13 avril, 2014

Educ-Spé !


C'est amusant. Je viens d'aller voir mon mail et j'ai deux messages. Le premier émanait d'un patiente qui m'engueulait.  Moi qui suis un petit être tout sensible doté d'une humeur toujours égale, cela me fait drôle de me faire engueuler alors que je ne le mérite pas, simplement parce qu'on me saute dessus sans prendre la peine de comprendre ce que je dis. Alors j'ai pris sur moi et j'ai répondu sagement et gentiment à la dame. Puis, j'ai séché mes petits yeux et j'ai ouvert le second message qui s'est révélé nettement plus agréable. 

Dans celui-ci, le patient dressait un véritable panégyrique de ma petite personne, soulignant ma grande maitrise de la clinique, laquelle viendrait forcément d'une intelligence aussi impressionnante que rare, s'épanouissant telle une Renouée du Japon en terrain rudéralisé. C'était très bien vu et très aimable de sa part même si cela m'a mis un peu mal à l'aise puisque ce que ce brave garçon semble trouver génial me semble assez basique. Mais après tout, Mozart lui-même ne devait pas s'étonner de ses propres créations ! Enfin, j'ai relu sa prose deux ou trois fois parce qu'il m'a fait oublier tous les vilains reproches injustifiés du précédent message. C'était un baume apaisant après de terribles griffures ! Cela m'a fait réfléchir sur la manière dont j'entreprenais mon travail.

Il faut dire que la veille, le dernier patient que j'aie vu avait été assez direct même si je ne lui en ai pas voulu. Étant travailleur social et se sentant en confiance avec moi, il a dit pis que pendre des psychologues estimant qu'ils constituaient une sorte de caste de cons verbeux toujours perchés mais incapables d'apporter une aide efficace à quiconque. Il venait pour un problème professionnel et je pense l'avoir bien conseillé. Du moins il était content comme tout. Il était à l'aise, il me parlait comme à un collègue de boulot et c'était plutôt bien, vu que dans ma profession, ce qui compte c'est l'alliance thérapeutique.

Comme on arrivait à la fin de l'entretien, au mépris de toute règle déontologique qui aurait voulu qu'au nom de la sacro-sainte neutralité, je le laissa dans sa mouise, je me suis lâché. Je lui ai dit que, loin de moi la volonté de jouir du privilège que me donnaient les vingt ans que j'avais de plus que lui en lui assénant mes vérités à la face, je lui conseillais toutefois de ne pas entreprendre ce qu'il voulait, parce que c'était un peu idiot, mais au contraire de faire autre chose. Alors là, le petit pépère a semblé interloqué. Parce qu'il trouvait sans doute que les psys étaient trop souvent des cons verbeux mais que lorsque l'un d'eux passait à l'acte en se départissant de sa réserve pour prendre partie et le conseiller utilement, cela lui faisait tout drôle.

Alors comme il était chez le psy, il a essayé d'en avoir pour son argent et c'est lui qui jargonnait. Mais moi je lui ai redit la même chose, lui conseillant d'abandonner son projet que je trouvais idiot et immature pour adopter une autre stratégie. Et comme il était éducateur spécialisé, je lui ai demandé quel conseils il donnerait à une jeune ayant un problème similaire au sien. Et là, il m'a répondu qu'effectivement il dirait la même chose que ce que je venais de lui dire. Alors j'ai rajouté que s'il pensait que mon conseil était juste et qu'habituellement les confrères en faisaient trop, pourquoi me reprochait-il justement de ne pas en faire assez ? 

Sans doute que mon pragmatisme bouleversait un peu sa vision du monde dans lequel, le psy est un âne totalement perché tandis que l'éducateur spécialisé se coltine le réel ! Finalement en vouloir aux psys l'arrangeait bien en lui permettant de se rehausser, un peu comme l'ouvrier s'en prendrait à l'ingénieur, ou le maçon à l'architecte, en se disant "ouaip mais de toute manière, c'est nous qu'on bosse vraiment et pas lui". J'ai trouvé cela amusant et je le lui ai dit. Et là, il m'a avoué qu'il voulait finir ses études de psycho afin d'être psychologue. Bref, le mouflet ne disait pas que des bêtises quant à ma profession tout en ayant des réflexions corporatistes teintées de frustration telles que pourrait en avoir un adjudant-chef efficace face aux galons du lieutenant.

Comme c'était le dernier de la journée, on est sorti vers vingt et une heure trente et on a pris le métro ensemble. Et là, il m'a dit qu'il n'avait jamais vu de psy comme moi et que j'aurais fait un bon éducateur spécialisé. Je lui ai dit qu'il ferait un très bon psy aussi. Lui et moi étions contents. Cela faisait de lui un sous-off' capable de monter en grade et de moi, un officier n'hésitant pas à ôter ses galons pour se coltiner avec la piétaille. C'était chouette comme dans un film, comme dans Le jour le plus long quand Mitchum s'adresse au petit caporal qui va faire exploser la batterie allemande d'Omaha beach avec un bangalore ! Bref, lui et moi, on s'est fait reluire à coups de compliments sincères et grandiloquents.

Ceci dit, sur le fond, il n'avait pas tort. Quand je me suis installé voici bien des années, un vieux psychiatre de mes amis m'avait mis en garde, m'expliquant qu'il y avait plein de psys à Paris. Je lui avais alors dit, que contrairement à lui, je connaissais la galère des lettres de motivation et des entretiens et que personne ne m'avait jamais attendu. Puis, je lui avais expliqué qu'il fallait aussi adopter un savoir faire différentiel permettant de se distinguer de l'offre pléthorique. Parce que, si c'était pour faire comme la plupart de mes collèges, s'asseoir et faire hmm-hmm, autant renoncer et retourner au droit.

Bref, j'avais creusé le sujet et m'étais dit que mes avatanges seraient de dédramatiser, de coller au réel et de me souvenir que j'étais un putain de prestataire de service et qu'à ce titre, j'étais rémunéré contre une prestation réelle. Bref, le promoteur immobilier que j'étais vivait encore et moi et passait des immeubles aux personnes. C'était basique et bourrin mais c'était ainsi. En bon capricorne ayant de la glaise aux godillots, il ne faudrait jamais s'attendre de ma part à des envolées lyriques mais à du concret. C'est pour cela que je me définis toujours comme un maçon, le mec qui fait les fondations et les murs et rien de plus.

Ce petit con (le terme est affectueux) avait donc raison, je bosse sans doute comme un éduc-spé, comme un de ces mecs qu'on envoie aider des populations ciblées (djeuns, toxicos, sdf, etc.) et qui sont chargés de les insérer. Sauf que ma population à moi, celle que je fréquente le plus dans mon cabinet et notamment par l’entremise de ce blog, est composée de gens dont le niveau intellectuel et social ne mettra jamais en face d'éducateurs spécialisés. J'injecte une grosse dose de réel comme une toupie vous balancerait du béton pour couler une dalle !

C'est pour cela que parler de papa et de maman m'ennuie. Non que ce ne soit pas intéressant ou nécessaire parfois, mais qu'une fois qu'on ait épuisé le sujet, on se demande toujours : ok et après, on fait quoi ? On prend une baguette magique et on recommence sa vie ? Le réel c'est justement d'admettre que quelque soientt les parents qu'ont ait eu, on va commencer à faire avec et construire sur sa propre histoire. Parfois, si les débuts ont été difficiles, il faudra juste des fondations spéciales, enfoncer des pieux à cinquante mètres pour tenir la structure. Mais, on y arrivera.

L'important, c'est de construire, c'est de s'incarner enfin !

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

Toupie à béton... C'est vrai, c'est tout toi!
:-)

13/4/14 10:20 PM  

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