24 février, 2014

Les collectionneurs !


Bon, tout à l'heure, n'ayant rien d'autre à faire, comme je vous le disais j'ai écrit au responsable d'un forum dédié aux Jaguars anciennes. Je lui ai bien expliqué que loin de moi l'idée d'être un vilain rat profiteur, ne sachant que quémander des conseils (3 en un an pas plus ceci dit) j'aurais bien aimé moi aussi proposer mes compétences en échange. Toutefois, n'en ayant aucune en matière de mécanique, je lui proposais avec humour de lui offrir les cinq premières séances de thérapie pour lui ou un membre de sa famille dépressif ou anxieux. Avouez-que c'est sympa non ?

Mais bon, autant tenter de rigoler en garde à vue avec le flic assis en face de vous décidé à vous arracher des aveux à tout prix. Le responsable du forum ne semble pas avoir plus d'humour qu'un juge d'instruction et me répond ainsi :

Je pense que malgré votre compétence en psychanalyse vous n'avez pas bien cerné le but de ce forum.
Il n'est pas obligatoire d'être un expert pour participer au forum.
A chaque fois que vous faites un dépannage sur votre véhicule ou une intervention il est intéressant d'en faire un retour d'expérience afin de tracer et qu'ensuite cela puisse servir à un autre membre qui aurait un problème similaire. C'est simple comme démarche non c'est ce qu'on appelle un échange.
Donc un petit effort de votre part et les relations sur le forum n'en seront que plus amicale.

La réponse est carrée et constitue un rappel à l'ordre pur et simple. Ici on ne rigole mais on noue des liens de bonne camaraderie au travers d'échanges basés sur la restitution d'expériences. Peut importe que je lui explique que je n'aie aucune expertise en termes de mécanique ou d'électricité automobile, c'est ainsi. Les déviants ne sont pas admis et les petits rigolos comme moi qui n'adopteront pas la ligne du partie seront châtiés et sans doute virés manu militari pour non respect de la charte. On n'accepte que soi-même et ceux qui lui ressemble.

Que veut-il que je lui raconte ? Que cherche-t-il de ma part comme retour d'expérience ? La dernière fois que j'ai fait le plein d'essence ? La fois ou muni d'un seau et d'une éponge, je l'ai lavée avant de passer la peau de chamois pour l'essuyer ? Ne sachant rien faire de technique, mes retours seront minces. Alors qu'il limite l'accès de son forum à ceux qui savent et le ferment aux béotiens comme moi qui n'avaient pas d'autres buts que de rouler dans une jolie voiture en ne devinant pas que celle-ci serait sans cesse victime de micro pannes ennuyeuses.

J'ai ainsi eu une panne électrique et c'est un ami polytechnicien, un retraité, qui me l'a réparée. Muni de son voltmètre, sérieux comme un pape, il a passé deux heures pour la diagnostiquer et l'a trouvée. Cela m'a couté un restaurant où je lui ai offert une côte de bœuf. Est-ce cela qu'il souhaite comme retour d'expérience, que je pratique la côte de bœuf contre l'expertise ? Ou alors, comme j'ai de l'imagination, je pourrais aussi lui en inventer des expériences. Ainsi, je pourrais avec un sérieux à toute épreuve lui expliquer comment au bord de l'autoroute, j'ai changé un moteur muni pour tout viatique de deux silex et d'un tournevis rouillé.

De toute manière, ce type est un contrôlant absolument dénué de tout humour qui a pris ma prose au pied de la lettre. C'est ce que l'on nomme un collectionneur. Et qu'ils amassent des timbres, des pièces ou des voitures, les collectionneurs sont des gens étranges et souvent peu amusants. Ils peuvent au début sembler farfelus tant leur collection les anime mais que l'on ne s'y trompe pas, leur manie, car c'en est une, n'est qu'une sorte de "folie" contrôlée qui les empêche de sombrer dans la dépression.

Le collectionneur d'automobiles anciennes, est loin d'être un rigolo. C'est un type qui ne vit que pour sa passion, admirant le moindre boulon et la moindre vis. Il collectionne et amasse tout ce qui concerne sa passion, des prospectus publicitaires au moindre article paru dans la presse.

Il se réunit avec des amis à lui qui ont exactement la même voiture que la sienne et qu'il ne cesse de regarder alors qu'il aurait pu contempler la sienne sans bouger de chez lui. Mais ça n'aurait pas été pareil parce que celle de son ami n'a pas forcément la même couleur et qu'en plus cela le fait baver de voir les dix, cinquante ou les cent mêmes véhicules que le sien garés en rang d'oignon !

Le collectionneur se distingue donc de l'honnête homme par sa propension à amasser et à trier, classer inlassablement.  Sous des dehors parfois sympathiques, c'est un inquiet obsédé du contrôle. C'est un enfant malheureux à qui l'on n'a pas assez prodigué de soins et qui s'accroche aux objets pour assouvir sa soif de sécurité affective. C'est un inquiet, une jeune enfant qui n'avait sans doute pas beaucoup d'amis et qui aura toujours besoin de la médiation d'un objet pour s'en faire, et encore pourvu que l'objet de l'autre soit le même que le soin.

C'est finalement un miroir qu'il recherche. Incapable de nouer un lien avec ce qui le dépasse et le différencie des autres, le collectionneur, fétichiste un peu honteux qui savoure sa passion en secret, ne se dévoile que face au même que lui, pour qui il ne sera pas un sujet de moquerie ni de honte. Il n'y a qu'à voir une sorte de club d'automobiles anciennes pour constater la tristesse qui y règne.

Certes je ne m'appuie que sur une sortie pour l'analyser. Mais quel ennui que de voir ces adultes, ces grands enfants à peine sevrés affectivement, rouler à la queue leu leu, pour garer leurs jolies voitures en rang d'oignon à un endroit d'où ils repartiront pour aller se regarer ailleurs. Et lors des pauses, ce ne sont que sourires crispés, fausse joie, liesse factice entre eux parce que sitôt qu'ils cessent d'admirer un boulon d'origine, une peinture lustrée dont le ton est strictement conforme au catalogue constructeur, ils perdent toute facilité à échanger comme de gosses mal aimés qui traineraient seuls dans une cour de récréation tandis que leurs petits camarades s'amusent.

La collection représente l'expression de leur valeur sociale et l'unicité farouche de leur passion leur permet de se comparer de manière simpliste aux autres. Ayant peu d'habiletés sociales, le collectionneur a du mal à éprouver de l'empathie. Non qu'il soit sociopathe mais que la valeur intrinsèque d'un individu ne puisse lui apparaître de manière simple. Je t'aime bien pour ce que tu es devient, je t'aime bien parce que tu as aussi une belle voiture comme moi. Si toutefois ta voiture était bien moins bien que la mienne, je t'aimerais bien aussi mais sans doute un peu moins.

Le plus amusant est que ma description puisse donner à penser qu'il s'agirait presque d'autistes d'Asperger. Même pas et surtout pas. Chez ces collectionneurs, j'ai vu des ingénieurs de haut niveaux, des médecins spécialistes et généralement beaucoup de personnes ayant des professions en vue. Ainsi, je me souviens d'un médecin me racontant qu'il avait passé dix ans à trouver le cerclage en zamac de la lunette arrière de sa capote. Qu'il l'ait cherché pour avoir une voiture en état ne me choquait pas. En revanche qu'il me présente cela comme la quête du Graal et l'affaire de sa vie m'a un peu alerté sur son niveau de maturité psycho-affective.

Collectionner est une entreprise solitaire où l'on ne lie que de brefs rapports ayant peu d'intensité émotionnelle avec d'autres moi-mêmes. C'est une activité masturbatoire un peu triste. C'est le degré zéro du fétichisme, un peu comme celui auquel s'adonnerait un collectionneur d'escarpins qui se masturberait en caressant un talon haut au lieu de les voir porter par sa copine. C'est l'écologiste qui rêve d'une nature intacte sans l'homme à la différence du type soucieux de l'environnement pour mieux y vivre.

Le collectionneur parce qu'il est dépressif et a été sans doute mal aimé est difficilement capable d'aimer autrui. Bloqué affectivement, il donne à sa passion ce qu'il n'ose donner à d'autres de peur d'être déçu. C'est d'ailleurs ce que me reproche le responsable du forum : prendre sans donner en échange. Comme si j'étais une sorte de mère toute puissante incapable de lui prodiguer les soins qu'il réclame en retour des bisous qu'il me fait. Le forum devient bien plus qu'un lieu d'échange, un lieu où l'on devrait régler ses manques affectifs. J'ai d'ailleurs noté que certains, parmi les fondateurs, y passaient des heures et des heures. C'est un comportement addictif qui ne dit pas son nom mais se teinte de la bienveillance que l'on octroie forcément à une occupation banale et bon enfant.

Toute décision, toute action nécessite que l'on puisse en déterminer les buts. Et là, le collectionneur sèche souvent. Il achète, amasse et montrer à ceux capables de le comprendre mais rien de plus. Le sentiment de manque qu'il éprouve sera comblé lors de chaque achat d'un nouvelle pièce à rajouter à sa collection. Mais sitôt la pièce en sa possession, le manque revient qu'il faudra combler. A cela, il faut rajouter l'aspect sacré d'une collection. Ayant ainsi eu la liberté d'exprimer la réserve quant à la fiabilité et la qualité de fabrication des Jaguars, j'ai été vertement remis à ma place. Sans doute qu'en acceptant l'imperfection du véhicule, j'admettais les miennes alors que le collectionneur ne cherche qu'à se dissimuler derrière la perfection de la restauration du sien.

On ne critique pas la déesse alors même que le fondateur de la marque, William Lyons avait toujours eu pour ambition de proposer des voitures sportives et luxueuses abordables. On pardonne à la voiture ses défauts parce qu'on lui porte une admiration totale. Certains m'expliquent que les Jaguars sont des maitresses exigeantes mais superbes, comme s'il se fut agi d'une femme. A vrai dire, on croirait parfois entendre le discours d'un quinquagénaire bedonnant pris dans les filets d'une jeune aventurière sans scrupules. Sans doute que certains qui se sont ruinés pour des courtisanes ont eu le même discours. Il les avait dans la peau. N’avoir déjà qu'un seul regard de leur maitresse suffisait sans doute à combler leur béance narcissique.

Bref, les collectionneurs, même si je les comprends, leur pardonne et plus encore, leur octroie la liberté de vivre la vie qu'ils désirent, m'ennuient profondément. Je suis tellement différent d'eux que je n'ai rien à faire avec eux. Je sais que nos vies peuvent se croiser à quelques moments parce que mes lubies successives m'auront porté vers une de leur passion, mais nous sommes trop différents pour nous comprendre. J'aime le lien social, parler et échanger et ils ne recherchent qu'à birser de temps à autre leur isolement au travers d'une communion au travers des objets.

Sans doute n'étais je pas si loin de cela quand par humour je lui ai proposé des séances gratuites de thérapie en échange de conseils technique. Peut-être qu'il aurait pu me raconter que sa maman ne l'aimait pas ou qu'il n'avait pas d'amis étant petit. Il se serait libéré !


Addendum :

A l'heure où j'écris le chef du forum n'ayant pas gouté semble-t-il ma prose un tantinet humoristique avec laquelle je lui réponds, mélange de fausse admiration et de vraie moquerie, m'avertit qu'encore un mot de moi et il me vire du forum. Alors là, je suis partagé. Tandis que le capricorne que je suis, est capable de présenter de fausses excuses parce qu'on ne sait jamais si je n'aurais pas besoin d'eux, mon ascendant bélier a envie de charger sabre au clair et de lui dire d'aller se branler dans sa voiture ! Ma vie n'est pas toujours simple !

23 février, 2014

Bande de malfrats !

Le deuxième en partant de la gauche semble être le chef !

Où c'est tout juste si je ne me fais pas traiter de rat !


Voici un an, tandis que tout allait bien pour moi, j'ai décidé de m'offrir une voiture. Guidé par mon incommensurable orgueil, je la voulais grosse et luxueuse mais comme l'activité que je pratique est nettement moins rémunératrice que celle de trader ou de député, il ne fallait pas non plus qu'elle coûte un bras. J'avais évidemment le choix entre une foule de modèles plus attirants les uns que les autres mais je me suis laissé avoir !

J'aurais pu prendre une Mercedes, ou n'importe quelle autre teutonne carrossée comme une walkyrie avec leur fiabilité légendaire, voire une italienne sensuelle aux finitions aléatoires mais j'ai finalement opté pour ce qu'il y a de pire, une anglaise aux formes lascives et à la réputation douteuse.

Il faut dire que lorsque William Lyons, le fondateur de la marque, a dessiné la XJ, il a eu un éclair de génie. Du museau à la croupe, toute en courbes tendues et agressives, en formes généreuses mais maîtrisée, la belle est racée. Habitués à ne produire que des modèles compassés, pompeux et passablement dépassés techniquement, les marques de luxe anglaises n'ont jamais brillé par le sex-appeal de leur production. 

Et là, née dans la cité industrielle de Coventry, c'est une superbe créature qui a vu le jour, comme si Sophia Loren aurait décide de quitter les plateaux de Cinecitta pour se pavaner dans le fog ! Et ma foi, lorsque je l'ai vue un jour de neige à Neuilly, me sourire de sa calandre chromée en m'offrant ses ailes qui ressemblent à des hanches, je n'ai pu que craquer. 

Je connaissais pourtant tout de la pitoyable réputation de la marque, dont la fiabilité plus que douteuse a même fait l'objet d'un épisode de Mad Men, dans lequel un cadre de l'agence de publicité désireux de se suicider avec les gaz d’échappement de sa voiture n'y parvient pas parce qu'elle ne démarre pas ! Mais bon, je suis un crétin, je l'ai vue et je l'ai achetée. une semaine après, je la ramenais chez moi, confortablement installé dans le cuir et la ronce de noyer !

Bien sur c'est après que cela se corse parce qu'une Jaguar n'usurpe pas sa réputation. Tandis que vous ferez des centaines de milliers de kilomètres avec une Mercedes, avec la belle anglaise, vous pourrez les faire pourvu que vous soyez prêt à être confronté à de petites pannes aussi inexplicables qu'imprévues, surtout s'agissant d'un prétendu véhicule de luxe.

Il faut dire que les ingénieurs chargés de câbler le circuit électrique se sont acharnés à le rendre le plus complexe possible tout en retenant les pires fournisseurs. Donc non seulement les pannes sont fréquentes mais leur localisation relève de l'exploit. De même, à part le moteur et la boîte de vitesse dont la fiabilité n'est jamais remise en cause, tout le reste semble avoir été fourni par les pires sous-traitants dont même Lada n'aurait pas voulu. 

Jaguar est une marque dont les véhicules vous ramènent toujours à bon port mais avec, selon les caprices de la belle, les vitres électriques bloquées, le coffre qui ne ferme plus à moins que ce ne soit les poignées de porte qui aient décidé de cesser tout travail. On vous offre cinq mètres de longueur et un poids avoisinant deux tonnes mais bien sur, c'est un minuscule composant en pastique qui vous lâchera.

Pour moin ça a commencé avec la trappe à essence restée obstinément bloquée alors que je m'apprêtais à lui mettre ses quatre-vingt litres d'essence. Et me voici comme un crétin à la pompe après avoir fait la queue, à tenter d'ouvrir cette satanée trappe. Bien entendu, ans sa grande sagesse, Jaguar avait prévu ce type de panne en proposant une ouverture manuelle à laquelle on accède en se glissant dans le coffre et en décolant une partie de la moquette qui le recouvre.

Bien entendu, peu habitué de la marque, je ne le savais pas et je l'ai appris sur le forum dédié aux Jaguars anciennes sur lequel je m'étais inscrit à tout hasard. Après une courte présentation, au cours de laquelle je parle très peu de moi et beaucoup de ma voiture, j'avais navigué et constaté que ce forum recelait une mine d'informations. Comme tous les forums, les gens voudraient créer des liens amicaux mais je crois en être incapable.

Que voulez vous que j'aie à dire sur les Jaguars ? Rien ou presque. Elles sont jolies, elle possèdent un beau six cylindres en ligne et j'aime me vautrer dans le cuir et la ronce de noyer. Sorti de là, alors que mon côté geek m'a obligé à lire un livre sur cette marque, je n'ai plus grand chose à dire. Il faut avouer que même si je suis sociable, je ne suis pas très club. J'en avais déjà parlé ici à propos d'une sortie en club que j'avais trouvée pénible au possible. Voir tous ces vieux petits garçons ne parler que de voitures, m'avait agacé au plus haut point.

Sur le forum c'est identique. Une fois les présentations faites que j'aime bien lire, quand les gens parlent de leur motivation pour s'offrir leur voiture, le reste ne me passionne guère. Ça parle ensuite bielles et joints de culasse et j'avoue m'en foutre allègrement de ces discussions masculines. Pas plus que ne me passionnent celles à propos de sport !

Pour me faire pardonner, je ferais bien une sortie avec eux mais la plupart de ces expéditions ont lieu dans des contrées lointaines, à croire que les parisiens s'en foutent. Bon, peut être que le rallye en voitures anciennes est une occupation de croquants. C'est possible en tout cas, rien du côté de chez moi. J'avoue que me lever aux aurores un dimanche matin pour rouler cul à cul avec d'autres Jaguars m'aurait un peu ennuyé mais quand il faut, il faut. On se la joue collectif et puis voilà.

Hélas, je n'ai aucune compétence technique non plus. Oh du côté livresque, je connais plutôt bien. Je suis capable de vous expliquer le cycle à quatre temps et même le fonctionnement d'un moteur Wankel. En revanche, c'est du côté pratique que cela se gâte. Sitôt passé les opérations de maintenance consistant à remettre de l'essance (pourvu que la trappe s'ouvre) et de l'huile dans le moteur, je suis un peu perdu. 

Une fois j'ai même demandé de l'aide pour changer des balais d'essuie-glace ! En matière de bricolage, j'ai deux pieds gauches à la place des mains. En plus, je m'énerve parce que je n'y arrive pas et je finis par casser un truc. Pourtant, ce ne sont pas les outils qui manquent. J'ai beau être gauche (pas de gauche !) à la limite de la dyspraxie, j'adore les outils ! Je pourrais en acheter plein et les fixer au mur rien que parce que cela fait joli toutes ces clés, tournevis et autres pinces. Mais de là à m'en servir, il y a un pas que je n'ai jamais vraiment franchi.

Tandis que cette brute de Gringeot serait capable de vous remonter une boite de vitesses éclatées avec un marteau et un vieux tournevis et trois grammes d'alcool dans le sang, moi je pressentirais d'où vient la panne mais ne lèverai pas le petit doigt. Il n'y a pas moins réalisateur que moi ! C'est pour cela que j'aime bien mon métier aussi, je m'occupe de la vie des autres que je vois faire ensuite des tas de choses tandis que je reste immuable et inactif.

autant vous dire que l'addition des défauts de la Jaguar, ses pannes incessantes, ajoutés aux miens ne font pas bon ménage sur un forum de durs qui mécaniquent sévèrement. Parce que moi, j'ai limite le rôle de la fille idiote qui demande toujours des services et des tuyaux sans rien pouvoir offrir en échange, même pas ses fesses puisque physiquement je n'ai rien d'une fille et que pour le reste, je n'ai pas décidé de virer ma cuti même pour faire plaisir ou par culpabilité. J'ai l'impression d'être un jeune poète décadentiste égaré au salon de la machine-outil, Félicien Champsaur ou Rémy de Gourmont perdus chez les ploucs.

Alors, aussi subrepticement qu'un rat tentant d'entrer coûte que coute dans un endroit défendu, je m'immisce et si je viens sur ce forum ce n'est jamais pour partager mais pour demander un tuyau, une adresse, un renseignement. Je grignote doucement l'air de rien en affectant d'être des leurs, en parlant comme eux, en surjouant le mâle aux grosses mains pleines de cambouis.

Ca marchait plutôt bien jusqu'à vendredi quand le "chef" du forum m'a écrit pour me dire que mon attitude n'était pas celle que l'on recherchait sur un forum où l'entraide était nécessaire et où la demande incessante de renseignements sans contrepartie, totalement découragées. Bon, me sentant un peu grillé, je lui ai répondu.

D'abord, je lui ai expliqué que si Jaguar avait aussi bien construit ses voitures qu'elles étaient dessinées, je ne serais pas en proie à des pannes minimes mais incessantes. Bref tout de go, je lui ai dit que l'objet de son amour était tout de même un peu de la merde et je ne sais pas si ma franchise lui fera plaisir. J'ai ensuite poursuivi en lui expliquant que son forum étant ouvert à tout le monde, il ne devait pas imaginer que seuls les manuels avertis le visiteraient mais qu'il faudrait aussi compter avec les nuls en mécanique comme moi, qui confronté à la moindre panne, paniquent et appellent au secours.

Enfin pour conclure sur une note plus légère et susceptible d'améliorer nos rapports et de briser l'image très négative du rat profiteur qu'il me donne,  je lui ai expliqué que s'il était dépressif ou anxieux, je me ferais un plaisir de lui offrir les cinq premières séances gratuites. Et que dans le même ordre d'idée, si d'aventure il quittait le trou dans lequel il vit pour monter à Paris, pour y organiser une sortie du club, je serais ravi d'y participer et même de tenir la buvette ou le stand de merguez. Voilà je crois que j'ai marqué des points !

Je ne suis pas un rat, seulement un pauvre type incompétent !

Moi surpris sur le forum des jaguars anciennes !

22 février, 2014

Je les hais !


Argh, je ne sais pas si les grands esprits communiquent ou si je lui en avais parlé et qu'il m'a piqué mon idée, mais toujours est-il que l'ingénieur chamane a produit un texte fort bien rédigé sur un sujet qui me tenait aussi à coeur : l'abondance des émissions de cuisine.

Ceci dit, même si j'admire sans réserve le fond et la forme du texte de mon confrère, mon approche aurait été un peu différente. Parce que finalement, moi je m'en moque un peu qu'il y ait une surabondance d'émissions culinaires. Après tout, cela reste plus intelligent que le sport de faire la cuisine. Quant à l'aspect chichiteux des recettes, moi qui ai vu la nouvelle cuisine naitre, son importance croître au fur et à mesure que les portions diminuaient, je ne m'émeus même plus des noms alambiqués que prennent les plats.

En revanche, si je les laisse libres les cuisiniers d'imaginer tout ce qu'ils veulent sur leur fourneaux, je suis ulcéré de voir que leur préciosité, leur maniérisme et leur affèterie rejaillit sur le vocabulaire qu'ils emploient. Récemment, tandis que mon épouse regardait l'une de ces émissions, j'ai entendu un cuisinier parler de la jutosité d'un plat qu'il appréciait particulièrement. Les bronzés avaient mis à la mode le terme goutu et Marx surenchérit avec sa jutosité !

Mais pire, encore et là je crois que je pourrais les abattre rien que pour cela, je ne peux supporter cette mode consistant à employer à tort et à travers les locutions "on est sur" et "on part vers". Et qu'il s'agisse d'un plat, d'un produit ou d'un vin, cela n'arrête pas ! On est sur un bon produit, on est sur du bœuf, on est sur un Bordeaux mais on peut aller vers un Bourgogne, ils ne cessent d'être sur quelque chose sans évidemment y être.

Parce que si l'on peut être sur le périphérique aux heures de pointe, sur Mars peut-être un jour, sur une table pour danser parce que l'on est bourré, sur une femme en train d’ahaner comme un bœuf en lui disant "tu la sens bien, on ne pourra jamais être sur du bœuf parce que cela ne se dit pas et que cela ne rime à rien d'y être sauf si vous voulez gâcher une entrecôte ! On peut monter sur un boeuf pour être sur un boeuf mais cela ne rime à rien, car ce sont les chevaux que l'on monte et dans ce cas, on dit que l'on est à cheval et non sur un cheval.

Et ce qui vaut pour "on est sur" marche évidemment pour "on part sur". De la même manière que l'on n'est pas sur du Bordeaux parce que cela ne viendrait à l'idée de personne de se jucher sur le goulot d'une bouteille à moins d'être artiste de cirque, on ne va sur du Bourgogne mais en Bourgogne éventuellement.

Ces néologismes à la con me font frémir au moins autant que quelqu'un qui boit son café en laissant la cuiller dans la tasse. Oui je sais, ça semble idiot mais j'ai horreur de voir quelqu'un faire ça. Et encore qu'un chef étoilé ou MOF puisse donner dans cette mode stupide, je veux bien lui pardonner eu égard à son parcours.

Mais c'est une toute autre histoire quand il s'agit de Sébastien Demorand dans Masterchef. Alors je ne sais pas si je le déteste simplement parce que c'est le frère du célèbre Nicolas Demorand ou simplement parce que je le trouve assommant de bêtise chaque fois qu'il parle. Je pense que c'est les deux ! Alors lui, non seulement il ne sait même pas cuire un oeuf et il se permet de critiquer mais en plus c'est le roi du "on est sur" et "on va vers".

Les rares fois où il m'a été donné de le voir et de l'entendre, des envies de paires de claques m'ont pris. Mon épouse admet qu'il est très con mais trouve qu'il a de très beaux foulards et écharpes. Mais moi, quand je vois ses longues écharpes multicolores, je me fous qu'elles soient jolies ou non, j'ai juste envie d'y faire un nœud coulant et de le pendre avec.

Bon, tout ceci n'a pas grand chose à voir avec la psychologie, je sais. Mais moi j'écoute tout le monde et moi personne ne m'écoute jamais. Alors j'avais juste envie de parler !

Psychiatrie, trie, trie !


Petit à petit j'ai réussi à me faire un petit réseau de gens bien. Je connais donc quelques spécialistes vers qui envoyer les patients en cas de problèmes dont un certain nombre de bons psychiatres. J'avais demandé à un vieux praticien, un ancien hospitalier, de m'en indiquer de bons, de vraiment compétents.

C'est à dire, que je ne voulais pas du genre de psychiatres qui se passionnent pour la thérapie mais se méfient des médicaments. Ceux-là auraient mieux fait de s'inscrire en faculté de psychologie, c'est moins compliqué que de faire médecine et au moins leur aversion envers les médicaments auraient été respectée puisque les psychologues ne prescrivent pas.

A l'inverse, je ne voulais pas non plus d'adeptes du tout biologique, parce que ceux-ci ont le diagnostic rapide, comme Harry avec son 44 magnum. Au moindre truc un peu bizarre, ils dégainent une schizophrénie ou un trouble bipolaire et tirent sur les patients à coups de neuroleptiques. L'avantage, c'est qu'un patient blindé de neuroleptiques va forcément mieux, un peu comme irait une plante en pot. Qui a déjà vu un yucca déprimer ou délirer ? Personne !

Moi, j'en voulais juste des bons et sympas qui sachent écouter les patients, en discernant ce qui est produit par une pathologie grave et par des circonstances (drogue, stress, etc.) et sachent prescrire correctement sans faire de la psychologie de bazar ni dramatiser. J'avais juste demandé en toute modestie des rois de la molécule et non des tâcherons. Parce que chacun sait qu'en matière de profession, il y a de tout, des bons, des mauvais et des moyens. Et ce qui vaut pour les plombiers, vaut pour le reste.

Bien qu'ils soient évidemment libres de demander conseil à leur généraliste, je peux ainsi de mon côté adresser mes chers patients à des psychiatres que j'apprécie en cas de nécessité. Justement, l'une de mes patientes qui venait d'avoir rendez-vous avec l'un d'eux me comptait récemment que ce dernier lui avait expliqué que sa profession disparaitrait sans doute. D'après lui, le métier de psychiatre tendra à disparaitre pour être dissocié entre l'activité psychothérapeutique dédiée aux psychologues et l'activité médicale assurée par des neurologues.

Ma foi, je ne sais pas, si l'idée est le produit de ses propres cogitations ou bien le fruit de réflexions issues d'un ministère, mais ce n'est pas idiot. C'est plutôt bien de chercher à faire bien ce que l'on aime sans se disperser entre des activités qui malgré leur connection restent tout de même assez étrangères l'une à l'autre.

En revanche que l'on se rassure, les bouchers-charcutiers pourront toujours exercer leur profession de même que les quincaillers-marchands de couleur !


Jésus est vivant !


Christ est ressuscité enfin le vrai parce que celui que je reçois n'est jamais mort et n'avait donc aucune raison de revenir à la vie. Quoique ce soit en partie faux, parce que Jésus, comme je surnomme mon patient, est un jeune gaillard qui a passablement pété les plombs et qui est revenu sur terre voici peu. Ceci dit maintenant, tout va bien dans le meilleur des mondes. Enfin tout irait bien dans le meilleur des mondes si Jésus, tout entier perdu dans ses recherches spirituelles, n’oubliait pas qu'il a un corps et que ce dernier peut jouer des tours et même amener le cerveau à cafouiller.

Parce que Jésus m'a révélé par exemple qu'avant son petit pétage de plomb, il était tellement perdu dans ses interrogations qu'il a eu conscience de ne pas prendre soin de lui. Oui, on ne peut pas chercher à percer les secrets de l'univers et en même temps se soucier de boire ! Avec Jésus, c'est l'un ou l'autre, un véritable anachorète ! 

Sauf que quand on ne boit pas assez,  et qu'en plus on tire sur le joint, on se retrouve un peu comme ces vieillards qui ont des hallucinations, entendent ou voient des trucs et y croient fermement. Parce que si l'on sait depuis la canicule de 2003 que les vieux ne boivent pas assez et qu'ils peuvent en mourir, on sait moins que le fait de ne pas assez s'hydrater peut avoir des conséquences inattendues sur le ciboulot. Parce que l'absence d'hydratation provoque une hypernatrémie qui es tune augmentation du taux de sodium dans le sang. Selon la gravité, cela provoque des atteintes cérébrales se distinguant entre autres par des symptômes allant de l'obnubilation, de la confusion, de l'agitation, de l'irritabilité au coma profond.

Bon maintenant, il faut aussi savoir pourquoi il n'avait pas soif parce que cette hypodipsie comme on dit en termes savants peut être causée par des tas de trucs et que, n'étant pas médecin, je n'en saurai jamais la cause ! Mais bon, déjà quand il m'avait expliqué cela, je lui avais dit de boire et bien sur de consulter un neurologue. Ceci dit, il s'était mis à boire bien qu'il n'ait pas pris le temps de consulter l'excellent neurologue dont je lui avais donné les coordonnées.

Et puis, comme il passe toujours me voir, voici qu'il est venu dans un état très fébrile ! Alors qu'il me parle tout à fait normalement malgré une grande agitation, voici qu'il m'explique qu'il voudrait me confier quelque chose qu'il a entrevu mais qu'il a peur que cela me bouleverse. Comme je lui explique, je fais tout de même un métier dans lequel j'entends pas mal de choses étranges, alors il m'en faut beaucoup pour me choquer. J'ai même des patients socialistes, c'est vous dire si j'entends des bêtises et combien je suis ouvert d'esprit.

Alors, doctement, il commence à m'expliquer qu'il sait ce que l'on devient après notre mort ! Comme j'attends enfin sa révélation, il se tait, toujours persuadé de me choquer. Je l'encourage à me parler et il m'explique sa dernière théorie fumeuse sur la survie de l'âme. Ceci dit, ce qu'il me dit est plutôt joli mais serait plus à sa place dans un conte pour enfants comme Le petit Prince que dans un ouvrage de théologie. 

Mais bon, plutôt que d'ergoter sur sa dernière théorie, et comme il est prêt de seize heures, j'ai l'idée de lui demander ce qu'il a mangé aujourd'hui. C’est mon côté maçon, j'aime bien le concret moi. Et bien entendu, il m'explique qu'il n'a rien mangé du tout et que la veille et l'avant-veille, il n'a fait que grignoter. Je suppose que les jours d'avant, cela a du être pareil parce que, tel un enfant, il est incapable de se prendre en charge et de manger correctement. 

Calmement, je lui explique alors que le jeûne, pratiqué dans certaines conditions, peut provoquer des hallucinations et que les anachorètes justement, du fait de leur vie faite de jeûne, de macérations et de continence absolue, le tout baignant dans une exaltation mystique,  étaient réputés pour créer eux-mêmes leurs hallucinations. La biologie des hallucinations reste toutefois complexe et avant de sauter sur l'explication psychiatrique, il faut avoir beaucoup de renseignements sur la vie du patient. 

Je ne suis évidemment pas spécialiste du sujet mais il semblerait que si manifestement le jeûne prolongé ne semble pas forcément provoquer de troubles neurologiques et/ou psychiatriques, on a pu envisager que tel pourrait être le cas s'il est pratiqué par des gens dont l'organisme a été auparavant intoxiqué par certaines molécules psychoactives (médicaments, substances, etc.). Bref si le Christ, le vrai, a pu jeûner quarante jour, ce n'est pas le cas du Jésus que je reçois qui me semble plus dérailler à pleins tubes qu'autre chose !

Comme bien entendu il a oublié sa carte bleue et n'a pas un centime de liquide, j'ouvre mon portefeuille et lui tends un billet de dix euros. Nous sortons alors de l'immeuble et je lui indique que sur le même trottoir, à cent mètres, il trouvera un kebab correct où il pourra se commander une assiette grecque roborative. Je lui demande de prendre son temps pour manger puis de me rejoindre à la terrasse d'un café où je prendrai ma pause durant une heure.

Le voici donc qui revient rassasié une petite demie-heure après. Le discours est plus cohérent, plus clair, le regard vacille moins. On prend un café ensemble (même s'il aurait du prendre un déca maintenant que j'y pense) et tout se passe bien.

Et le soir venu, j'ai le droit à un SMS dans lequel il m'explique que dès qu'il mange, ça va nettement mieux et qu'il me présente ses excuses pour les bêtises qu'il m'a dites avec sérieux dans le cabinet. Bien entendu, je n'ai pas à l'excuser pour ce qu'il a dit, parce que s'il y a bien un lieu où l'on peut tout dire, c'est dans mon cabinet. Sinon à quoi bon venir !? En revanche, comme je suis bon garçon,  je lui souligne les avantages considérables qu'il y a à manger et à boire correctement.

Je souligne aussi le fait que malgré toute ma bonne volonté, je ne suis pas omniscient et que pour parler de trucs mystiques, un prêtre serait plus avisé, de même qu'il serait aussi judicieux de consulter le neurologue dont je lui ai donné les coordonnées. Parce que c'est très rigolo de faire de la psycho comme on en fait dans les magazines féminines mais il ne faudrait pas oublier la biologie non plus.

Enfin chaque chose en son temps, je crois en Jésus !


17 février, 2014

Retour vers le futur et parabole de l'espoir !


Il ne faut vraiment jamais dire jamais ! D'ailleurs, franchement, je ne pensais pas que ce que je vais vous compter m'arriverait un jour ! Mais, et c'est bien la leçon de ce magistral article que vous êtes en train de lire, "il ne faut jamais dire jamais" ! On a d'ailleurs pu noter que ce qui flinguait le plus les gens en faisant le lit de leur dépression étaient les mots "toujours" et "jamais" lorsqu'ils sont employés pour parler d'avenir. Ce sera toujours comme ça et ça ne changera jamais sont les pires choses que l'on puisse écrire et sans doutes les plus idiotes la plupart du temps. 

Dans notre jargon en TCC, on appelle cela une distorsion cognitive, et même que celle consistant à voir le monde en noir et blanc s'appelle la pensée dichotomique. Finalement, c'est vivre dans un univers statistiquement faux puisque l'on ne cesse de bâtir un échantillon des possibles  avec un biais bayésien qui fait que nos prédictions sont toujours funestes et bien sur erronées. On fait des plans sinistres sur la comète et finalement on n'entreprend rien, persuadé de se planter.

Bref, sans un peu de rêve, rien n'existe, et surtout pas la Française des jeux qui s'appuie justement là-dessus. Pour vivre heureux, vivons justement avec un biais cognitif positif consistant à se dire que les problèmes seront pour les autres et que l'on pourra espérer gagner au Loto ! Donc, ne jamais dire jamais comme dit le proverbe et vous ne vous en porterez que mieux !

Justement, laissez moi vous compter une histoire complètement stupide pour illustrer ceci. Moi qui suis né en 1967 et ai obtenu mon permis en 1985, j'ai connu des tas de véhicules dont la plupart ne circulent plus mais rouillent en casse à moins qu'ils n'aient été détruits purement et simplement. D'ailleurs, je crois bien les grandes casses de ma jeunesse dans lesquelles des monceaux d'épaves croupissaient ont disparu aussi, du fait de lois sur l'environnement. De toute manière, la plupart des gens ne jurent plus que par l'ABS, les airbags et le système de navigation embarqué. 

Autant vous dire, qu'à moins de connaitre un olibrius comme moi, qui possède ce genre de vieilleries, ou de vivre au fin fond de la Creuse ou de l'Allier, la probabilité de poser ses fesses à bord d'une voiture sortie des chaines dans les années 1980, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un modèle populaire sans grand intérêt pour un collectionneur, est aussi mince que l'avenir politique de mon ami Manuel Valls, proche de zéro. Et justement, pour aller bien, c'est ce qu'il faut se dire, que tant que la probabilité n'est pas égale à zéro, il est permis d'espérer. C'est d'ailleurs ce qui fait que Manuel Valls va sans doute persister en politique au lieu de renoncer et par exemple d'ouvrir un bar à tapas !

Jeudi soir, le patient que je recevais était quelqu'un venu par l'entremise du blog. On se connait bien, on s'appelle par nos petits noms et on se tutoie ! C'est vous dire si Freud et tous les confrères orthodoxes ne jurant que par le transfert et le contre-transfert seraient choqués par nos entretiens. La fin l'entretien étant arrivée, il me demande si je veux qu'il me ramène en voiture, puisqu'il vit non loin de chez moi. Profitant de l'aubaine consistant à rentrer motorisé, conduit comme un pacha dans je ne sais quel véhicule de luxe, et non dans mon vieux RER puant de prolétaire de la thérapie, j'accepte la proposition.

Comme il a très faim, je l'amène dans un petit fast-food situé dans une ruelle près de mon cabinet où il commande un énorme sandwiche. C'est ainsi que nous regagnons sa voiture, moi les mains dans les poches, lui dévorant son en-cas. Parvenu dans la rue où il est garé, voici qu'avec nonchalance, il me jette les clés de sa voiture en me demandant de conduire tandis qu'il mastiquera son énorme sandwiche qu'il doit tenir de ses deux mains : me voici promu chauffeur ! Et si j'en crois le losange qui orne le porte-clé que je tiens dans ma main, pas d'une Porsche ni d'une Mercedes !

Et c'est là que je m'aperçois qu'en lieu et place d'une berline luxueuse ou d'un coupé sportif, il est venu dans une antiquité que je croyais broyée et recyclée depuis des lustres : une Renault 21 ! Il en rigole lui-même en admettant que sa guimbarde fait un peu bagnole de "blédard". Je ne relève pas l'allusion odieusement raciste et carrément stigmatisante, et considère sa voiture, un modèle que j'ai pas du voir depuis dix ans. A vrai dire je n'en sais rien parce que la Renault 21, c'était une berline moyenne, une sorte de bonne à tout faire, dont la disparition n'a pas marqué les esprits. Une sorte d'utilitaire banale qui s'est éteinte doucement, remplacée par une autre.

Mon patient attire mon attention sur le fait que ce soit un modèle de luxe puisque c'est une série limitée Symphonie. Alors là, je suis carrément ébloui par tant d'options : fauteuils en velours, Radio-K7, vitres électriques, compte-tours, fermeture centralisée ! Tout ce luxe me saute au visage et m’éblouit ! Et tandis que je m'assieds au volant, j'ai l'impression de remonter le temps. Bon bien sur, vu l'âge de la voiture, des tas de trucs ne marchent plus. Ainsi, pour passer les vitesses, il faut presque s'aider des deux mains tandis que l'embrayage affiche aussi son grand âge et une course telle qu'il faut pousser la pédale à fond au risque de passer le pied dans le compartiment moteur pour qu'il fasse son office.
Une fois en route, elle roule plutôt bien mais il faut estimer sa vitesse en tendant un doigt mouillé à l'extérieur ou se fiant à celle des autres véhicules puisque le compteur reste obstiné dans le noir faute d'éclairage. Il ne nous manque plus que la galerie surchargée sur le toit pour donner dans la caricature parfaite. Et tandis que je roule, mon passager qui a enfin fini son sandwiche s'amuse à me prendre en photo pour immortaliser le moment ! Mais bon, la brave bête nous ramène à bon port.

Je salue mon patient qui reprend le volant. Je le vois repartir en me disant que la pauvre bagnole doit être proche de la retraite et que je n'aurais sans doute plus l'occasion de remonter dans un tel engin. Sauf qu'en prenant le volant justement, je m'étais dit la même chose, à savoir que jamais je n'aurais imaginé monter à bord d'une telle antiquité et encore moins en conduire. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais.

C'est ainsi que si je vous ai narré cette minuscule aventure, c'est pour que vous vous souveniez que vos prédictions sur l'avenir, dès lors qu'elles ne sont pas strictement impossibles (marcher sur Pluton) restent possibles. Quand vous serez tentés de vous dire des "jamais" ou des"toujours" afin d'établir des prédictions funestes, souvenez-vous que moi aussi je pensais ne jamais monter dans une telle bagnole. Et pourtant statistiquement c'était peu probable !

Ne désespérez pas, tout est possible puisque j'ai pu prendre le volant d'une Renault 21 Symphonie à Paris en 2014. Il ne faut jamais dire jamais. Les plus malins et cultivés auront noté la superbe épanadiplose !


Remonterais-je un jour dans une Peugeot 504 ?!

10 février, 2014

Vive la tradition !

Ce soir, point de porcelet mais un marcassin, un vrai de vrai !

Sortir les chevaux !



Parfois, j'utilise des expressions imagées, des métaphores, pour expliquer quelque chose, pour décrire un fonctionnement complexe de manière simple. Pour ceux qui savent les saisir, je trouve que les images parlent parfois plus que les mots, ou en tout cas bien plus rapidement. C'est ainsi, qu'un de mes chers patients ayant écrit un très bon article, je lui ai dit que c'était parfait et que je trouvais que "les chevaux sortaient bien". Que n'avais-je pas dit là ? Parce que mon interlocuteur ayant près de vingt ans de moins que moi, n'a pas saisi toute la substantifique moelle de ma métaphore, ce que je voulais lui faire entendre exactement et que j'ai du m'adonner à une véritable explication de texte afin de lui expliquer ce que signifiait le fait qu'après avoir lu son article, j'en ai déduit que "les chevaux sortaient bien". Parce qu'il va sans dire que parfois, ils sortent mal.

Comme je lui ai expliqué, et cela ne lui avait sans doute pas échappé en tant qu'ingénieur en mécanique, la  puissance d'un moteur s'exprimait en chevaux-vapeur. Et d'ailleurs en kW aussi mais je n'ai jamais réussi à passer de la première unité à la seconde. Pour moi, un moteur balancera toujours des chevaux tandis qu'un mixer ou une perceuse enverront des kilowatts. Mais j'étais abonné à l'Auto-journal tandis que j'étais piètre bricoleur et tout aussi piètre cuisinier. J'ai donc possédé beaucoup de voitures mais ne me suis jamais servir d'un mixer et n'ai eu qu'une perceuse, une Peugeot (1050w) que je possède toujours depuis vingt ans parce que je ne suis pas du genre à l'user !

En outre, j'utilise cette expression du fait que j'aie vingt ans de plus que mon interlocuteur ce qui fait que la geekerie à mon époque se soit plus exprimée au travers des bidouilles approximatives d'un moteur à explosion que dans l'augmentation des capacités d'un PC. J'ai effectivement vu naitre l'informatique et bien qu'ayant possédé en mon jeune temps un Oric 48k, qui ne m'a pas passionné plus que cela, j'avoue que je préférais mon Zündapp à l'informatique. Les PC n'existant pas quand j'étais jeune, de toute manière ma geekerie toute relative, n'aurait pu s'y exprimer pleinement !

C'était l'époque bénie où nous possédions tous de petits 50cm3 que nous nous amusions à gonfler avec plus ou moins de bonheur. Car même un type comme moi, un pur intello passant son temps à lire, aurait rougi de honte à l'idée de chevaucher un engin respectant les limites imposées par la loi, soit 45km/h réglementaires ! C'eut été la honte de ma vie que de me trainer ainsi la bite sur un engin même pas trafiqué. C'eut été rejoindre la cohorte des sans grandes, des nazes, des proscrits qui respectaient la loi en circulant sur des mobs conformes à l'origine, conservant même les gros clignotants moches, le guidon d'origine et les pédales de cyclos, la plèbe des anonymes dont personne ne souviendra jamais du nom !

Et si j'avais déjà tout lu Proust avant l'âge de douze ans (chuis trop fort), il ne me serait pas venu à l'idée de me réfugier dans le seul monde des idées pour me transformer en une sorte de zombie neurasthénique promis aux classes préparatoires. De toute manière, je fréquentais bien trop de branleurs pour avoir la moindre chance de faire une grande école. D'ailleurs dès la classe de troisième, mon professeur de lettres s'inquiétait de mes fréquentations en se demandant pourquoi je me perdais à fréquenter ainsi tous les crétins possibles et inimaginables. 

J'aurais pu lui répondre que n'étant pas très bosseur, je préférais de loin user de mes facilités sans travailler et qu'il ne me déplaisait pas d'être borgne au royaume es aveugles, que c'était une position facile à tenir. J'aurais pu aussi lui dire que les crétins, comme il disait, avait l'avantage de faire des trucs intéressants avec notamment des filles et des motos et que les thèmes grecs et les versions latines n'étaient pas tout dans la vie et que partager mon temps avec ceux qui se passionnaient pour les échecs ou un herbier ne faisait pas partie de mes ambitions. Mais je n'ai rien dit parce que mon truc c'est d'être diplomate en toutes circonstances.

Ainsi puisque nous possédions ces petites "brêles, terme argotique signifiant à l'époque "cyclomoteurs de 50cm3", et que nous n'étions pas enclin à nous laisser dicter notre loi par l'état, nous les bricolions.  Nous étions en ce sens les dignes fils des blousons noirs issus des années 50/60, des ersatz de Brando dans L'équipée sauvage. Nous nous amusions à gonfler les moteurs avec plus ou moins de bonheur et, plus ou moins de ... fiabilité. C'était l'époque bénie où l'on démontait les culasses que l'on rabotait comme des gorets pour accroitre le taux de compression, ou nous changions les carburateurs pour en mettre de plus gros et où l'on s'attachait à mettre des pots de détente couteux pour que la puissance et la vitesse de nos "brêles" soient augmentée. Personne ne connaissait le maping que l'on fait aujourd'hui et qui consiste à justement améliorer le rendement d'un moteur sans en altérer la consommation ou la qualité d'utilisation. On bricolait, que ce soit chez Renault ou dans nos garages :) Enfin, je suppose qu'on bricolait plus mal dans nos garages que chez les grands constructeurs !

Et c'est ainsi que des chevaux, on en trouvait ! On lisait alors la presse spécialisée qui n'avait pas encore conclu un accord avec l'état pour en devenir de parfaits auxiliaires et faisait d'excellents articles totalement hors la loi pour nous expliquer comment rouler  plus vite sur nos petites machines. Bien sur afin de se dédouaner, ils précisaient  que c'était interdit par la loi et réservé à un usage privé ! Mais je suppose que les journalistes se rendant coupables de tels articles, se doutaient bien que leurs jeunes lecteurs s'ingénieraient à justement ne pas respecter la loi pour rouler plus vite, toujours plus vite.

J'ai eu ainsi un Zundapp KS50 qui frisait les 120km/h ! Mais tout cela s'effectuait bien sur au détriment de la fiabilité et de l'agrément de conduite. S'agissant de deux temps, il fallait aller dans les tours pour chercher les fameux chevaux. On passait la première, on ramait, ça broutait, l'énorme carburateur de 19mm, surdimensionné, envoyait trop d'air et d'essence, le moteur manquait de s'étouffer, puis comme par miracle, il prenait des tours et semblait ne plus s'arrêter ! Bref, si les chevaux sortaient, ils sortaient mal. C'était totalement inexploitable et il fallait toujours jouer de la boîte de vitesse pour rester dans les tours. 

On consommait beaucoup et comme cela fonctionnait au mélange, on frisait toujours le "serrage". C'est à dire que le film d'huile entre le piston et le cylindre se rompait du fait de la chaleur et alors, ce dernier se dilatait et se bloquait. Bien sur, nous avions un truc imparable pour repérer l'amorce de serrage. Et c'est ainsi que sur le bord de la route, munis d'une clé à bougie et d'une seringue pleine d'huile, on tentait de rétablir ce fameux film d'huile en en injectant pas le trou de la bougie. 

Bien sur, comme nous n'étions pas idiots, on roulait tous avec de l'huile de synthèse et non une huile minérale merdique. Ma préférée était la Motul 2300S. Elle laissait une odeur donc je me souviens encore et qui restera toujours ma petite madeleine de Proust ! Parfois, quand au hasard du passage d'un scotter conduit par un jeune fou, j'en sens l'odeur, je retrouve mes quinze ans ! Mais il me semble qu'elle ne soit plus commercialisée ou qu'elle ait changé de nom !

Voilà donc quelle était la geekerie des gens nés à mon époque. C'était la fin d'un monde né avec la révolution industrielle et que viendrait renouveler entièrement la révolution informatique. On ne parlait pas encore de cartes vidéos ni de micro-processeurs, on se passionnaient juste pour les kits de chez Malossi. Le terme de "gamer" n'avait pas été inventé. On faisait ce qu'on pouvait avec ce que l'on avait et on s'amusait bien, même si je dois admettre que je n'étais pas un très bon bricoleur. Mais j'en connaissais suffisamment pour que ma "brêle" soit au top niveau et je savais faire faire par d'autres ce que je ne savais pas réaliser.

Voilà donc pourquoi j'emploie encore aujourd'hui cette expression datée consistant à trouver que parfois chez les gens, les "chevaux sortent bien". Pour aller plus loin dans mon explication de texte, je dois d'abord dire que j'utilise cette métaphore dans deux sens :

  • Soit que je note que des gens possédant un fort pôle psychologique opposé à leur sexe biologique restent très cohérents dans leur manière de fonctionner. C'est ainsi qu'il existera des hommes extrêmement sensibles (pôles féminin ou anima jungienne pour résumer) qui ne se noient pas dans leur sensibilité pour en faire de la sensiblerie mais savent rester masculins malgré tout. A l'opposé, je peux aussi noter qu'il existe des femmes de tête chez qui ces valeurs masculines (pôle masculin ou animus jungien) n'entraînent pas le fait de se transformer en dragon, ou de développer un caractère hommasse, mais gardent intacte leur féminité tout en assumant leur facette femme de tête. Dans ces cas rares où je sens une vraie cohérence chez les gens, je trouve donc que les "chevaux sortent" bien !

  • Soit qu'il s'agisse de gens très intelligents, comme la plupart des patients venus de ce blog, chez qui je note par exemple que cette activité intellectuelle ne nuit jamais à l'efficacité. Parce que justement les gens très brillants, soient se noient dans un verre d'eau et ne parviennent pas à traduire leur analyses dans le réel (super analysants tout justes capables de scinder un problème en une infinité de sous-problèmes). Soit au contraire, ils produisent des jugements assez perchés sans pour autant les étayer ce qui rend leur pertinence aléatoire (modèle normale sup').

  • Bref, s'il s'agissait d'une courbe de puissance, soit les chevaux du moteur sortent tous à bas à régime soit uniquement à haut régime ! Et dans les deux cas ce n'est pas toujours génial, vous êtes soit dans le registre du tracteur agricole, puissant mais lent, soit dans celui de la F1, performante mais fragile.

    Alors que mon cher patient qui se lamentait de ne pas comprendre pourquoi j'avais trouvé que chez lui, les chevaux sortaient bien, soit rassuré, c'était un compliment. Certes un compliment un peu frustre et surtout très très daté puisque proféré par quelqu'un né en 1967. Quelqu'un pour qui un Dell'Orto de 19 et de l'huile Motul de synthèse auront toujours plus de sens que de la RAM, un socket ou que sais-je encore !

    On ne sent pas vieilliret doucement on dit des choses que les jeunes ne comprennent plus !


    03 février, 2014

    Mea culpa ! (évaluations, piège à cons)

    "Je suis là pour t'évaluer"

    Samedi soir dernier nous recevions à diner des amis parmi lesquels se trouvait Madame T. dont j'ai déjà parlé ici à propos de ses grandes compétences culinaires proches de celle d'une gargote ouzbek. Il faut être juste et admettre qu'elle a fait des efforts pour préparer des choses mangeables et que je ne passe plus chez Mc Do avant d'aller diner chez elle. Toutefois, je garde un souvenir ému de sa "soupe de fraises", une sorte de précipité rosâtre et doucereux dans lequel nageaient des fraises aussi gonflées et appétissantes qu'un noyé de quinze jours !

    Comme à son habitude, Madame T. s'est plaint de sa vie en général et de son travail en particulier. Comme toujours, moi qui ne suis qu'empathie et bonté envers mes patients, j'ai eu la dent dure avec elle, me moquant de ses jérémiades d'ingénieur grassement payée par la banque où elle travaille. 

    Cette fois-ci, Madame T. ne m'a pas laissé l'avantage et ne s'est point écrasée sous mes sarcasmes faciles. C'est ainsi que le lundi matin, j'avais un SMS dans lequel elle m'avertissait qu'elle venait de m'envoyer un long mail me décrivant ses conditions de travail tout en me précisant qu'il y avait aussi des pièces jointes à télécharger.

    Dès que j'eus un moment de libre, je me précipitai sur sa prose afin d'apprendre dans quelles affreuses conditions la banque maintenant mon amie. Fort bien rédigé, le mail aurait été une mine pour quiconque souhaiterait appréhender la violence feutrée des open spaces, les coups en douce, les manipulations délicates et l’exercice suave de la domination sur de pauvres salariés.

    C'est sur que pour quiconque ne saurait pas de quoi il s'agit, dire qu'on est ingénieur et chef de projet informatique dans une grande entreprise du CAC 40, ça pourrait jeter. Dans les faits, vous devez manager une bande de développeurs plus ou moins compétents situés sous les tropiques et uniquement choisis parce qu'ils sont  bien moins chers que des français afin de les amener à travailler selon les standards européens auxquels vous astreint votre supérieur, lui même aux ordres de sa hiérarchie soucieuse d’économiser le moindre centime d'euro alors que la boîte engrange quelques milliards de bénéfices. Bref, vous êtes entre le marteau et l'enclume, chargé de faire en sorte qu'une prestation pas chère soit au niveau d'une autre très chère. Certes ce n'est pas la mine mais bon ça reste un travail de bureau pénible et pas si bien payé que cela en plus. Avec en prime le risque de vous faire lourder un jour, lorsque la cinquantaine pointera le bout de son nez pour être remplacé par un plus jeune bien moins cher.

    Et puis, il y a les évaluations ! Alors ça, je n'avais pas suivi, vu que je ne suis plus salarié depuis avant 1998. J'ai donc raccroché les gants bien avant que cette folie prenne pied dans les sociétés. Bon, j'avais bien eu un petit chef qui avait voulu me faire un entretien d'évaluation mais j'avais coupé court. Et puis, c'était le tout début, ça se faisant encore au débotté sur une page blanche un petit matin blême et non avec tout  un cérémonial en remplissant des tas de cases avec des notes. De toute manière, aussi orgueilleux que cela puisse paraître, je connaissais ma valeur professionnelle. Je savais que j'étais suffisamment indépendant pour ne jamais ennuyer la hiérarchie alors ce n'était pas mon chef de service qui allait me prendre la tête avec son entretien stupide. Comme je lui avais dit, j'étais là en fonction d'un contrat de travail qui ne précisait nullement si je devais en plus d'abattre le travail pour lequel j'étais payé, être un bon petit camarade doublé d'un bon lèche-boules. Donc fuck l'entretien que ce nain stupide et socialiste avait tenté de me faire passer.

    Heureusement pour moi que j'ai pris la tangente en me lançant dans une profession libérale car je ne sais pas comment j'aurais réagi si l'on m'avait fait passer un entretien comme celui que Madame T. a annexé à son mail. J'étais totalement à l'ouest, ayant perdu de vue le monde du travail. Je n'avais jamais songé que l'on puisse ainsi manager les gens à la vexation sous couvert de faire de la vraie relation humaine soucieuse ee apparence du bien d'autrui ! C'est ainsi que j'ai pu lire un document établi en trois parties dans lesquelles figurent des petits cadres notés de 1 à 4 recouvrant toutes les activités du salarié, de l'exécution de la tâche pour laquelle il est payé jusqu'à son comportement, ausculté et scruté jusqu'aux moindres recoins. Votre chef de service n'évalue plus seulement votre travail mais aussi votre manière de vous comporter. 

    Donc chaque année, voici que l'autocritique est remise au gout du jour et que vous êtes appelé à lire ce compte rendu fastidieux que vous aurez intérêt à signer pour être bien vu en louant la bienveillance de vos chefs. Et tandis que je lisais, je prenais conscience que cette prose fastidieuse et faussement gentille, ce jugement qui se voulait bénéfique aux relations sociales dans l'entreprise et à l'évolution du salarié avait absolument tout du carnet de note que l'on aurait remis à un élève de collège. Sauf qu'en lieu et place d'un élève de douze ou treize ans, les remarques lénifiantes et absurdes s'adressaient à une amie ayant mon âge, mère de deux adolescents et épouse d'un chef d'entreprise.

    C'est ainsi que, comme si le chef de service avait parlé d'une enfant différente ou d'une adulte déficiente mentale, j'apprends que "Sophie a montré encore cette année, qu’elle était capable d’appréhender des sujets divers dans le périmètre de ses applications. A ce titre, elle a démontré sa polyvalence et sa faculté d’adaptation." Et je suis ravi que son chef soit content d'elle sachant que le chef en question a deux ans de plus et qu'il est en train de juger non pas un salarié d'un ESAT mais un ingénieur ayant plus de vingt ans d'expérience dans le domaine. 

    Mais bien vite, j'apprends aussi que bien que mon amie ait souscrit aux attentes professionnelles de son supérieur, elle n'en est pas moins coupable de certains manques : "Attention, toutefois de ne pas sur-réagir parfois face aux difficultés opérationnelles ou relationnelles. Même si Sophie a progressé sur la prise de recul et l’écoute active, elle doit encore travailler ces points pour mieux communiquer à l’oral et adapter son discours." Sacrée Sophie, elle est à son boulot comme avec moi, elle sur-réagit tout le temps ! Toutefois cela reste globalement positif puisque : "Impliquée dans l’équipe, Sophie est engagée dans son travail et collabore efficacement avec les autres". Ouf, elle a eu avoir ses 0,25% d'augmentation et son bon point !

    C'est vrai qu'après avoir lu cela, les bras m'en sont tombés. J'en ai donc parlé à ma clientèle, oeuvrant dans certaines sociétés, pour savoir si eux aussi étaient soumis à ce rituel débilitant. Lesquels m'ont tous précisés être effectivement soumis à ces entretiens. Voici que je découvrais la vie ! Chacun d'eux y allant d'un petit commentaire pour illustrer soit la bêtise crasse soit la mesquinerie minable de leur management. Bon, comme j'ai une clientèle plus intelligente que la moyenne et plus rebelle, je conçois qu'ils ne se soumettent à l'exercice que de mauvaise grâce et en ayant fait le maximum pour ergoter sur absolument tous les points de l'évaluation. Mais tout de même ! Si je ne m'étais pas juré d'être toujours irréprochable sur ce blog, je dirais carrément que cela m'aurait fait mal au cul d'être traité comme un collégien à mon âge en subissant l'évaluation vexatoire d'un clampin de mon âge ! imaginez la tronche d'un Gabin ou d'un Ventura soumis à ce genre d'exercice ! C'était la mandale assurée dans la tronche de l'évaluateur !

    Finalement, l'intérêt de tout cela est la relation dominant/dominé que ces évaluations induisent sous des couverts humanistes et démocratiques. Sous des dehors de progression, d'aide au changement, d'accompagnement de carrière, il s'agit surtout de mettre le salarié dans la peau d'un enfant évalué par ses professeurs. Évalué à un tel point que sa subjectivité même n'échappe plus à l'analyse comportementale à laquelle il se soumet. Dans ce jeux assez pervers, dans lequel le chef de service est un kapo aux bottes de la hiérarchie, il s'agit de tendre un filet aux mailles suffisamment serrées pour prévoir, voire prédire le comportement du salarié.

    Comme ne s'y était pas trompé Michel Crozier dans son célèbre ouvrage L'acteur et le système, il s'agit d'établir un rapport de domination/soumission dans lequel c'est celui qui pourra prévoir le plus finement possible le comportement de l'autre qui dominera. Ainsi, il explique que : "le seul moyen que j'ai pour éviter que l'autre me traite comme un moyen, comme une simple chose, c'est de rendre mon comportement imprévisible, c'est à dire d'exercer un pouvoir. ( ) Chacun cherche à enfermer l'autre dans un raisonnement prévisible, tout en gardant la liberté de son propre comportement. Celui qui gagne, qui peut manipuler l'autre, donc orienter la relation à son avantage, est celui qui disose d'une plus grande marge de manœuvre". Et Crozier de conclure "Tout se passe donc comme s'il y avait une équivalence entre prévisibilité et infériorité".

    Voici pourquoi, même si je comprends qu'il soit légitime d'évaluer un salarié, il me semble que les méthodes retenues, infantilisantes au possible, soient une source de souffrance inutile et un peu cruelle. Dès lors que l'on s'éloigne de critères quantifiables pour entrer de plain pied dans la psychologie de la personne, et notamment dans les cas ou son comportement n'est pas en infraction au regard du règlement intérieur (alcoolisme, insultes, tenue vestimentaire, etc.), il y a danger de pratiquer une relation de domination/soumission qui n'avoue pas son nom. Le lien de subordination inhérent au contrat de travail n'entraine pas le fait d'être traité comme un enfant par un parent.

    Évaluations, pièges à cons !