Je cours des risques terribles !
Récemment j'achète un nouveau livre sur les troubles anxieux, un ouvrage édité chez une maison sérieuse. Manque de pot, et je n'ai pas vérifié avant, il se trouve que l'équipe de rédacteurs est dirigé par un confrère québécois, autant dire un américain qui parlerait français.
Bon, le livre, dont je ne donnerai pas le titre pour ne pas lui faire de publicité, est vraiment à chier. Je n'y ai rien appris de nouveau, si ce n'est que lorsqu'il a été rédigé, j'espère que les diptères étaient bien planqués parce qu'il y avait une sacrée équipe d'enculeurs de mouches au boulot.
Comme l'exige la clinique américaine qui se veut super scientifique en pensant que des modèles bidons donneront ses lettres de noblesse à la clinique jugée trop humaniste, l'ouvrage égrène une litanie de remarques creuses sur les pathologies liées à l'anxiété en présentant tout un tas de jolis dessins qui sont sensés être le fruit ultime d'une très grande réflexion.
C'est sur qu'imaginer qu'un diagnostic puisse aussi être un art les ferait chier dans la mesure où les choses doivent être rigoureusement reproductibles. C'est donc l'outil parfait pour les connards adeptes des fiches bristols, ces ânes laborieux qui après avoir pris leur cours tout bien comme il faut, n'ont de cesse que de le recopier sur des fiches de plus en plus petites en estimant ainsi avoir fait preuve de sérieux et d'intelligence.
Moi qui juge que je manque un peu de finesse et n'hésite pas à me surnommer le maçon de la psychologie, le mec qui fait tenir des murs, j'ai là l’œuvre des rois du préfabriqué. Même plus besoin d'empiler du parpaing, on livre quatre murs et on boulonne les angles et hop le tour est joué. D'ailleurs, le patient n'est pas valorisé dans l'ouvrage, sauf à titre d'exemple pour prouver qu'il rentre dans toutes les boites que ces bœufs créent.
Je l'ai hâtivement parcouru me maudissant d'avoir ainsi dilapidé vingt-cinq euros que j'aurais pu autrement plus intelligemment investir dans un entrainement de outdoor cafing. Je me suis attardé sur le syndrome de stress post-traumatique pour lequel ils égrènent une liste de symptômes tellement impressionnantes que tout le monde peu rentrer dedans. Et bien entendu, ils offrent aussi des modèles qui permettent de circonscrire le patient qui en souffre aussi surement qu'un entomologiste du muséum classerait ses insectes.
A ce propos, j'ai appris qu'il fallait traiter ces patients avec encore plus de respect que les autres, même si l'auteur rappelle qu'il faut de manière générale traiter tous les patients avec respects. Disons qu'il en faut plus pour ceux-là même si je ne distingue pas bien la différence entre le respect normal et le surplus de respect à moins qu'il ne s'agisse de devenir obséquieux ?
Bon, les schémas m'ont appris avec force de flèches et de cases que les patients victimes d'agressions souffraient parfois beaucoup. Alors là, je ne l'aurais pas deviné. Bon le patient en lui même est un peu oublié et on n'apprend pas grand chose sur la manière de l'aider efficacement.
En revanche, si le livre perd de vue le but de la thérapie, à savoir aider les patients, il n'oublie pas les thérapeutes et j'apprends ainsi que face à des victimes de SSPT, on peut développer soit un traumatisme vicariant soit même une fatigue compassionnelle.
J'avais vaguement vu ces termes mais je ne m'en souvenais plus. J'ai donc ouvert Google et je suis tombé sur des liens qui sont tous québécois pour m'expliquer les risques terribles que je pourrais courir si je reçois des victimes d'agressions.
Le traumatisme vicariant en gros, c'est le fait de développer soi-même des symptômes liés aux agressions dont ont été victimes nos patients. Par exemple, si je reçois trop de femmes ayant subi un viol, je pourrais à terme avoir peur dans les parkings obscurs parce que ma réalité sera altérée par les informations que je reçois professionnellement. C'est donc une sorte de burn-out dont serait victimes les professionnels de l'aide à la personne.
Bien sur, on enfance évidemment les portes ouvertes puisque cela fait bien longtemps que l'on sait que le secteur professionnel peut agir sur la psyché d'un individu. J'ai un bon ami dont la mère était assistante sociale et qui a été éduqué dans la terreur qu'il puisse mal tourner. Sa mère devait être trop sensible et ne pas faire la part des choses.
C'est justement là que le bât blesse car s'il y a bien une chose à faire avec une personne souffrant de SSPT, c'est de restituer cette horrible expérience dans le contexte donné afin justement que l'expérience n'envahisse pas toute sa psyché. L'important est que la victime puisse vivre malgré ce traumatisme.
En bref pour expliquer simplement, si vous écoutez quelqu'un vous raconter sa chute de vélo en lui disant juste hmm-hmm sans lui expliquer que les chutes arrivent mais que l'on peut aussi s'en prémunir, il y a de fortes chances pour que vous ne serviez à rien si ce n'est de réceptacle à son angoisse du vélo et qu'en plus vous finissiez vous-même par avoir peur du vélo.
Quant à la fatigue compassionnelle, c'est à peu près la même chose que le traumatisme vicariant, exprimé de manière moins "scientifique". C'est lorsque le soignant commence à ressentir les douleurs physiques et mentales des patients dont il s'occupe et lorsqu'il commence lui aussi à développer des symptômes ressemblant à un émoussement affectif. Bref, vidé et lassé, il se mure et se protège et n'est plus bon à rien.
Bon traumatisme vicariant et fatigue compassionnelle ne sont donc que des phénomènes bien connus dans tous les professions d'aide. A moins d'être complètement crétin, on se doute qu'un chirurgien d'un hôpital de campagne en 14-18 pouvait autant morfler psychologiquement que les soldats présents dans les tranchées. Seul un abruti pourrait songer que c'était psychologiquement plus cool d'amputer à la chaine bien à l'abri sous sa toile de tente.
Alors cet ouvrage continuant à enfoncer les portes ouvertes explique qu'il est mieux de ne pas recevoir que des victimes de SSPT à la chaine mais aussi de faire attention à son ressenti. Ces conseils restent minces et me font penser à ceux qui me demandent si je n'en ai pas marre d'écouter les problèmes des gens tout le temps.
Je réponds la plupart du temps que je suis comme un plombier qui vient réparer une fuite. Tandis que la personne est paniquée par l'eau qui jaillit à gros bouillons de la conduite, le plombier efficace ne s'en fait pas parce qu'il sait la réparer. Bref, il s'agit avant tout de nouer une bonne alliance thérapeutique avec le patient puis de mettre en oeuvre des stratégies l'amenant à changer. Après tout est affaire de temps en se souvenant que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Il ne faut pas non plus verser dans le sentiment de toute puissance en se souvenant que le patient assis en face de soi est un individu différent de soi pour lequel on a une obligation de moyens et non de résultats. Bref, il y a lui et nous et parfois le patient peut être rétif ou ne jamais rien écouter ou même persévérer dans ses conneries. C'est d'ailleurs son droit le plus strict. Si vous vous attendez à une collaboration totale, c'est suspect. C'est soit que le patient en face de vous souffre d'une personnalité dépendante et c'est mal barré soit que vous êtes en train de jouer au psy avec votre poupée ou votre nounours.
Dans les faits, le patient renâcle et a ses propres idées sur son état et ce qu'il attend de la vie. Il ne se laisse pas mettre sous tutelle et vous en mets parfois plein la figure, exigeant de vous des miracles; jugeant que cela ne va pas assez vite, interprétant ce que vous lui dites en mettant vos propos à sa sauce.
Ce qu'il y a de bien aussi, justement pour éviter cette "fatigue compassionnelle", c'est que vous n'êtes pas obligé de tout tolérer du patient. Vous pouvez filtrer ses propos, préciser les choses, le jeter gentiment quand il dépasse les bornes, soit carrément le foutre à la porte si vous estimez qu'il est allé bien trop loin. Cela permet de se souvenir que même dans la situation d'aidant, on est aussi humain avec des sentiments et une sensibilité propre. Le propre du métier, c'est de supporter bien sur, mais certainement pas de se faire marcher sur la gueule. La souffrance quelle qu'elle soit n'excuse pas tout. Notre profession n'est ni là pour refaire le passé ni pour réparer une injure mais pour aider.
De la même manière, il faut accepter de ne pas savoir, voire de
tâtonner, ou encore d'expliquer que l'on va tenter ceci ou cela pour
voir. Il faut toujours se souvenir qu'il s'agit d'objectiver ce qui
n'est que subjectif : la détresse psychologique. Il faut aussi se défier
des idées toutes faites comme ces schémas, ces modèles explicatifs qui
une fois qu'on les a lus n'aident en rien lorsque l'on est face au
patient !
Bref si vous n'êtes pas bien formé, à l'instar du plombier compétent venu réparer une fuite, et que vous n'êtes pas armé pour parfois remettre les pendules à l'heure, alors il y a de grandes chances pour qu'un jour vous souffriez de "traumatisme vicariant" ou de "fatigue compassionnelle". Mais dans ce cas, je ne vois pas ce que vous viendrez foutre dans l'exercice de ce métier. Aider pour aider, c'est se vautrer dans un christianisme dévoyé pour jouer les dames de charité.
Ceci dit, je dois être honnête car ce que j'explique ici, le livre le dit même s'il l'exprime moins directement. Fort doctement et comme si c'était les choses les plus intelligentes qu'un ouvrage destiné aux professionnels puisse expliquer, les auteurs édictent qu'il faut être bien formé et être soi-même très stable pour pratiquer une profession d'aide en évitant les fameux "traumatismes vicariants" et autre "fatigue compasionnelle".
D'ailleurs je me serais laissé dire que si vous prenez un jour les commandes d'un A380 en plein vol, il valait mieux être formé si vous ne voulez pas ressentir un gros stress lorsqu'il faudra atterrir. Il semblerait que poser votre A380 sur ventre en ayant oublié de sortir le train entraine un "traumatisme vicariant" et qu'affronter l'incendie qui se déclarerait à bord par la suite puisse donner lieu à une "fatigue compassionnelle" après avoir vu tous vos passager cramer.
4 Comments:
un confrère québécois, autant dire un américain qui parlerait français.
Oh oui! Ne surtout pas les prendre pour des français vivant en Amérique.
@ El Gringo : Oh non, chaque fois que leur parle, je m’accroche avec eux.
Esti de calis de tabarnak!
Mais faire un blog et s'y exprimer en faisant tout pleins d'articles expliquant ses pensées peut être aussi un bon remède contre la fatigue compassionnelle et autres burning out!
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