28 novembre, 2016

Elections américaines et angoisse !


C'est assez drôle car durant des décennies que je me suis moqué des élections américaines. Sans doute, y avait-il un impact réel entre le choix du président américain et ma vie, mais à l'instar de la plupart des français, je n'y faisais pas plus attention que cela. Je me bornais à connaitre le nom de l'élu et puis c'est tout. Bien que né sous le mandat de Johnson, je n'ai connu véritablement leur nom que depuis Gérald Ford. Je suis allé pour la première fois aux États-Unis sous le mandat de Carter, le marchand de cacahuètes puis une seconde fois sous celui de Reagan, l'acteur de séries B. J'ai de vagues souvenirs du premier durant la crise iranienne et un peu du second que l'on accusait d'être un acteur idiot.

Cette fois-ci c'était différent, c'était Trump contre Clinton et j'étais très nettement pour le premier et contre la seconde. Pourquoi ? Oh simplement parce que les rodomontades de vieux généraux américains à l'encontre de Poutine commençaient à me faire un peu peur et que je préfère la paix à la guerre. Trump promettait l'apaisement et je trouvais cela bien. Et puis, autant l'avouer, Hilary Clinton étant la candidate mainstream choisie par les médias et l'establishment, cela m'amusait d'être contre. C'est toujours amusant de voir le visage défait d'un journaliste de BFM qui se prend la réalité de face comme un train, surtout quand il était persuadé de la justesse de ses analyses et de ses prédictions. C'est un peu bête je l'avoue mais bon, quand on est né vieux comme moi, on pense à l'éternité depuis trop longtemps pour se laisser accaparer par ces bêtises.

En outre, je soutenais Trump parce que c'est un vrai promouvant et que cela m'amusait que l'on donne pour une fois sa chance à un mec un peu comme moi. C'est vrai, nous les promouvants, dans un monde régi essentiellement par les concours et l'excès de contrôle, un monde dans lequel on révère plus la constance que les coups d'éclat, nous n'avons plus vraiment de place. Au mieux, on échoue à des postes subalternes, au pire on nous taxe de TADAH pendant qu'on ronge notre frein en silence, encaissant notre déclassement, laissant nos épées se rouiller dans leurs fourreaux, ressassant notre rancœur envers ce monde fait pour les pisse-froids.

Ceci dit, n'ayant pas plus que cela suivi la campagne j'aurais été bien en peine de savoir qui allait gagner de Donald ou d'Hilary. Tous les médias la donnaient gagnante et n'ayant pas d'éléments en ma possession pour me faire une idée personnelle, je ne pouvais que me dire qu'elle allait effectivement gagner. Je m'étais fait à cette idée, ne nourrissant sur la fin qu'un mince espoir de voir mon champion triompher. C'est donc un point important de l'angoisse, puisque vous en conviendrez, en l'absence de données fiables, il est bien difficile de savoir si c'est l'événement A ou B qui va survenir.

Comme le disait un confrère américain, la meilleure image de l'angoisse qu'il donnait à ses patients, c'était de leur expliquer la manière dont conduisait sa mère, fort mauvaise conductrice, avec un pied sur l'accélérateur et un autre sur le frein ! Un coup j'y vais, un coup je n'y vais plus. Être anxieux c'est ne pas pouvoir choisir ou décider ou même accepter que ce sera A plutôt que B ou l’inverse. C'est être comme l'on dit trivialement, "être assis le cul entre deux chaises". D'ailleurs on peut imaginer l'angoisse comme étant un système d'alarme qui sonnerait tant que l'on n'a pas choisi une chaise ou l'autre, A ou B ! En termes de souffrance, si le deuil fait mal au moins peut on espérer qu'il ait une fin tandis que l'angoisse n'en a jamais. Si un deuil bien mené conduit à l'acceptation, une angoisse laissée libre conduit à la crise paroxystique ou au trouble anxieux généralisé.

Ainsi, s'agissant des élections américaines, je préférais Trump que Clinton mais ne disposais personnellement d'aucun élément me permettant soit d'espérer soit de faire mon deuil. Fort heureusement, je possède dans ma clientèle des individus surprenants capables de deviner les choses assurément. Comment ? Je n'en ai aucune idée. Toujours est-il que moi, le capricorne sérieux toujours les deux pieds sur terre, je ne dispose par de leurs antennes capables de telles intuitions. Moi, tout ce que je peux faire, c'est de saisir des informations parfois ténues et de les mettre en équation. Pour cela, je suis très fort, vraiment. Je suis un très bon profileur. En revanche, je suis dépourvu d'intuition. Eux non, bien au contraire.

L'une, âgée de trente-six ans, que je surnommerai la sorcière et l'autre, âgé de quarante-cinq ans que je surnommerai le devin, m'avaient assuré dès les primaires républicaines que ce serait Trump qui en sortirait vainqueur alors même qu'on le plaçait comme outsider. Et force est de constater qu'ils avaient raison. Comment l'ont-ils sur, je n'en sais fichtre rien et sans doute qu'eux non plus même si après coup, ils ont tenté d'intellectualiser leur démarche. Dans les faits, l'un et l'autre avaient plus ou moins deviné que ce serait Trump qui sortirait le vainqueur de ces primaires, rien de plus.

Puis vinrent les élections proprement dites avec leur lot de rebondissements et de révélations crapoteuses. On avait Trump le sexiste un peu dégueulasse contre Hilary la magouilleuse même si d'après les médias, cette dernière n'était jamais présentée de cette manière mais plutôt comme une sorte de sainte intouchable sous peine d'être taxé de "populisme". Encore une fois, je n'avais aucun élément en ma faveur pour savoir qui gagnerait.

Le soir des élections américaines, me prenant au jeu, je suis resté éveillé tard dans la nuit. L'oeil rivé aussi bien sur les chaines d'informations que sur le site du New-York Times, fort bien fait au demeurant, qui présentait les résultats en temps réel. En début de soirée l'avantage était très nettement en faveur d'Hilary, donnée gagnante à plus de quatre-vingt pour cent. Je n'en menais pas large. Je suis resté des heures en contact par SMS avec le devin qui suivant les élections depuis chez lui. Même lui commençait un peu à douter de ses prédictions devant la réalité alarmante des chiffres ! Un peu anxieux et toujours incapable de savoir si j'avais raison d’espérer ou si au contraire j'aurais des raisons de pleurer, j'envoyai alors un sms à la sorcière pour savoir quel serait son pronostic compte tenu des prévisions en temps réel émanant du New-York Times. 

J'eus alors une réponse étonnante par laquelle la sorcière me disait que Trump allait gagner, que c'était une certitude, qu'elle allait se coucher et qu'elle se réveillerait au matin pour avoir la bonne nouvelle. Bien que la méthode manque singulièrement de base scientifique, je gardai donc espoir envers et contre tout et décidai de rester éveillé une grande partie de la nuit pour suivre ces élections. Et c'est ainsi que vers trois heures du matin, un changement s'amorça, l'aiguille du compteur de probabilités se mit à évoluer dans l'autre sens, doucement mais inexorablement et une heure après les jeux semblaient totalement faits, Hilary allait perdre, Trump était donné gagnant à plus de quatre-vingt pour cent !

J'étais toujours en lien par SMS avec le devin qui suivait les élections en même temps que moi. D'un commun accord, nous étions sur TMC ou une émission baptisée La nuit américaine et animée par Yann Barthès avait lieu en direct. Dès trois heures trente effectivement, les visages semblaient tendus et une heure plus tard, le plateau, animateur, invités et spectateurs, tous entièrement acquis à Hilary se mettait à craquer. On vit alors des visages figés, des invités en pleur, des chroniqueurs masquant mal leur colère. D'autres au contraire semblait en état de sidération qui est est un état de stupeur émotive dans lequel le sujet, figé, inerte, réalise un aspect catatonique par son importante rigidité. Le devin et moi, cruels comme il se doit, nous en avons beaucoup ri ! Ils avaient rêvé d'Hilary et ils auraient Trump, la grande gueule populiste. 

Cette nuit là, nous n'avons dormi qu'une heure et demie mais quel spectacle ! Quant au lendemain, ce fut encore plus drôle de voir tous ces analystes et futurologues en carton bafouiller, en comprenant pas pourquoi leurs prédictions ne s'étaient pas réalisées. Quant à savoir ce que fera ou non Trump, j'avoue m'en foutre un peu dans la mesure où je ne suis pas américain. 

En revanche dans les jours qui ont suivi j'ai eu quelques patients très anxieux à l'idée que Trump allait prendre la suite d'Obama. On a beau savoir qu'il y a quantité de contre-pouvoirs et que même sous Staline qui était tout de même un mec bien barré, la guerre n'a pas éclaté, rien n'y faisait, certains voyait l’élection de Trump comme l’avènement d'un nouvel Hitler qui allait ravager le monde. C'est toujours drôle de constater que chez les gens de gauche, dès que l'histoire ne va pas dans leur sens, il faut qu'ils convoquent Hitler le repoussoir pour asseoir leurs préférences. 

Bien entendu, professionnellement, je suis resté neutre, dissimulant ma joie de voir Trump élu, me contentant de rassurer ces pauvres âmes perdues au milieu de flots impétueux qui allaient les mener vers une guerre mondiale. A force de croire les journalistes, on en vient à penser n'importe quoi. J'ai donc rassuré du mieux que je l'ai peu, cela très sincèrement parce que je ne pense pas que Trump soit un danger pour le monde même s'il semble parfois un peu taquin dans ses prises de position.

Et tandis qu'une patiente avait du mal à adhérer à mes vues rassurantes, je lui expliquai alors que Trump étant natif du signe des Gémeaux, il n'avait en aucun cas les qualités adéquates pour faire un bon dictateur. Parfois, face à des peurs irrationnelles, je n'ai rien d'autres que des explications irrationnelles à opposer !

Même si tout au fond de moi, je sais bien qu'un natif du Gémeaux ne fera jamais un bon dictateur !

11 novembre, 2016

Apparitions !


C'est aujourd'hui le onze novembre et comme toujours depuis dix ans que je tiens ce blog, voici un petit article pour commémorer ce jour. Aujourd'hui parlons de grandes mystiques.

Il se trouve que cet été, comme je traînais un peu dans l'est de la France, dans ce qu'on appelle la diagonale du vide, cette bande de territoire où il n'y a rien ou presque et où il n'y aura bientôt plus rien du tout, je me suis dit que quitte à être dans le trou du cul du monde, autant en profiter pour voir les curiosités locales. Aussitôt dit, aussitôt fait et je décide donc de faire un détour par Domremy-la-Pucelle, localité qui vit naitre Jeanne d'Arc un 6 janvier 1412.

Déjà, il s'agit de trouver l'endroit paumé au milieu de nulle-part et on ne peut pas dire que le département des Vosges ait beaucoup insisté pour l'indiquer ! On pourrait passer juste à côté sans qu'un panneau ne l'annonce. A croire que la région est bourrée de monuments et croule sous le tourisme.

Le contact avec Domremy-la-Pucelle est un peu rugueux. Il est 13h45 et lorsque j'entre dans l'unique restaurant de la ville pour demander si ils servent encore, j'essuie un "non" mal-aimable. Enfin, c'est peut-être une manière de communiquer des gens du cru. A moins que ce restaurant ne fasse un tel chiffre d'affaires qu'il puisse se permettre d'envoyer "chier" les clients. C'est vrai qu'en province, se pointer à 13h45 pour déjeuner, c'est assez fou. Quoiqu'il en soit, nous ne déjeunerons pas et partirons faire la visite de la maison de la Pucelle.

Il y a quelques dizaines de voitures sur le parking. Ce n'est pas l'affluence du château de Versailles. On sent que l'on ne va pas se marcher dessus. Tout d'abord, visite de l'église où fut baptisée Jeanne qui est restée la même si ce n'est qu'ils ont inversé l'entrée ! J'en profite pour mettre un cierge à la Pucelle en lui demandant d'intercéder auprès de Dieu pour qu'il nous débarrasse des socialistes. Ça ne peut pas faire de mal !

Ensuite, nous nous dirigeons vers la maison de Jeanne, celle où elle vécut vraiment et qui n'a pas bougé depuis le XVième siècle. Tout est en l'état et comme c'est très petit, cela se visite vite ; les alentours sont bien tenus avec la présence d'un petit jardin médiéval où poussent des simples. On se dirige ensuite vers le musée proprement dit qui est un bâtiment moderne dans lequel est restitué la vie de Jeanne à son époque au milieu de la guerre de cent ans. C'est le moment de se remémorer tous ces noms jadis appris et à peu près oubliés. 

Notons qu'une petite cinéscénie permet de restituer tout cela avec des personnages en costume et une voix off qui nous raconte les débuts de la fameuse guerre de cent ans. Dans un coin, figure même un turc dont on apprendra qu'il ne jouera aucun rôle puisque l'empire ottoman n'a effectivement aucun lien avec la guerre de cent ans. C'est sans doute la résultante du vivre-ensemble qui fasse que dans un endroit où il n'a rien à faire, on trouve tout de même un turc. En revanche les tribus amazoniennes ont été clairement stigmatisées puisque aucun Bororo ou Kalapalo n'est présent ! Sur le moment j'ai envisagé dès mon retour de monter un collectif afin de lutter contre cette odieuse discrimination !

Notons aussi que si on restitue l'histoire de Jeanne, aucune mention n'ait faite de sa canonisation. Ici, en terres muséographiques, on ne retient que le personnage historique mais on combat clairement le goupillon. On souscrit à une très rigide laïcité qui fait que Jeanne d'Arc nait, vit et meurt à Rouen en 1431. Ce qui se passe après, on s'en fout, ça n'existe pas. La béatification de 1909, la canonisation de 1920 et le culte fervent dont elle fut l'objet ne sont pas enseignés. Fin de la visite.

De retour sur Paris, lorsque mes rendez vous ont repris et qu'on a parlé de vacances avec mes patients, j'ai dit que je m'étais rendu sur le lieu de naissance de Jeanne d'Arc. J'ai été très étonné que la plupart ne sachent pas où elle était née. Pour moi, né en 1967, Jeanne d'Arc était née à Domremy en Lorraine. Certes j'aurais été infichu de le trouver sur une carte pas plus que de savoir dans quel département était situé le village. Mais Domremy m'était familier. 

J'ai même pu constater qu'il y avait un clivage entre les gens nés avant 1977 et les autres. Tandis que les premiers connaissaient l'endroit, les second n'en connaissait pas le nom. Comme me l'a expliqué une jeune patiente, ayant pourtant deux ans d'avance et actuellement en cinquième année à l'IEP de Paris, c'est une question de génération. Elle n'avait pas tort. Ce que j'ai appris ne différait sans doute pas vraiment de ce qu'ont appris les dix générations qui m'ont précédé. Puis, les réformes et le pédagogisme à haute dose sont arrivés et l'histoire a été enseignée différemment. Quant à moi, j'en suis un peu resté au Tour de la France par deux enfants. Ça commence à dater ! J'ai connu le tableau noir et les craies et ma première institutrice était née en 1906.

Jeanne d'Arc deviendra le symbole de l'unité nationale durant les deux guerres. Et bien qu'elle fut canonisée, on en fit une sorte d’héroïne laïque, la figure d'une France qui ne se résout pas à abandonner quand tout semble fini.

C'est sans doute l'exemple de Jeanne d'Arc qui incita Claire Ferchaud lors de la première guerre mondiale à l'imiter. Cette religieuse, native de Loublande en Vendée, entrée en religion sous le nom de sœur Claire de Jésus Crucifié, fut une mystique dévote du Sacré-cœur de Jésus qui pendant le premier conflit mondial prétendit s'être fait confier une mission par le Christ.

A la fin de l'année 1916, en pleine bataille de Verdun, elle explique qu'elle aurait eu une vision de Jésus lui montrant son cœur « lacéré par les péchés de l’humanité » et traversé par une plaie profonde encore  : l’athéisme.

S'estimant investie d'une mission surnaturelle, elle souhaite contacter Raymond Poincaré en lui proposant, entre autre, de faire apposer l'image du Sacré cœur sur le drapeau français. Grâce à l'intervention d'un député royaliste, elle le rencontre mais ce dernier lui explique qu'il ne peut à lui seul changer la loi. Il lui promet d'en parler à la chambre des députés, ce qu'il ne fit, bien sur, jamais.

Loin de se lasser, l'année suivante elle adresse une lettre d'avertissement à plusieurs généraux d'armée en leur demandant que l'image du sacré cœur figure sur nos couleurs. On sait aujourd'hui que seul le Général Foch a consacré les forces armées françaises et alliées au Sacré-cœur l'année suivante au cours d'une cérémonie privée. 

L'église étudia les crises mystiques de Claire Ferchaud mais le 12 mars 1920, un décret du Saint-Office désavouait ses dires en estimant que les « faits de Loublande » ne pouvaient être approuvés ». Sans doute que très fragilisée par la crise de 1905, l’Église ne souhaitait plus donner de crédit à des faits surnaturels s’immisçant dans le politique. Claire Ferchaud s'est éteinte en 1972.

Aujourd'hui, Claire Ferchaud est presque totalement oubliée même si son souvenir survit néanmoins dans les milieux traditionalistes et monarchistes.

si un jour, je vais traîner mes guêtres en Vendée, je passerai par Loublande. Après être allé voir Jeanne, pas de raison d'ignorer Claire. Dès fois qu'elle ait vraiment vu quelque chose.

Pas envie d'être damné moi !

07 novembre, 2016

Dix ans déjà !


Vous l'aurez noté, j'écris peu depuis quelques temps. J'ai beaucoup de travail et d'occupations qui ne me laissent pas le temps de venir sur ce blog ce que je regrette. J'ai aussi peut-être moins d'inspiration et il en faut pour écrire des articles. Le temps je le retrouverai et l'inspiration aussi, je n'ai pas d'inquiétude. J'ai noté qu'il suffisait que je m'installe à mon bureau, que j'ouvre mon i-Mac pour qu'elle revienne. Je crois en effet que c'est en forgeant qu’on devient forgeron. Si l'on se tient loin de l'ouvrage, rien n'avancera.

A dire vrai mon éloignement n'a rien à voir avec le manque de temps ou d'inspiration. Du temps, j'en ai à revendre puisque j'ai organisé ma vie afin de pouvoir disposer de cette ressource dont tout le monde manque : le temps ! Pour en faire quoi ? La plupart du temps rien, d'autres fois, des choses. Quand je ne fais rien, je ne fais pas rien d'ailleurs, je lis, je collecte des centaines d'informations inutiles que je stocke dans ma mémoire. 

Je me laisse alors voguer au gré de mes lubies pouvant aller d'un centre d'intérêt à un autre. Comme je l'ai souvent écrit et je crois être "l'inventeur de ce néologisme", je suis lubique. C'est d'ailleurs sans doute ce que j'aurais détesté à travers l'école puis les études supérieurs, cette obligation d'engranger des connaissances utiles au mépris des chemins de traverses que j'adore emprunter. 

Je suis toujours stupéfait en voyant les gens aussi affairés autour de moi, toujours occupé à faire quelque chose qui leur semble important, n'ayant de temps pour rien d'autre et surtout jamais pour se laisser vivre. Moi j'ai organisé ma vie autour de mon activité professionnelle et de ma glandouille, cinquante/cinquante. Je concentre tous mes rendez-vous sur trois jour et demie, et le reste, je ne fais rien de précis, si ce n'est quelques menues obligations que je me dois d'accomplir. Et encore sont elles mineures dans la mesure ou je suis parvenu à n'avoir que des liens très très ténus avec la vie telle que l'envisage mes concitoyens. 

Mon éloignement de ce blog, je crois que je le dois à ce fabuleux outil qu'est mon i-Pad air. C'est petit, léger, et doté d'une très bonne autonomie et cela me permet de lire sans quitter mon canapé. De ce fait, j'approche beaucoup moins de mon i-Mac et de ce fait de mon blog ! Je pourrais bien sur écrire de mon i-Pad mais quiconque a déjà tenté de taper un long texte sur un clavier virtuel sait que c'est impossible. Quand je vois mon épouse répondre à ses mails de son i-Phone, je suis admiratif, moi je ne pourrais pas. Je me borne à envoyer de brefs SMS, c'est vraiment tout ce que mes gros doigts gourds me permettent !

Pourtant ce blog, je l'aime beaucoup, il m'aura apporté beaucoup de bonheur et surtout beaucoup de belles rencontres. Si j'en parle ainsi aujourd'hui, c'est que cela fait dix ans déjà que je l'ai ouvert. Au départ, j'envisageais juste d'écrire des articles pour montrer que la réalité de nos cabinets, n'était pas celle que l'on décrit dans les romans ou les séries télévisées. J'en avais marre de l'image du psy froid, à la limite du sadisme et dénué d'empathie, pratiquant la reformulation rogerienne face à un patient dénué de toute pathologie que l'on nous présente sans cesse. J'avais envie de montrer une autre réalité, du moins celle qui est la mienne. Puis, de fil en aiguille, et parce que mes capacités de concentration sont limitées, je ne suis pas parvenu à suivre parfaitement la ligne éditoriale que je m'étais fixée et mes articles ont tapé dans tous les sens. Je gage que bon nombre de mes confrères me lisant ont du s'interroger sur ma santé mentale.

Elle va bien rassurez vous, ma santé mentale. Si je me suis laissé aller à écrire sur tout et n'importe quoi, c'est j'ai toujours été partisan de la dédramatisation. Quand je me suis installé voici bien des années, un vieux psychiatre m'avait mis en garde en m'expliquant que nous étions nombreux sur Paris. Je lui avais alors rétorqué qu'il avait sans doute raison et qu'il m'appartenait de faire valoir un savoir-faire différenciateur. Ce savoir-faire différenciateur tenait pour moi en deux choses : d'une part le fait que j'aie eu une vie avant qui me permette de comprendre ce que l'on me raconte sans pour autant psychologiser et enfin ma capacité à dédramatiser, sachant que de toute manière on finira tous par mourir et que ce serait idiot de mourir malheureux. 


En dix ans j'aurais donc écrit des centaines d'articles sans doute très très inégaux sachant que mon objectif était en premier lieu de me faire plaisir et enfin d'être utile si d'aventure quelqu'un me lisait. Au départ, je ne pensais pas qu'on me lirait, ou alors par erreur, au gr d'une requête Google qui aurait égaré quelqu'un par hasard chez moi. A aucun moment, je n'avais envisagé que ce blog puisse me permettre d'avoir accès à une patientèle. Vous aurez noté qu'il est anonyme même s'il est possible par je ne sais plus quel tour de passe-passe d'obtenir mes coordonnées. Je l'ai ouvert pour moi, pour me faire plaisir, parce que j'aime écrire même si je ne mets aucune prétention dans cette activité. Donnez moi un carnet et un stylo et je suis heureux alors imaginez mon bonheur avec un ordinateur !

Dix ans se sont passés que je n'ai pas vus disparaitre. J'avais trente-neuf ans et j'en ai aujourd'hui quarante-neuf. Le monde va de plus en plus mal. Rien n'a évolué dans le bon sens en dix ans mais pour ma part, je surnage, je m'accroche et tout ne va pas si mal. Je reste stoïque et confiant pratiquant depuis longtemps un pessimisme optimiste de bon aloi : ça va mal finir mais après ça ira mieux.

Et bien que je ne l'ai pas cherché ce blog est aujourd'hui à l'origine de la moitié de ma clientèle. Il y a dorénavant les patients envoyés par les médecins pour qui j'ai évidemment le plus profond respect et ceux du blog qui restent pour moi particulier et pour qui j'aurais toujours plus de tendresse. Il faut dire que ce blog m'aura permis de connaitre des individus hors du commun que je pense, bien peu de confrères voient dans leurs cabinets.

En premier lieu j'ai été étonné d'être lu par autant d'ingénieurs. Pourtant, c'est de loin la catégorie socio-professionnelle la plus importante à être venue via ce blog. J'en ai tellement qu'aujourd'hui, je pourrais ouvrir une SSII ou un cabinet de conseil. Bien sur, mes ingénieurs à moi restent très très atypiques, cela va de l'ingénieur des Mines se passionnant pour les langues tokhariennes jusqu'au polytechnicien glandeur en passant par le centralien féru d'astrologie. J'ai une clientèle d'ingénieurs allumés assez improbable. Bien entendu, le terme "allumé" n'a rien de péjoratif bien au contraire ! Tous sont assez talentueux pour que leurs activité professionnelle ne représente qu'un faible pourentage de leur puissance de calcul, ce qui leur permet de se passionner pour des sujets parfois très ésotériques. C'est un vrai régal puisque cela me permet aussi de partager mes centres d'intérêt parfois étranges.

Ensuite, j'ai aussi eu beaucoup de médecins. Une fois encore, j'aurais pu monter un hôpital privé ! Du simple généraliste jusqu'aux spécialistes en passant par des chirurgiens, j'ai tout eu même parfois des spécialités peu communes comme une hématopédiatre ou une anatomopathologiste. Parfois, sachant qu'ils aiment à se tirer la bourre entre eux, chacun d'eux étant forcément le produit du concours très difficile de l'internat, le résultat d'une lutte à mort, je m'amuse à les opposer les uns aux autres. Le meilleur client à ce jeu là étant bien sur Le Touffier, chirurgien obstétricien de son état, à qui j'adore dire que j'ai dans ma clientèle un cardiologue qui pense le contraire de ce qu'il vient de me dire. Là, il bondit et ne cesse de me dire que les cardiologues sont des ù$@# et pire encore des &"'§# dont la pensée ne doit jamais être prise en compte. C'est toujours drôle de le voir bondir ainsi. 

Enfin, j'ai aussi eu des professions plus confidentielles comme des policiers, des pompiers, des gendarmes, des militaires et même un petit gars de la Royale. Savoir que je suis lu dans ces cercles aussi étonnants que l'infanterie de marine, une frégate, une caserne de pompiers, une gendarmerie, un commissariat ou la DGSI m'amusera toujours. On se met derrière un écran, on tape et on ne sait jamais où finiront nos mots.

Une patiente récente, envoyée par quelqu'un venu précédemment du blog, m'a récemment dit que j'avais une clientèle étonnante et d'un niveau  très très élevé. Je lui ai dit que c'était du à mon blog et que moi-même je ne me l'expliquais pas toujours. J'écris, je m'amuse la plupart du temps même si parfois je sais être grave et je ne maitrise pas le résultat. Sans doute que mon approche pragmatique de ma pratique alliée à mes idées politiques anarcho-droitières ont du séduire des personnes qui habituellement se méfient de ma profession. Effectivement, aller mieux n'est pas très compliqué. Pour d'autres encore, il a sans doute du exister suffisamment de similitudes entre eux et moi pour que cela les rassure. Oui, on peut sembler étrange à beaucoup de gens, avoir des lubies, des idées baroques sur le monde et n'en pas moins être totalement structuré et opérationnel.

Ces dix ans sont évidemment l'occasion de remercier tous ceux qui m'ont fait confiance en venant me consulter en espérant que je n'aurai pas démérité. Je ne le crois pas. Sincèrement, je pense avoir toujours rempli mon obligation de moyens, ne ménageant ni mon temps ni ma peine pour aider du mieux que je peux ceux qui m'ont fait l'honneur de me consulter.  

Bien sur, sur le nombre, j'ai un ou deux regrets, une ou deux personnes pour qui je me dis que j'aurais sans doute pu mieux faire. Mais que voulez-vous, je ne suis pas à l'abri d'erreurs. Erreurs que je m'empresserai de réparer si d'aventure ces quelques personnes prenaient de nouveau rendez-vous.

Dix ans viennent de passer et je m'en souhaite dix autres, aussi calmes et agréables que celles qui viennent de s'écouler. Je resterai fidèle à mon blog et quitterai ma tablette afin d'écrire plus souvent. 

Dans tous les cas, chers lecteurs, je vous remercie tous de votre fidélité et espère que vous m'accompagnerez pour ces dix prochaines années.