pourriez être un sait, quoique Saint Martin lui-même ne donna que la moitié de sa chlamyde, mais la sainteté est rare et l'excès de sainteté souvent pathologique. Dans les faits, l'excès d'altruisme doit vous faire réfléchir sur le fait que vous êtes sans doute en train de régler un conflit intrapsychique. Que cet excès d'altruisme est comme une scène inlassablement répétée ayant pour but de vous purifier, une catharsis sans fin ayant pour motif de réussir ce que vous n'avez pas réussi par le passé. En bref sauvez vous vous même avant de sauver les autres.

Et souvenez vous que hors d'un cadre, aider autrui n'est pas chose aisée car comme l'affirme un proverbe : on adore la douceur de l’infirmière quand on va mal mais on ne se souvient que de la douleur une fois que l'on va bien.

6 Comments:

Blogger Lousk said...

Paradoxalement, par bienveillance on est amené à vouloir de cet homme qu'il se décharge de faire le bien, car se réjouir de cette ardeur charitable serait un trait antisocial...

4/7/11 6:50 PM  
Blogger V. said...

chlamyde aurait un lien avec chlamydiae ?
comme quoi faut pas partager sa chemise avec n'importe qui ...!

4/7/11 11:57 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour, désolé c'est du hors sujet mais j'ai tout de suite pensé à vous avec ce modèle de voiture :
http://www.tribords.com/?plus-petite-voiture-du-monde

6/7/11 9:02 PM  
Blogger CARLOMAGNON said...

Si je comprends bien, elle boit pour qu'il s'intéresse à elle car elle ne veut pas le quitter par peur de passer pour une ingrate. c'est un peu capillotracté ce Munchausen au second degré, non ?

7/7/11 1:12 AM  
Blogger 100hp said...

@CARLOMAGNON : Euh non, il est écrit qu'elle boit pour ne pas voir en face que son dilemme n'a pas de bonnes solutions.

19/7/11 7:22 PM  
Blogger Élie said...

C'était un article très instructif, qui explique comment un dilemme intérieur peut être générateur d'angoisses extrêmes. J'ai voulu en savoir plus sur la dissonance cognitive de Festinger, et j'ai appris ce qu'étaient les biais cognitifs, comment ils peuvent intervenir même dans des situations de la vie quotidienne.
Merci pour cet article, il m'a vraiment éclairée et ouvert des pistes de réflexion.

6/6/18 9:43 AM  

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