25 décembre, 2011

Joyeux Noël !


Je souhaite à mes chers lectrices et lecteurs un très joyeux Noël ! Bon, j'ai mis cette image un peu coconne exprès parce qu'en fait je n'aime pas les chats. Pour tout dire, je les déteste. Je trouve que le chat est un animal moche, idiot et généralement prisé par les gauchistes et les vieilles filles à quelques exceptions près, je l'admets. On ne peut rien apprendre à chat, c'est pourquoi vous ne trouverez pas de chats de chasse, ni policiers, ni sauveteurs, ni rien du tout, et qu'on ne fera jamais de séries ayant pour héros un chat à moins qu'il ne soit grossièrement croqué par quelque dessinateurs médiocres amateurs de ces félins. En revanche, le chien tout comme l'ours et dans une moindre mesure le dauphin, furent des héros de séries. Et puis, le chat est fourbe, j'allais l'oublier. Et son urine sent fort, il faut aussi le rappeler.

D'ailleurs, à propos de vieilles filles, quand je reçois dans l'intimité de mon cabinet des demoiselles se lamentant d'être encore seules, je les rassure toujours de la même manière. Je leur explique que l'on va tenter de faire tout ce qu'il faut pour qu'elles se trouvent un coquin et que le temps n'est pas encore venu pour elles, d'aller quérir contre monnaies sonnantes et trébuchantes un chat quai de la Mégisserie. Un chat qu'elles appelleraient Minou et qu'elles se hâteraient de castrer pour signifier symboliquement leur haine des hommes tout autant que leur dépit.

Pour les lecteurs de province, le quai de la Mégisserie est l'endroit qui longe la Seine près du Châtelet où les animaleries ont élu domicile. C'était avant que les écologistes n’interviennent, un endroit tout à fait charmant où l'on trouvait des poules, des lapins, des cygnes et même des chèvres naines. Mais ces abrutis d'écologistes, émus par la prétendue souffrance de ces animaux, les ont fait interdire. Depuis, ce quai, à l'instar du reste de Paris, est devenu une promenade tout à fait médiocre.


C'est aussi l'endroit où naguère, j'ai appris à l'un des cuistres tenant une de ces animaleries comment on sexait un canard. Car tandis que l'odieux personnage m'opposait le fait que l'on ne puisse sexer ces animaux au prétexte que ce sont des oiseaux, comme il est par exemple difficile et aléatoire de sexer un canari ou un pigeon, votre serviteur demandant prestement une blouse afin de ne pas se salir amenant un démenti cinglant et définitif à ce crétin. Me saisissant doucement mes fermement d'un caneton, j'expliquai doctement à l'infâme boutiquier le geste idoine permettant de déterminer à coup sur si l'on avait à faire à une cane ou un canard. Cela reste l'un de mes hauts faits d'arme et je n'en suis pas peu fier. C'est d'ailleurs pour cela que je vous en parle. Si d'aventure, lorsque la mort m'aura ravi, une plaque de marbre ornait l'immeuble où ce haut fait eut lieux, n'en soyez pas étonné.

Dorénavant, si l'un(e) d'entre vous venait à me demander un rendez-vous, il pourrait s'assurer que non seulement je connais mon métier mais que j'ai aussi quelques prétentions en matière de sexage des canards. Si je n'étais pas aussi humble, j'aurais rajouté que je sais non seulement sexer le caneton par observation du cloaque mais aussi le canard adulte lorsqu'il n'est pas en couleur par simple tapotement ventral !

Ce n'est pas rien comme compétence. Ainsi, mon cabinet pourrait péricliter que je trouverais sans problème à me recaser dans quelque élevage dans le sexage des ansériformes. C'est ainsi que venus acheter une oie ou un canard dans un élevage et désireux d'en connaitre le sexe au cas où vous voudriez vous-même en faire l'élevage ou simplement lui trouver un petit nom, on vous dirait de vous adresser à moi pour cette délicate opération. 

Sinon pourquoi avoir mis une photo avec deux chats alors que je ne les apprécie pas me direz-vous ? Et bien par désir d'être gentil en ce jour spécial mais aussi de prouver que je ne suis pas complètement borné et abruti. Ainsi, si je n'aime pas les chats, je conviens en ce jour de Noël que sur les photos de cartes de vœux ou les calendriers, ils font de charmants sujets photographiques.

Un idéal de justice me poussait donc à faire la part des choses en reconnaissant un certain attrait à la gent féline. Et comme je ne suis pas homme à faire des concessions ni à sombrer dans le politiquement correct, je vous le dis clairement : je trouve aussi que les chatons sont généralement mignons. Bien entendu je parle de vrais chatons et non de "chaton" tel qu'on l'emploie en tant qu'hypocoristique.

Sur ce, je vous souhaite ou plutôt vous resouhaite à tous, un très joyeux Noël !

15 décembre, 2011

Névrose médiatique !


Il y a bien des années, la plupart d'entre vous étaient encore des jouvencelles et des jouvenceaux, je reçus une patiente dans un état apocalyptique. Si des éléments de vie permettaient d'expliquer sa dépression, solitude et homosexualité mal acceptée, d'autres plus ténus indiquaient qu'elle subissait ce que notre société apporte de plus nuisible : un flot d'information continu et inutile. Ma chère patiente souffrait de névrose médiatique.

C'était une femme dotée d'une vive intelligente à la mesure de son entêtement à ne rien vouloir changer dans sa vie. Autant vous dire, que bien que m'y étant pris de toutes les manières possibles et inimaginables, je n'ai eu que des résultats médiocres quant au fond du problème. En revanche, je suis satisfait, à défaut d'avoir pu tout régler, de lui avoir prouvé combien la moitié de son problème venait d'une surexposition à l'information. De même qu'il existe un syndrome de Calcutta qui fait que certaines touristes perdent pied face à la réalité du choc culturel qu'ils découvrent, ma patiente souffrait en quelque sorte de ce type de syndrome à la sauce technologique et occidentale.

Dotée d'une sensibilité hors du commun et perpétuellement bombardé de messages tous plus alarmistes les uns que les autres, ma chère patiente perdait un peu plus pied chaque jour. Ces messages, sachant qu'on parle toujours des trains en retard et non à l'heure, lui donnait finalement l'image d'un monde devenu fou ou la misère et la ruine auraient étendu leurs grands manteaux ! Après en avoir discuté avec elle, nous avions convenu qu'elle cesserait de recevoir toutes les informations qui ne la concernaient pas directement. 

A l'instar du paysan des temps anciens qui se préoccupait de la météo locale et du prix des vaches au dernier comice agricole et s'en trouvait très bien, j'avais incité ma patiente à appliquer la même philosophie. L'écueil fut de lui prouver qu’en agissant ainsi, elle ne devenait pas égoïste et sourde à la misère du monde, mais qu'elle ne faisait que se protéger d'influences malsaines. En effet, bien que fort sympathique et dotée de diplômes scientifiques de très haut niveau, ma patiente n'en était pas moins une grande conscience de gauche qui pensait que ne pas être au courant du dernier déraillement de train à Karachi ou de la dernière guérilla secouant le Bélouchistan oriental aurait fait d'elle une salope d'occidentale repue. Les croyances sont terribles !

Sans le savoir, mais en l’intuitant fortement, j'avais mis le doigt sur quelque chose d'important : une source de souffrance actuelle sans doute bien plus pernicieuse que les jeux vidéos dont on nous rebat les oreilles régulièrement. Fainénant comme à mon habitude, alors qu'il y aurait ue matière à faire un article, à rédiger un petit opuscule, j'avais laissé passer l'idée, me contentent de m'axer sur ma patiente. C'est ainsi que le Professeur Lejoyeux, psychiatre et professeur à Paris VII, sortait un ouvrage intitulé : Overdose d'info, guérir des névroses médiatiques.

Il expliquait ainsi que les nouvelles se suivent et semblent obéir à la loi des séries : attentats, crashs aériens, cyclones et autres tremblements de terre, etc. Les gros titres des quotidiens et des journaux télévisés nous plongent dans l'angoisse. Une angoisse sans cesse éveillée - on se souvient des images du 11 septembre diffusées en boucle sur nos écrans - qui mène facilement à la névrose hypocondrie médiatique, boulimie d'informations, compulsions... Les actualités tournent à l'obsession. Spécialiste de l'addiction, le professeur Michel Lejoyeux aide à comprendre les mécanismes pervers de notre rapport à l'information et nous donne des pistes pour sortir de l'angoisse et de la dépendance. 

Bien que je n'aie pas poussé mes recherches aussi loin que cet illustre confrère face auquel je ne suis qu'un vermisseau putride, il est clair que cette overdose d'informations nous amène à voir le monde avec un biais d'inférence négatif. Tout y semble plus noir que dans la réalité dans la mesure où le sensationnalisme et l'émotionnel sont recherchés. Comprendre n'intéresse pas nos plumitifs qui préfèrent nous faire éprouver. Récemment encore, souvenez-vous du feuilleton toujours en cours de la notation de la France par Fitch et Standard and Poor. 

Perdre notre AAA était catastrophique tandis que maintenant que l'on est sur qu cela va arriver, on nous explique que c'est ballot mais pas si grave. Combien de gens que j'ai rencontrés m'en ont parlé, chacun ayant à ce sujet un avis autorisé alors que pour être valable, un commentaire sur ce sujet nécessite des connaissances pointues que le commun des mortels ne possède pas. Ne les ayant pas, j'ai juste suivi l'affaire de loin. Et si j'ai parfois senti l'angoisse poindre tant le catastrophisme était de mise, je me mettais à songer à l’excellent livre de Pierre Miquel Mourir à Verdun, en me disant que je préférais l'austérité promise que les éclats de shrapnel dans la tronche ! 

Il faut donc toujours relativiser et se demander d'où vient l'information. Et quand on connait le niveau moyen du journaliste moyen en France, on ne peut que décider de ne plus les lire ni les écouter. Le plus souvent, après une prépa lettres, ils intègrent une des sept écoles de journalisme où on leur apprend à écrire à propos de n'importe quel sujet. Tant et si bien, que le journaliste moyen est à l'information ce que Diafoirus était à la médecine : un fat arrogant et inefficace. D'ailleurs, plus personne n'achète de journaux puisque les gens sont décidés aujourd'hui à donner à l'information le prix qu'elle mérite, soit zéro euro, en lisant les sites ou les journaux gratuits.

Quant aux experts missionnés sur les sujets les plus pointus, pourquoi leur faire plus confiance ? Non que j'imagine que tous soient médiocre mais qu'il faille bien garder une certaine méfiance vis à vis de ces personnes que l'on voit fleurir au gré des événements. Qui sont-ils? Comment sont-ils recrutés ? Quelle est leur expérience réelle du sujet qu'ils abordent ? Nul ne le sait en règle générale. Récemment encore, je crois que c'était sur BFM, j'ai vu un expert spécialisé dans le moyen orient qui m'a fait sourire. Ce jeune blanc-bec sans doute frais émoulu de Science-Po parlait savamment de problèmes mais je doutais qu'il sut parler arabe et ait vraiment tenté de comprendre ce que pensait l'homme de la rue dans le pays concerné.

La névrose médiatique se définie par la présence de nombreux symptômes qui sont (liste non exhaustive) :
  • Peurs ou certitudes qu'un pays ou que la planète entière est malade.
  • Interprétation des événements et argumentations personnelles (élaboration) en privilégiant arbitrairement une explication au milieu de plusieurs possibles.
  • Consommation très importante de sites Internet d'informations générales de manière continue.
  • Nécessité de se renseigner constamment et de consommer de l'information.
  • Sensibilité accrue aux images véhiculées par la télévision et aux événements annoncés par ce canal. Internet et les journaux font également partie des médias susceptibles d'engendrer une névrose médiatique.
  • Recherche et collection d'informations sur les dangers contemporains.
  • Considération du pouvoir protecteur magique de l'information.
  • Exagération des menaces qui pèsent réellement et qui sont diffusées par les médias.
  • Rabâchage, répétition concernant les dangers susceptibles de planer sur un pays ou sur la terre.
  • Prospection, recherche d'informations défaitistes, négatives.
  • Consommation excessive d'informations, de scoop et d'actualités.
  • Nécessité de vérifier régulièrement l'actualité.
  • Fin de non-recevoir les avis rassurants des professionnels et des experts.
De toute manière, ainsi qu'il l'a été prouvé en analysant les médias, la surabondance crèe la redondance. Voici quelques années une étude avait montré après analyse des presque vingt-cinq mille article parus sur le net, qu'en fait ils n'étaient l'extrapolation que d'une vingtaine d'événement réels. Il y a donc redondance, les gens dont le métier est d'informer  professionnellement (presse, télé, etc.) ou gratuitement (blogs) se copiant mutuellement au risque de dénaturer totalement l'information de base.

Pour le reste, le fait d'être informé des catastrophes se produisant partout dans le monde donne une image biaisée de la réalité comme je l'exprimais plus haut. Mais pire encore et à un niveau plus profond de la psyché, cette surabondance de catastrophes s'ancre durablement dans le système limbique en le mettant perpétuellement en alerte, générant ainsi une angoisse, dans l'attente du pire. Et lorsqu'épuisé par l'angoisse, la rupture a lieu, c'est une dépression qui s'installe. Vaincu par les mauvaises nouvelles, l'individu a la nette impression que l'environnement le gouverne mais qu'il n'a plus aucun moyen de contrôler ce dernier. Il se retrouve alors comme dans l'expérience du désespoir appris. Persuadé que le monde n'est que violence est malheur, l'individu sélectionne uniquement les informations qui lui permettront de se dire : à quand mon tour ?

Vaincre cette névrose médiatique c'est déjà admettre qu'elle puisse exister. C'est ensuite apprendre à consommer de l'information utile. C'est aussi trier les sources d'informations en fonction de la crédibilité de l'émetteur. C'est donc un patient travail de sélection et de discrimination qui doit permettre de ne pas croire tout ce qui est écrit dans un journal ou dit à la télévision.

Ensuite, c'est aussi se demander si ce qu'on nous dit, aussi crédible fut l'information, est intéressant pour nous. Il s'agit donc et c'est sans doute le plus difficile d'établir une sorte de barrière prophylactique permettant de trier ce qui est important de ce qui ne l'est pas. Et là, l'enjeu est de taille puisqu'il s'agit de renoncer à porter le malheur du monde sur ses épaules alors que justement la mode actuelle est au fait de s'intéresser à tous les recoins de la planète au motif qu'elle serait devenue une village mondial.

Le risque est donc grand d'imaginer qu'en voulait se protéger de l’influence néfaste de l'information on puisse se transformer en une sorte de salaud égoïste. Pourtant l’enjeu n'est pas là. il ne s'agit pas d'avoir une attitude dichotomique hésitant entre porter le malheur du monde sur ses épaules et devenir insensible à la douleur d'autrui. L'enjeu me semble-t-il et il est de taille est de renouer avec une forme d'humilité permettant de comprendre que l'on a des limites. Et que ces limites nous imposent de ne pas sombrer dans la toute puissance qui nous ferait croire que l'on peut se saisir à bras le corps de toute la misère du monde, de lui donner un sens et pire de pouvoir la résoudre.

A l'heure où j'écris ces quelques lignes, j'entends le vent souffler sur mes bambous qui se penchent. Un message SMS sur mon portable m’avertit que onze départements étaient alerte orange. J'ai cliqué sur le lien pour savoir desquels il s'agissait. J'ai vu que seuls des départements du littoral étaient concerné alors je n'ai pas cherché plus loin parce que je vis à Paris.

Suis-je égoïste ? Sans doute que non. J'espère que cette tempête n'occasionnera aucun dégâts pour les gens concernés. Et si cela arrive, je serai bien triste pour ceux qui en feront les frais. En revanche, je ne me sens pas vraiment concerné, de la même manière que j'estime qu'un breton ne devrait pas se sentir angoissé à l'idée qu'un orage s'abatte sur Paris. N'ayant ni amis, ni famille, ni relations, ni bien immobilier dans le Finistère, je ne suis pas concerné, c'est tout. De toute manière, c'est une information locale qui permettra sans doute aux gens de se mettre à l'abri. Pour le reste, c'est un non événement sachant que ces tempêtes sont courantes sur le littoral. C'est aussi passionnant que d'apprendre qu'il y a eu des chutes de neige dans les Alpes.

Pour vivre heureux, ne consommons pas trop d'informations, évitons de sombrer dans la névrose médiatique. Moi je lis le Parisien trois fois par semaine et cela me suffit généralement.

Les voyages !

 Horace

Hier je discutais avec un de mes jeunes et brillants patients qui venait de rencontrer une jeune femme. Tandis que je lui demandais si cela s'était bien passé, il m'expliqua les points communs qu'il avait découverts en me disant qu'elle aussi aimait les voyages.

Existe-t-il aujourd'hui passion plus creuse que les voyages ?  Le voyage de nos jours c'est la consolation du crétin. D'ailleurs pas un seul jeu télévisé dans lequel, un candidat demeuré ne réponde à la question de l'animateur lui demandant ce qu'il va faire de ces gains inespérés : je vais m'offrir un beau voyage. Le "beau voyage" est à l'activité culturelle ce que le cinéma est à la littérature, un ersatz, de la bouillie pour imbéciles qui ont trouvé dans l'époque actuelle l'occasion de ne point paraitre trop idiots à peu de frais. 

Je suis ravi d'appartenir à une génération qui voyageait peu. Aujourd'hui tous les jeunes voyagent. Le voyage est dans l'air du temps. Brassage des cultures, connaissance de l'autre, tout est là pour que le premier clampin venu aille souiller de ses baskets l'espace vital de quelqu'un qui ne lui a rien demandé. Au mieux, parce que c'est devenu une activité économique on mettra en place une sorte de théâtre pour ces visiteurs du bout du monde afin de les contenter.

Mon cabinet se situe dans un quartier touristique. Et toute l'année, mais encore plus aux beaux jours, je vois des hordes de touristes arpenter le pavé les yeux grands ouverts en suivant les commentaires qu'un guide aussi laid qu'eux leur propose. Je me demande à chaque fois combien de ces crétins repartiront de l'endroit en sachant faire la différence entre une façade classique, une haussmannienne ou un immeuble commun du XVIIème siècle. 

Et lorsque je les vois agglutinés en grappes inélégantes face à l'énorme église qui jouxte mon cabinet, combien d'entre eux sauront ce qu'est une église jésuite, si tant est qu'ils aient pris de la peine de connaitre l'histoire de cet ordre religieux. Combien de ces veaux en maraude sortiront de leur passivité pour avoir envie de lire, de retour chez eux, les homélies de Bourdaloue et les oraisons de Bossuet ?

Quant à ceux qui s'estimant plus malins, voyagent seuls ou en couple, au motif que les groupes seraient pour les crétins, je ne suis pas sur qu'ils soient plus intéressants. Il suffit, lorsque je déjeune en terrasse, de voir ce qu'ils consomment pour comprendre qu'à part le paysage de carte postale l'aspect culturel stricto sensu ne les passionne guère. Parce que sincèrement, il faut être un sacré sagouin pour accompagner son déjeuner d'un café au lait quand on se trouve dans un bistro parisien avec au mur affiché une carte des vins des plus alléchantes.

Plus jeune, Erasmus n'existant pas, j'ai eu la chance d’échapper à l'année quasi-obligatoire dans un faculté étrangère qui vous vaut de la part d'un recruteur crétin qui examine votre cv un regard de connivence au motif que vous avez une expérience internationale et que vous n'êtes pas franco-français. Cela m'aura épargné l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou je ne sais quelle autre destination ennuyeuse où j'aurais fait ce que je faisais habituellement chez moi mais loin de chez moi. 

De toute manière à moins de pratiquer parfaitement la langue, je suppose que l'expérience aurait consisté à se bourrer la gueule loin de chez soi avec des copains français en imaginant qu'on vivait là une expérience inoubliable, une sorte de rite initiatique faisant de nous des hommes. Même le service militaire, pourtant honni en notre temps, semble aujourd'hui moins sordide et vain.

Et puis, l'Europe était encore balbutiante, il fallait des visas. Quant aux pays de l'Est dans lesquels tout jeune va aujourd'hui, ils étaient encore sous le joug de la défunte URSS et ce n'était pas facile d'y aller. De toute manière, al misère y régnait et à moins de vouloir bouffer du choux et des saucisses à la sciure sous le regard soupçonneux de la milice locale, on n'avait rien à y faire. Et que dire du franc, monnaie si faible, qu'elle vous interdisait de voyager dans certains pays les plus riches. Amusez-vous à regarder la parité franc/dollar et dites vous que les USA étaient à cette époque une destination pour quelques happy fews et non pas le voyage de monsieur tout le monde. 

Les billets d'avions étaient hors de prix et les compagnie low-cost n'avaient pas encore pignon sur rue. Mais les voyages étaient plus agréables. Je me souviens encore des excellents repas et de la courtoisie du personnel des grandes compagnies aujourd'hui disparues comme TWA ou Pan-Am. Les gens étaient plus élégants et savaient se tenir. D'ailleurs un jour que je discutais avec un chef de cabine proche de la retraite, il ne cessa de se plaindre du comportement de cette horde de bœufs qu'embarquent aujourd'hui les compagnies. Et puis, on pouvait fumer dans les avions.

En gros chacun restait chez soi et les vaches étaient bien gardées. Quelques routards fauchés suivant la tradition initiée par la beat generation s'essayaient aux périples low cost et au moins avaient-ils le mérite d'accomplir un exploit. D'autres comme l'ami Gringeot, trainaient leur grosse carcasse sur des chantiers pour faire fonctionner des appareillages complexes sous des cieux exotiques en fréquentant les bouges locaux sans avoir l'impression d'être des aventuriers mais simplement d’accomplir un boulot. Tandis qu'aujourd'hui les amateurs de voyages n'ont qu'à se munir de leur carte d'identité ou passeport de cliquer sur un site quelconque en communiquant le numéro de leur Visa. 

Et si les jeunes, cette catégorie stupide et frelatée tant vantée par les médias qui ne se distingue que par son pouvoir d'achat coupé de toute activité de production, existait déjà, au moins leurs activités nuisibles s’exerçaient-elles plus  discrètement. Leur rébellion stupide se cantonnait à l'achat de disques vendus par des groupes chevelus les exploitant monstrueusement sous des abords culturels parce que le marchand malin dissimule toujours sa cupidité sous des croisades sociétales. 

Aujourd'hui, le jeune se prend pour un grand et pire pour un arpenteur du monde, persuadé que sa sagacité et quelques cours médiocres ingurgités dans une faculté ou une grande école leur permettra d'aborder une culture et un mode de vie qui n'est pas le leur. C'est ainsi que tels des Monfreid ou des Kessel en herbe alors qu'ils ne sont que des consommateurs et des petits enfants du siècles soumis aux diktats culturels actuels, vous les retrouverez à chaque coin de rue en train de faire ce qu'ils auraient très bien pu faire chez eux : se bourrer la gueule et danser sur de l'électro médiocre dans des boites de nuit qui sont la copie conforme de celles que l'on retrouve dans toutes les grandes capitales. Bien sur entre deux beuveries, ils n'auront pas manqué de visiter un musée quelconque, tout en ne sachant pas vraiment ce qu'ils ont vu mais en restant persuadés qu'il fallait le voir.

C'est sans doute pour toutes ces raisons, que j'attribue au fait que je sois un capricorne fixe et immuable, qu'avec une moue dubitative, j'ai dit à mon jeune et brillant patient qu'il fallait creuser. Parce que me semble-t-il, une jeune femme qui vous dit qu'elle aime les voyages fut-elle diplômée d'une grande école d'ingénieur, peut se montrer aussi creuse à l'usage qu'une shampouineuse se passionnant pour les people. Dans les deux cas, vous aurez le droit à une fake qui joue à être quelqu'un. Parce que finalement dans la catégorie jeunes diplômés avec de hauts revenus n'ayant aucune charge de famille, le voyage est souvent une activité permettant de tuer le temps en se disant que l'on fait tout de même quelque chose en dépensant l'argent que les impôts vous ont laissé.

De toute manière, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Où que l'on aille, les gens naissent, vivent, espèrent et meurent. Et puis, la connaissance, fut elle embryonnaire des neurosciences, laisse augurer que les tous les cerveaux sont conçus de la même manière. On peut même envisager que c'est une conscience morale née de nos cerveaux qui engendre les religions et non l'inverse. Où que l'on aille d'ailleurs le vol et le meurtre sont interdits. Alors si en fonction des lieux (climat, ressources, etc.) les coutumes changent, le fond humain reste le même.  Et à moins d'être un spécialiste effectuant des recherches pointues sur ces sujets, le clampin moyen ne verra et ne comprendra rien.

Bien entendu, j'ai conscience de la violence de mes propos et de leur caractère misanthrope. Mes chers lecteurs me connaissant bien, sauront distinguer le vrai du faux, l'essentiel de l'accessoire derrière ma prose enflammée. Je  ne doute pas qu'il y ait encore des voyageurs sincères, même parmi les jeunes. Mon jeune et brillant patient fait sans aucun doute partie de ceux-là. De toute manière c'est un de mes lecteurs et il est forcément surdoué et digne de confiance.

Pour les autres, ces crétins à passeport, je n'ai que commisération. On disait que les voyages formaient la jeunesse. C'était sans doute vrai quand le voyage s'accompagnait d'une activité de production (travail, études sérieuses, etc.) qui mettait l'individu face à d'autres modes de vie d'une manière engagée et totale. Aujourd'hui, tandis que le jeune consomme de l'argent qu'il n'a pas produit, les voyages coutent surtout cher aux parents mais ne forment rien du tout. Un voyage qui n'est pas basé sur l'échange, de marchandises ou de savoir-faire, n'est que du tourisme, une activité peu engageante et finalement pas plus intelligente que de regarder la télévision le cul sur son canapé.

Je crois que les plus beaux voyages que je fais aujourd'hui sont au volant de ma Visa Club en écoutant une radio qui ne passe que des vieilleries. Je remonte le temps pour pas un rond pour me retrouver à une époque que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaitre. Mais encore une fois, il faut être né sous le signe du capricorne et être gouverné par le sombre Saturne pour apprécier ces petits riens.

Caelum non animum mutant qui trans mare curunt
"ils changent leurs cieux mais pas leur âme ceux qui vont au delà des mers"

Horace

12 décembre, 2011

Le jour où j'ai cessé d'être un brave con !


Je m'en souviens encore comme si c'était hier et pourtant de l'eau a coulé sous les ponts de la Seine. Jeune psy frais et émoulu je débarquais dans le métier comme un jeune avocat pénaliste idéaliste presque persuadé que c'est la société qui crée le criminel mais qu'avec de l'écoute et des mesures appropriées tout le monde peut devenir un bon citoyen.

Bref, j'étais une sorte de gros puceau de la vie, un gentil fils à papa, qui avait pour tout viatique que ses bonnes manières, sa gentillesse et le fait de penser que si on est gentil avec les gens, on les aide mais qu'en plus ils seront gentils avec vous. Je devais avoir 29/30 ans et en tant que psy, si je me sentais complet au niveau des connaissances, humainement j'étais un trou du cul de première, gavé de belles paroles, une sorte de dame de charité du second empire version mec.

Je n'eus aucun problème avec les premiers patients, tous étant de braves gens ne posant pas de problèmes. J'agissais comme un médecin de campagne tels qu'on les retrouve dans les ouvrages servant à l'édification morale des jeunes filles de bonne famille, ces braves médecins qui sortent même la nuit par temps de neige en acceptant d'être payé en œufs et en lapins. Je ne comptais ni mon temps, ni ma patience et j'avais la certitude que ma grande gentillesse était le gage d'une thérapie réussie. Puis, j'eus rendez-vous avec D.

D. était le prototype du sale con. Envoyé pour des problèmes d'alcool, il ne les reconnaissait que du bout des lèvres. Son problème c'était de toujours vouloir négocier avec le réel. Qu'il s'agisse du travail, monsieur vivant aux crochets de madame, de l'alcool, monsieur buvant comme un trou, etc., D. aurait voulu continuer à avoir de mauvais comportements sans en encourir les conséquences. D. était venu me voir sur l'insistance de son médecin. Très tôt je m'étais rendu compte de cela chez D. et à défaut de lui envoyer ses quatre vérités à la face, j'aurais simplement pu lui indiquer qu'il n'était pas prêt à entreprendre une thérapie.

En fait D. venait me voir pour que son médecin et sa femme lui foutent la paix. Un peu comme un type que la justice m'enverrait et à qui cela vaudrait les faveurs du juge en correctionnelle, D. n'avait aucune envie de faire une thérapie. Il venait là comme aujourd'hui les conducteurs vont à un stage de récupération de points pour leur permis : ils écoutent sagement, s'en branlent totalement de ce qu'on peut leur dire, l'intérêt étant de récupérer les précieux points.

Moi à l'époque, en plus d'être un garçon gentil et un peu bête, j'étais professionnellement un gros needy, un de ces psys qui viennent de s'installer, trop idéalistes et dont le nombre de patients est trop faible pour qu'ils s'imaginent en refuser. Alors j'ai accepté cette curieuse relation thérapeutique. Je suis entré dans un jeu stérile avec D. au cours duquel je tentais d'être le gentil psy aidant tandis qu'il se foutait ouvertement de ma gueule.

Le fait qu'il se foute de ma gueule ne m'avait pas échappé mais je mettais cela sur le compte de "résistances" de sa part parce que j'avais à cœur de psychologiser comme un gros gland que j'étais. Je tentais de le ramener à la thérapie mais je voyais qu'il me parlait de ce qu'il voulait en se moquant ouvertement de mes remarques.

Le pire avait été que dès le départ il avait négocié mes honoraires d'une manière drastique. Plutôt que de lui opposer un refus, j'avais accepté en pensant qu'il valait mieux 50% d'honoraires que rien du tout. Ce qui était une erreur manifeste parce que ce type n'avait aucun problème d'argent comme je l'appris par la suite quand il m'expliqua qu'il était soucieux à propos de son portefeuille d'actions estimé à environ trois millions de francs. Et moi comme un âne j'étais là, payé une misère, tandis que ce gros con me parlait de ses avoirs.

Comme monsieur le Comte dont je parlais précédemment, je ne maitrisais plus la relation, passant du psy aidant au rôle de laquais sous-payé qu'on instrumentalise pour prouver à son entourage qu'on consulte et qu'on fait des efforts alors qu'en fait on veut continuer à n'en faire qu'à sa tête.

J'avais beau me trouver toutes les excuses, je savais bien au fond de moi que jamais je n'aurais du tolérer ce genre de relation thérapeutique. Mais me disant qu'un mauvais patient était mieux que pas du tout, j'ai persisté durant plusieurs mois à recevoir cet abruti. Nous avions rendez-vous tous les mercredis matins à onze heures.

Deux fois de suite, alors que les rendez-vous étaient pris à l'avance, il n'est pas venu. Puis il a réapparu en m'expliquant qu'il était parti en vacances deux semaines. Je lui ai dit qu'il aurait pu me prévenir et il m'a répondu qu'il n'avait pas emmené mon numéro. Comme je lui expliquais que j'étais dans l'annuaire, il me répondit qu'il n'avait pas essayé de peur de se tromper de personne. Et comme je lui expliquais que cela m'aurait étonné qu'on soit deux à porter le même nom et à pratiquer la même profession dans le même immeuble, il éluda mes arguments pour me parler de lui comme si le fait d'avoir raté deux rendez-vous était chose négligeable.

Et moi comme un âne, comme un brave garçon qui vient de se faire congédier j'ai commencé à l'écouter d'une oreille distraite. Mais une petite voix au fond de moi me murmurait que mon attitude n'était plus de la gentillesse mais qu'elle était de la faiblesse voire du n'importe quoi. Je regardais ce type en face de moi et je ressentais une haine intense pour lui. Alors que je n'avais aucune raison de lui en vouloir puisqu'il avait simplement trouvé le terrain propice où manifester son sans-gène et sa mauvaise éducation !

Je ruminais encore et encore, me demandant ce que je fichais là et si c'était la manière dont j'avais envisagé mon boulot. Parce qu'en plus comme tous les nice guy, j'évitais le conflit sur le moment mais j'en payais la facture une fois rentré chez moi en me disant que je n'avais pas été gentil mais simplement le roi des cons par peur du conflit. A la fin de l'entretien, n'en pouvant plus, ma décision était prise.

C'est ainsi que lorsqu'il me fit mon chèque, je lui rendis en lui disant qu'il manquait le paiement des deux séances qu'il avait ratées. Comme il me faisait finement observer qu'il n'était pas venu, je lui répondis que moi j'étais venu et que toute séance non décommandée avant vingt-quatre heures était due. Comme je m'y attendais, il refusa de me payer et je pris son chèque en lui disant qu'il pourrait se trouver un autre thérapeute. Il se leva, me sortit je ne sais plus quels reproches pour la forme et s'en alla. Je me sentis immédiatement libéré, avec la nette impression d'avoir réussi à gravir l'Everest, persuadé que j'avais réussi à être méchant alors qu'en fait je n'avais été que ferme et surtout juste.

Cette petite expérience qui pourrait prêter à sourire tant elle semble anodine et carrément coconne fut pour moi le point de départ d'un changement en profondeur.

D'une part, je n'ai plus jamais accepté qu'on remette en cause mes honoraires. De la même manière que mes chers patients ont une très nette notion de leur propre valeur quand il s'agit d'aller négocier leur salaire, je connais la mienne. Et accepter d'abaisser mes honoraires c'est donner à l'autre la possibilité d'accorder moins de valeur à mon travail. S'il m'arrive encore de le faire, c'est de manière rare et limitée dans le temps et en lien avec une situation particulière que j'apprécie au cas par cas. Il me sera toujours plus facile de le faire avec un patient venant du blog qu'avec un parfait étranger envoyé par un médecin. Ne me demandez pas pourquoi, c'est comme ça !

Quant à la manière dont se déroulent les séances, je garde toujours le contrôle. Je me souviens ainsi d'une comédienne un peu connue que j'avais reçue et à qui j'ai du expliquer que la seule star dans ce cabinet c'était moi et uniquement moi. De la même manière, même s'ils restent rares, je sanctionne immédiatement les comportements que j'estime manquer de courtoisie. En cas de problèmes, je peux négocier et tenter de comprendre mais il est hors de question que je devienne le nice guy, le brave mec qu'on paye et avec qui on se comporterait n'importe comment.

C'est ainsi que j'ai viré sept personnes de mon cabinet manu militari. J'en connais le nombre exact et je me souviens encore de leurs noms. La première, car c'était une femme, était directrice générale d'une assez importante société de mode. A un moment, elle avait commencé à prendre l’habitude de me parler comme à son petit personnel et je lui ai fait remarquer. Et comme elle persistait, je lui ai demandé de partir immédiatement ou plutôt de "prendre ses cliques et ses claques et de dégager sur le champ". Comme elle me disait que jamais personne ne lui avait parlé comme cela et qu'elle me ferait une contre-publicité terrible je lui ai répondu qu'il y avait une première fois à tout et que je la pensais trop intelligente pour ne pas reconnaitre ses torts et qu'en ce cas elle serait de nouveau la bienvenue. Elle est revenue deux mois après en présentant des excuses.

La dernière personne que j'ai virée était aussi une femme pour des motifs similaires. Alors qu'elle me parlait, j'ai eu l'impression de devenir un petit garçon tancé par maman. J'ai immédiatement inversé la vapeur en lui demandant ce qui se passait et ou elle s'imaginait être avant de la virer proprement. Non que j'en veuille aux femmes particulièrement mais que comme elles composent les deux tiers de ma clientèle, statistiquement il y a plus de chances que je congédie une femme qu'un homme. De plus, quatre-vingt pour cent des femmes que je reçois sont dotées comme aurait dit ce brave Jung d'un fort animus positif et je suis parfois obligé de faire péter la testostérone pour contrer leurs prises de pouvoir intempestives.

Bref loin d'en vouloir à l'odieux D. je lui suis reconnaissant de m'avoir mis en face d'un problème, celui d'être trop gentil, d'être une sorte de nice guy à la sauce psy. Finalement si j'ai continué à beaucoup endurer des gens c'est que je sens parfois que c'est la bonne voie pour obtenir des progrès. En revanche les comportements discourtois totalement gratuits ne sont plus tolérés.

En bref, à l'instar d'un château-fort, je maintiens le pont-levis baissé et les gens sont les bienvenus mais le donjon restera imprenable.

Sans doute que le fait d'avoir suffisamment de patients et de devoir en refuser maintenant m'a aussi permis d'être moins needy. En amour comme en affaires, quand on rame et qu'on ne bouffe pas à sa faim, on se dit que faute de grives on mangera du merle. Et puis quand l'abondance arrive, on se met à être plus difficile.

Finalement la base du respect, c'est de se respecter soi-même et de ne pas se galvauder et c'est plus facile quand tous les indicateurs vous prouvent votre valeur. Définir sa propre valeur ex nihilo reste difficile et en tout cas cela se travaille à l'extérieur mais pas dans le cabinet d'un psy.

Finalement, à moins d'avoir une chance insolente, d'être né beau comme un dieu et d'avoir des dons hors du commun qui font qu'on nous aurait ressassé durant toute notre enfance combien nous sommes merveilleux, la situation de needy est notre lot commun à nous les humbles et les médiocres.

Les malheurs de monsieur le Comte !

Laquais stylé !

Il en a des gros malheurs monsieur le Comte. Voici un mois qu'il travaille d'arrache-pied pour lever une gonzesse et hop, la voici qui se défile en prononçant la phrase qui tue : je préfère qu'on reste amis. Il en est tellement abattu qu'il m'appelle un vendredi soir pour m'en parler. Et comme il n'est pas loin de chez moi et que j'organise une petite soirée, je lui dis de passer à la maison. A défaut de régler tous les problèmes, l'alcool noiera sa peine.

J'ai suivi ses progrès comme un turfiste dans les tribunes du champ de courses. J'avais misé sur Monsieur le Comte, un bon canasson bien entrainé et je pensais gagner. Et puis là, l'erreur, le pauvre s'est laisser entrainer dans des discussions trop intimes, de la psychologisation de bistro. La gonzesse lui a parlé de ses relations désastreuses avec son papa et il s'est senti obligé de lui parler ses relations avec sa maman. De dragouille soft avec partie de jambes en l'air à la clé, la situation s'est muée en séances de psy de groupe.

De partenaire sexuel potentiel, monsieur le Comte est devenue le bon pote asexué, la version masculine de la bonne copine moche à qui une nana jolie raconterait tous ses déboires amoureux. La situation s'est complètement désérotérisée, désexualisée, ce n'était plus une femme et un homme mais deux compagnons d'infortune qui se parlaient. Monsieur le Comte en voulant être trop gentil venait de rentrer dans le triangle des Bermudes amoureux : la terrible Friend Zone.

La friend zone, ou zone d'amitié, est un terme décrivant une relation dans laquelle l'un des partenaires veut devenir sexuellement intime tandis que l'autre préfère rester ami. Cette zone est considérée comme étant l’écueil à éviter notamment pour un homme. Une fois qu'une relation est entrée dans cette Friend Zone, il est généralement difficile d'en sortir. L'homme n'est plus envisagé par la femme comme un mâle potentiel mais comme un simple ami, une oreille attentive. Pour ne pas rentrer dans cette Friend Zone, monsieur le Comte aurait du éviter les erreurs de bases.

Sans doute que les sites de séduction qui traitent de tous ces sujets, en donnant des explications et des conseils restent un peu trop laconiques et peuvent choquer les types les plus sensibles qui n'ont aucune envie de se transformer en goujats maltraitants. Parce que finalement, l'idée n'est pas de passer de trop doux à trop dur mais d'être juste ferme et de marquer des limites infranchissables auxquelles on se tiendra. L'idée c'est de savoir ce que l'on vient échanger, ce que l'on vend et ce que l'on achète ; en se souvenant que lorsque l'offre ne correspond plus à ce que l'on recherchait, il faut tenter de reprendre le contrôle de la relation et si cela s'avère impossible, la terminer. Alors reprenons un par un les points développés par l'excellent article traitant de la Friend zone dans Artdeseduire :

Ainsi, il n'aurait pas du se montrer trop disponible apparaissant ainsi comme un pauvre needy, tel que les sites de séduction appellent ces gentils garçons qui se montrent trop en attente. Dans une relation commerciale, le needy serait le client tellement captif que vous êtes sur de lui fourguer n'importe quoi à n'importe quel prix : le pigeon parfait !

Needy en anglais signifie dire collant, désespéré et en manque. Quelqu’un est needy quand il est collant et en manque d’attention et d’affection. L'origine du comportement needy est soit le manque de confiance en soi, soit l’obsession amoureuse non assouvie (ou one-itis ). Un comportement needy du partenaire peut s’avérer assez rapidement un vrai cauchemar à vivre au quotidien. Toute personne équilibrée a naturellement tendance à éviter les partenaires needy. Le needy apparait immédiatement sans mystère et donne à la femme l'image du pauvre type totalement esseulé dont la vie est totalement vide et vaine. C'est extrêmement dur de ne pas se montrer needy quand on a craqué pour quelqu'un et qu'on est un type sensible. C'est justement là qu'il faut rameuter la testostérone pour se souvenir que l'on est un mâle : mâle sensible mais mâle d'abord.

Monsieur le Comte a accepté son mauvais comportement d'emblée en l'autorisant à le malmener. C'est ainsi qu'elle annulait des rendez-vous avant de les confirmer. Et notre brave needy, trop heureux de la voir, fonçait dans le panneau en frétillant et en remuant la queue comme un chien fidèle là où il aurait du gentiment mais fermement lui dire qu'il n'était pas son larbin. Parce que comme j'ai eu l'occasion de lui dire, de Comte à laquais ou majordome, la dégringolade est rapide ! On reste tout aussi stylé et bien éduqué, mais on finit par devenir le larbin plutôt que le maitre. Il y a deux manière de conduire une Mercedes, soit en en étant le propriétaire, soit en conduisant le propriétaire assis à l'arrière et cela change tout.

Il lui a laissé le temps de s'épancher sur sa vie d'avant, l'ex, les parents, etc. Et là, ce n'était pas possible. Quand une relation s'amorce, on parle de l'avenir, on rigole et on flirte, on ne se confie pas lourdement comme dans le cabinet d'un psy. Monsieur le Comte aurait du mettre le holà fermement quitte à se moquer gentiment d'elle pour recadrer la relation et prendre le contrôle. Les confidences, c'est plus sympa sur l'oreiller quand on fume sa clope après avoir tiré sa crampe. C'est là que l'intimité doit naitre.

Monsieur le Comte a trop tôt manifesté son intérêt pour elle et ses charmes. A priori, s'il déjeune et dine avec elle, c'est qu'il est intéressé et point trop n'en faut. Ou alors, il aurait fallu qu'il passe directement à une seconde étape en décidant de l'embrasser ou en lui proposant de tirer un coup. Là, c'était direct et sexualisé et il n'y avait pas d'équivoques. La position de l'amoureux transi n'est jamais la bonne parce que l'on se dévalorise. Or comme nous l'apprend la sociobiologie, un mâle qui fait la cour ne fait rien d'autre que de vendre son patrimoine génétique. Le mâle doit astucieusement jouer le beau et non être le spectateur de la beauté de la demoiselle. L'amour courtois c'est joli dans les romans mais ce ne sont que des romans. Le type trop romantique devient vite un casse-couilles grotesque et pesant.

Et pourtant monsieur le Comte est un jeune homme brillant qui s'est aperçu de toutes les erreurs qu'il commettait mais il n'a pas pu s'en empêcher. Parce que monsieur le Comte a mis tous ses œufs dans le même panier. Plutôt que de se souvenir qu'à Paris, c'était lui l'homme célibataire et bien né qui pourrait mener les débats et choisir qui il voulait, il s'est comporté comme un mort de faim persuadé qu'en dehors d'elle, il n'y aurait point de salut. Il a souffert de one-itis, cette curieuse maladie psychique qui vous fait vous dire que la vie ne repasse jamais deux fois le même plat et que c'est la seule et l'unique. Ainsi si la demoiselle ne répondait pas dans la minute à un SMS, il n'en dormait pas de la nuit. C'est mignon mais finalement très immature.

Les manuels de séduction, parce que c'est du bon sens, recommandent à ce moment là de faire machine arrière et de pratiquer le FO (freeze out) qui consiste à ne pas répondre à la demoiselle ou alors de manière très laconique pour montrer qu'on a une vie tellement remplie qu'on n'a pas le temps de ramer comme un fou pour une gonzesse. A ce moment là, c'est elle qui va faire des efforts parce que justement monsieur le Comte aurait repris le contrôle !

Mais non, camé jusqu'aux yeux, malade de one-itis, monsieur le Comte a vu les choses, les a comprises mais sa passion l'a entrainée jusqu'à l'inéluctable. Un jour il a reçu un mail dans lequel la demoiselle serait ravie qu'il vienne lui faire des travaux chez elle et lui donne quelques leçons de conduite mais qu'elle n'envisageait rien d'autre qu'une amitié. Bref, il a vu les choses, n'a pas voulu reprendre le contrôle de peur de tout perdre et au total, il a tout perdu en connaissant la suprême humiliation d'être traité comme un gros laquais que la demoiselle dévalorisait inconsciemment suffisamment pour imaginer qu'il lui rendrait servie sans attendre 'autre réciprocité que de pouvoir la contempler !

On peut comprendre que monsieur le Comte ait eu les nerfs, qu'il ait été partagé entre l'envie de coller des baffes à la demoiselle et celle de s'engager dans la légion sous un faux nom pour tout oublier.

Si je parle aussi librement de ce qui lui est arrivé, c'est que j'aurais pu connaitre les mêmes mésaventures à l'époque où j'étais un brave garçon sensible bourré d'empathie. Vous savez le genre de brave mec qui ne sait pas dire non parce que son éducation et son inclination l'incitent à toujours résoudre tous les problèmes et à comprendre tout le monde.

Et puis un jour, j'ai appris à faire la différence entre gentillesse et faiblesse. J'ai appris à me constituer une sorte de donjon qui serait imprenable, une sorte de tour massive qui abriterait les codes sources de mon système d'exploitation et qui serait à l’abri de toutes attaques extérieures. Et aussi à intégrer dans ma manière de voir, une sorte de système intégré, un genre de compteur assez simple qui prévient immédiatement quand on passe du mode gentillesse au mode faiblesse, du mode "altruiste" au mode "je me fais enculer à sec et j'en redemande parce que je suis con".

Cette prise de conscience je la dois à un type que j'ai reçu la première année que j’exerçais. Je crois que je n'ai jamais reçu un patient plus abject que lui sachant que ma clientèle est sympa à 99,99%. Mais je suis content que la Providence ait placé ce sale type sur ma route. Sinon, je serais encore comme monsieur le Comte : trop bon, trop con.

Un jour si vous êtes sage, je vous parlerai de ce rendez-vous houleux avec ce sale type.