31 juillet, 2012

Sauvetage, suite et fin !


Je crois que si je peux me faire avoir dans ma vie privée, il me sera plus difficile de me faire berner dans l'exercice de ma profession. Je pense que durant les premières années, j'ai pu être confronté à des comportements qui m'ont appris à être plus ferme. Le plus amusant c'est que les deux leçons magistrales que j'ai reçues soient venues de personnes ayant le même prénom. Alors, si vous vous prénommez Didier et que vous me consultez pour la première fois, ne soyez pas étonné si je tire la gueule et si je vous fais payer d'avance. Comme dit le proverbe : chat échaudé craint l'eau froide !

Le premier des deux vint me consulter alors que mon cabinet était ouvert peu avant. C'était un grand type arrogant et la première chose qu'il fit fut de geindre pour que je lui consente un rabais sur mes honoraires. Comme j'avais peu de monde dans l'humble garni qui me servait de cabinet et que je criais famine et que toi tu posais nue, comme dirait Aznavour dans la Bohème, je n'avais pas trop les moyens d'ouvrir ma gueule et je me suis écrasé comme une bouse !

Bien mal m'en a pris puisque ce type s'est révélé comme étant sans doute le pire type que j'aie jamais reçu. Je pense qu'il avait des traits sociopathiques et qu'ayant deviné que je n'étais qu'un jeune con doutant de lui, il en profitait pour me faire payer tout le mal que des confrères lui avait fait auparavant en m'humiliant l'air de rien. Jusqu'au jour ou n'en pouvant plus, je lui suis rentré dans la gueule en me disant que je n'avais pas choisi ce boulot pour avoir à faire à des connards pareils. Mais tout cela n'est qu'anecdotique dans la mesure où je n'ai jamais joué au sauveteur avec lui ayant simplement été une couille molle !

Le second Didier en revanche m'a beaucoup appris et marqué. Il m'avait été envoyé par mon filleul S. Il avait mon âge, c'était un mec sympa comme tous ces petits escrocs de bas étage qui savent vous apitoyer sur leur sort et faire en sorte que vous preniez leur responsabilité à leur place. Vous aviez beau savoir qu'à l'instar des canards, à chacun de ses pas il ferait une merde, vous ne pouviez pas vous empêcher de le trouver sympa. Tant et si bien que je me suis même débrouillé pour l'héberger durant deux mois, chose que je n'aurais jamais du faire. Non que je sois formellement contre mais que ce genre de mec se révèle vite être une sangsue.

Mon vieux pote psychiatre m'avait mis en garde mais grande gueule comme je suis, je ne l'avais pas écouté. Je pensais me démerder mieux que tous les confrères qu'il avait vus auparavant. Bref, ce coup-ci mon opération de sauvetage était autant motivée par mon côté Lancelot du Lac (le blaireau idéaliste) que par mon côté Du Guesclin ou Bayard (même blaireau que précédemment mais plus guerrier). Il avait gentiment posé ses valises et profitait sereinement de la vie sans rien foutre jusqu'à ce que je lui signifie que la période d'hébergement arrivant à son terme, il devrait trouver une autre adresse.

Il avait alors élu domicile chez une demoiselle chez qui il le payait pas de loyer et mangeait gratuitement. Sans doute qu'il devait un peu lui taxer d'argent pour ses clopes et ses cafés mais ça, je ne l'ai jamais su. Comme je ne suis tout de même pas le roi des cons (prince me suffit) j'avais envisagé avec lui une sorte de contrat par lequel je l'aiderai à lui trouver un emploi, sachant qu'il n'aurait que trois chances. Encore une fois, si l'on se souvient du triangle tragique de Karpman dont je parlais, je venais doucement glisser de sauveteur à père fouettard en introduisant une contrainte dans le contrat tacite qui nous unissait. 

Didier commençait toujours bien mais finissait toujours mal. Je crois que doué comme il était pour amadouer son monde et apitoyer le bourgeois, il forçait tout le monde à lui donner une chance qu'il finissait toujours par saloper parce que c'était en fait un sale mec. Et ce qui devait arriver arriva, il perdit le troisième emploi que je lui procurai. Et là, je fus implacable.

Je me souviens encore de la scène. Il était venu en urgence et je l'avais invité à déjeuner dans un truc pas cher parce que je ne voulais pas me faire entuber tout en sachant que ce gros rat n'aurait pas de blé. Et là, il m'avait dit qu'il couchait depuis deux jours dans une cage d'escalier parce qu'en même temps que son emploi, la copine qui l'hébergeait avait fini par le foutre dehors. J'écoutais stoïque ce qu'il me disait et j'étais fier de moi parce qu'au fond de moi, je me sentais non de marbre mais disons totalement étranger à ce qu'il me disait. Ce salaud qui me connaissait par coeur aurait voulu me prendre sur la corde sensible et ma foi, j'avais fait du chemin puisque je ne cédai pas !

Je lui expliquais calmement que le contrat était clair et qu'il avait eu trois chances, que je regrettais ce qui lui était arrivé mais que dorénavant je me sentais étranger à tout cela. Il tenta encore de m'amadouer puis voyant que cela ne marchait pas, il osa me dire qu'avec le métier que je faisais je n'avais pas de coeur. Parce que ces petits enculés qui vous exploitent en profitant de votre sensibilité plantent toujours leurs petites dents de prédateurs là où ça fait mal dès lors que vous cessez d'être exploité par eux. 

 Je ne me démontai pas, j'écoutai impavide ses remontrances puis je lui donnai d'autres adresses de confrères (les pauvres), je payai et je partis carrément sans me retourner comme un cow-boy dans le soleil couchant. Je n'ai jamais su ce qu'il était devenu. Sans doute qu'à l'instar de quelque animal parasite, il est allé planté sa tente chez quelque autre crétin prêt à être exploiter.

Je pense que sur ce coup là, le grand S m'a bien aidé. Un jour qu'il me demandait des nouvelles de ce Didier qu'il m'avait lui même envoyé, je lui avais un peu expliqué ce qui s'était passé en lui disant que je n'avais plus de nouvelles. Nous avions un peu échangé et c'est là que le grand S m'avait tout simplement dit que pour lui Didier n'était qu'un galérien de la vie qui ne méritait même pas la corde pour le prendre comme on disait avant.

C'est finalement grâce à ce Didier 2 que j'ai pris conscience de ce que l'on appelle les galériens de la vie, ces mecs qui pompent le système et les gens sans rien donner en retour. Je pense qu'auparavant, j'aurais tenté toutes les explications psys possibles et inimaginables pour tenter de les comprendre. Je crois qu'avant lui, je ne devais pas être loin du personnage qu'interprète Pierre Richard dans Je sais rien mais je dirai tout (pardon pour mes piètres références), une sorte de dame de charité toute droit sortie du second empire, ayant une vision irénique des problèmes sociaux. 

J'étais finalement un puceau de la vie. J'avais des tas de diplômes, j'avais fait des tas de trucs mais je n'étais finalement pas beaucoup sorti de mon milieu social et j'avais une vision biaisée des autres, pensant que les circonstances seules expliquaient le destin d'un individu. 

Comme je le disais au début de cet article ce qui constitue une belle épanadiplose et qui vous prouve que j'ai quelques lettres, je pense que si aujourd'hui, je risque encore de me faire avoir dans ma vie privée, ces deux Didier, le sale con et le parasite, m'ont permis non pas d'être plus méfiant mais plus ferme dans ma pratique professionnelle.

Ce furent deux gros cons mais j'en étais un aussi. Près de quinze ans après, qu'ils soient aujourd'hui remerciés pour les leçons qu'ils m'ont données. La faculté apprend finalement bien peu de choses.

30 juillet, 2012

Le sauvetage suite !


Lorsque je rencontrais cet ingénieur et que nous fîmes le tour du sauvetage, ce fut pour moi une belle occasion de me pencher sur mon cas. Parce que j'ai en moi ce vieux fond de sauveteur qui heureusement ne se manifeste pas trop dans ma pratique professionnelle dans la mesure où elle est encadrée par des normes (rendez-vous, honoraires, etc.).

Pourtant, alors que le pauvre gars se sentait dépité et persuadé d'être le dernier des crétins pour s'être ainsi laissé exploiter, je lui confiais que cela arrivait souvent aux braves gars comme nous, les bon gros benêts bourrés d'empathie et prompts à charger sabre au clair pour la bonne cause. Je lui en racontai une bien bonne pour bien lui montrer que moi aussi, malgré mes connaissances et mon métier, il m'arrivait de me faire baiser en beauté comme un premier communiant.

C'est ainsi que voici quelques années, une personne de ma connaissance se trouvait à cours d'argent et s'arrangea pour me le faire savoir en ayant l'intelligence subtile de ne surtout rien me demander, se fiant simplement à ma personnalité. Que croyez-vous qu'il arriva ? Bien sur, sautant immédiatement sur mon destrier, je sortis mon sabre et volais au secours de l'impécunier. Et c'est ainsi que nuitamment je fis un virement de huit-cent euros sur le compte courant de la personne pour couvrir ... son découvert.

Une année passa et con comme je suis, je n'osais toujours pas demander le remboursement de la dette. Sans doute que dans le monde de bisounours dans lequel je vis, où les preux chevaliers ne sont entourés que de gentes dames, j'attendais que la personne, voyant sa situation financière s'améliorer, se rappela à moi en m'indiquant qu'elle allait enfin me rembourser.

Que nenni, car si je me prenais pour Lancelot du Lac, je n'avais pas la reine Guenièvre en face mais une personne lambda. C'est ainsi que loin de correspondre à mes hauts idéaux, mon débiteur se contentant d'attendre, sans rien dire, et sans se montrer plus que cela reconnaissant. Je crois qu'au fond de moi, j'avais été tellement étonné et dépité de la conduite de mon débiteur, que j'aurais très bien pu ne jamais réclamer mon du, me contentant de le classer parmi les personnes sur qui j'avais fondé de grands espoirs mais qui jamais malheureusement ne serait à la hauteur de mes hautes attentes morales. 

J'en était à me dire que la leçon que je venais de prendre valait bien huit-cents euros. J'étais à fond dans mon trip dans lequel j'étais le jeune Werther prêt à souffrir mille morts plutôt que d'agir.  Bref, j'étais un trou du cul me prenant pour un chevalier de la table ronde, prêt à lâcher du pèze tandis qu'on se foutait ouvertement de ma gueule. Il faut d'ailleurs que je fasse attention parce que parfois , j'ai peur qu'un socialiste au grand coeur ne sommeille en moi !

Tant et si bien que c'est ma chère épouse qui a toujours les pieds sur terre et qui, elle ne se fera pas escroquer ne serait-ce que d'un euro me rappela qu'on m'en devait huit-cents. Elle bouscula alors le trip adolescent romantique dans lequel je m'étais enfermé et brisant mes éternelles ruminations mentales me rappela que si j'avais de grosses couilles et plein de poils c'est que je devais sécréter de la testostérone et qu'il serait temps de m'en servir pour expliquer ma manière de voir à mon débiteur indélicat.

Regaillardi par l'exposé de mon épouse qui a toujours réponse à tout, enfin aux choses simples pour lesquelles je réfléchis bien trop, j'écrivis alors à mon débiteur pour lui expliquer qu'il serait temps plus d'un an après de songer à me rembourser. J'avais espéré un "bien sur, rassure toi j'y pensais et j'allais t'en parler". Mais, mon cul tiens, c'est tout juste si on ne m'engueula pas parce que j'osais demander mon du ! Bref, de sauveteur, je venais de devenir persécuteur, je troquais soudainement le gilet de sauvetage contre un bon gros gourdin rappelant au malappris les règles simples régissant les rapports entre le créancier et le débiteur.

C'est ainsi que mon débiteur mit de mauvais coeur un virement permanent de cinquante euros mensuels sur mon compte. Et bien sur, n'étant pas un nazi de l'organisation, je ne vérifiais rien du tout par la suite, étant entendu que j'aurais été compris ! Sur ces entrefaites, telle une norne sachant déjà que mon destin était de me faire entuber, mon épouse surgit de nouveau pour me signaler qu'en juin aucun virement n'était parvenu. 

Afin de ne pas bousculer les choses par trop de précipitations et pour ne pas troquer trop rapidement mon costume de Lancelot contre celui plus vilain d'usurier, je décidais d'attendre la fin du mois de juillet afin de voir si il ne s'agissait que d'un incident de paiement pas très grave ou bien d'un foutage de gueule caractérisé.

Les derniers jours de juillet étant là, rien n'étant parvenue, je décidais de m'énerver un peu. J'envoyais donc un mail dans lequel j'expliquais à mon débiteur parti en vacances (à mes frais finalement) que voici deux mois que je n'avais rien reçu. Une fois encore je crois que j'espérais une réponse dans laquelle j'aurais pu distinguer un peu de sincérité. Mais non, j'en fus pour mes frais et on m'expliqua sans vergogne qu'il devait s'agir d'une erreur de la banque ! 

Mon cul oui ! Dans la mesure où je sais que mon débiteur est quelqu'un de très pointilleux et sourcilleux quant à la tenue de ses comptes, erreur ou non de la banque, je trouvais curieux qu'il n'ait point vu que le virement était suspendu. Je pris pour moi cette second leçon de vie qui explique que lorsque l'on agit comme un con, on est souvent pris pour un con. Je notais aussi que finalement un bienfait n'est jamais impuni et qu'on est souvent payé d'ingratitude. 

Puis me rappelant ma profession, je décidais d'abandonner ces vaines réflexions pour comprendre où cela avait pu foirer pour que je me fasse ainsi avoir par quelqu'un en qui j'avais toute confiance. Et finalement, c'était simple et même biblique. On reconnait simplement l'arbre à ses fruits (Matthieu 7/15-21). Et il n'y avait pas de raison que quelqu'un qui ne s'était jamais bougé le cul pour changer sa vie, mais compte sans cesse sur autrui et les circonstances, devienne un jour quelqu'un de responsable et de loyal. Mais le pire est que j'avais conscience de tout cela mais que j'avais enterré la réalité parce qu'elle ne convenait pas à la tapisserie remplie de preux chevaliers, gentes dames et de gentilles bergères que je m'acharnais à tisser !

Voici un peu ce que j'expliquais à mon cher patient pour lui dire que ce qui lui était arrivé n'était pas bien grave et arrivait aux meilleurs. Et que lorsque sommeillait en nous une sorte de Lancelot du Lac on serait bien averti et prudent de réfléchir à deux fois avant d'aller sauver la veuve et l'orphelin !




13 juillet, 2012

L'ingénieur qui voulait sauver le monde !

Je suis ingénieur, j'ai la classe mais je me fait toujours niquer par les femmes !

Allez, je vais reparler des ingénieurs dans la mesure ou ils sont en passe de devenir l'essentiel de ma clientèle. Voici quelques temps que j'en reçois un qui déroge largement au stéréotype de l'ingénieur tel qu'on l'imagine. Pensez donc qu'il n'a pas de culs de bouteille en équilibre instable sur son nez, qu'il n'était pas abonné à Sciences-et-vie junior étant petit et qu'il sait s'habiller ! Il est de plus très beau mec, joue bien de la guitare, conduit une moto et possède des diplômes à faire pâlir d'envie n'importe quel X-mines !

Bref ce type est une ovni et il est d'ailleurs arrivé dans mon cabinet pour un problème de coeur. Car c'est un grand sensible qui vit pleinement sa sensibilité. Parce que ne vous méprenez pas, je n'ai jamais imaginé qu'un ingénieur ne soit pas sensible simplement que la plupart de ceux que je reçois ne sache pas quoi faire de cette sensibilité. Tandis que certains la méconnaissent, d'autres en revanche en ont conscience. Mais généralement, ils ne savent pas quoi faire puisque la sensibilité appartenant au monde des émotions n'obéit que difficilement à des axiomes et autres théorèmes.

Bref voici que mon ingénieur sensible qui plait aux femmes vient à me consulter voici quelques temps. Au milieu de ses diverses plaintes, l'une d'elle semble plus importante et concerne une fille avec qui il est en couple depuis quelques années. Celle que le commun des mortels nommerait une petite salope ne cesse de le faire tourner en bourrique puisque lui justement ne sait pas encore que ce n'est qu'une petite salope. Bien entendu, je ne me vois mal lui dire immédiatement que celle qu'il avait prise pour une muse, pour la madone au fresque des murs n'est qu'une petite salope profiteuse. D'une part parce que je suis poli et enfin parce que s'il y a bien un truc sur lequel il faut marcher somme sur des oeufs dans mon métier, ce sont les relations amoureuses !

Personne n'aime s'entendre dire qu'il s'est planté, qu'il est passé pour un con, qu'il s'est fait exploiter et que la femme de sa vie n'était qu'une petite intrigante dénuée de tout scrupule ! Vous noterez que je n'ai pas employé le terme petite salope ce coup-ci. Personne n'aime cela alors mon job consiste à revisiter la soit-disant histoire d'amour en insistant sur certains évènements de manière à mettre en lumière des faits évidents tendant à montrer que ce que le monsieur prenait pour une belle histoire n'était en fait qu'une relation dans laquelle une jeune femme abusait d'un niais trop sensible pour voir la réalité. En fait, je ne fais que braquer un projecteur sur des évènements précis et objectifs, laissant à mon cher patient le soin de voir combien il s'est fait abuser pour ne pas dire baiser dans les grandes largeurs. Une fois que le pauvre chéri est par terre, tout déconfit, je ne fais que l'accompagner dans son deuil, c'est à dire que je ramasse les morceaux pour les recoller !

Mais pourquoi s'était il autant fait abuser me direz-vous ? Comment, alors que je souligne la grande intelligence alliée à l'immense sensibilité de ce jeune homme, a-t-il pu ainsi se faire rouler dans la farine et ce par une jeune femme ne possédant pas la moitié de son QI ? Et bien sans doute qu'à l'instar de ce qu'explique la publicité pour un site de poker, ce qui compte dans la relation humaine, ce ne sont pas les cartes qui comptent mais ce que vous en faites. 

Il se trouve que mon cher patient possède ce que l'on nomme une personnalité de sauveteur. Ainsi, on admet que de nombreuses personnes ont à coeur le désir d'aider autrui. Ces personnes choisissent souvent les secteurs de la santé ou des services sociaux. On admet que leur sensibilité leur donne une conscience sociale plus élevée que la moyenne des individus. Elles sont naturellement empathiques et extrêmement sensibles aux malheur d'autrui. Naturellement douées pour la compassion, ces personnes se mettent spontanément au service d'autrui.

C'est très bien, la sainteté leur est quasiment acquise sauf que l'écueil est justement de se laisser aller naturellement au sauvetage sans posséder de bons garde-fous auquel cas on s'expose à être parfois le jouet de personnes qu'il n'aurait jamais fallu aider. Le risque est en effet important de s'investir totalement dans la cause d'autrui au point de se perdre en méconnaissant son propre intérêt. Parce que le risque est aussi pour le sauveteur de se sauver lui-même en accomplissant une action d'éclat par laquelle il va se renarcissiser. Voler au secours d'autrui en méprisant ses propres besoins, émotions et désirs n'est pas une chose à faire.

Aider est admirable mais il faut se souvenir que celui que l'on aide n'est pas nous. Trop aider autrui le prive de sa liberté d'action ce qui fait qu'à un moment ou un autre, tout ceci se retournera contre le sauveteur. Le sauvé ne fera pas tout ce que le sauveteur avait envisagé ce qui le frustrera ou pire, le sauvé en aura assez qu'on lui apprenne à mettre un pied devant l'autre et se détournera du sauveteur, lequel n'aura que ses yeux pour pleurer en maudissant la condition humaine qui fait que décidément les gens sont bien peu reconnaissants.

Et croyez-moi en écrivant cela, je sais que j'ai pu par le passé ressembler à mon patient, m'étant pris parfois de grandes claques dans le museau en faisant à la place d'autrui alors que la sagesse m'aurait recommandé d'être plus circonspect. Mais bon, sans doute que lui et moi avons en nous cette faculté de bondir sabre au clair pour changer le destin d'autrui. Sans doute sommes-nous deux pauvres trous du cul nous rêvant héros antiques.

Selon la thérapeute Melody Beattie, qui a particulièrement étudié les conjoints d'alcooliques, le sauvetage est constitué de "tous les actes qui contribuent à faire qu'un alcoolique continue à boire, qui l'empêchent d'en supporter les conséquences oui lui rendent les choses plus faciles sans qu'il n'ait rien à changer à ses habitudes". Un autre thérapeute, Scott Egleston, estime que "l'on agit en sauveteur chaque fois que l'on prend quelqu'un en charge, dans es pensées, ses sentiments, ses décisions, ses attitudes, son évolution, son bien-être, ses problèmes ou son destin". Et c'est souvent l'occasion de se retrouver dans le triangle dramatique de Karpman.


Ce triangle souligne la dynamique qui se met en place entre le sauveteur et la personne aidée. A l'origine c'est souvent une émotion comme la culpabilité ou la pitié qui initient le sauvetage. Le sauveteur est convaincu qu'il doit absolument faire quelque chose et pire qu'il est mieux placé que quiconque pour aider la personne. Il se sent investi d'une telle mission qu'il est persuadé d'être indispensable et irremplaçable alors que bien souvent on ne lui a rien demandé. Dans les faits, c'est souvent pour se libérer de l'inconfort ressenti par la détresse de l'autre que le sauveteur passe à l'action. Le problème est que le sauveteur laisse de côté ses besoins émotionnels et ses propres désirs pour s'investir totalement dans sa mission. De l'autre côté le sauvé, libre de toute responsabilité, poursuit ses comportements destructeurs puisque désormais il a un filet de protection.

Le sauveteur se sent alors exploité, vidé et délaisse bientôt le gilet de sauvetage pour le bon vieux gourdin. L'attitude aimante et empathique laisse place au contrôle et à la menace de sanction si le sauvé continue à ne pas faire ce que le sauveteur lui dit. Il impose des règles sévères et se mue en persécuteur, intervenant au moindre écart et menaçant de couper son aide.

C'est alors qu'intervient la troisième étape au cours de laquelle, le sauveteur, vidé et lassé de ne pas voir ses ordres respectés se place lui-même en position de victime attendant d'être compris et sauvé par celui-là même qu'il espérait sauver ! Et comme le changement de rôle n'est pas aussi évident pour le sauvé qui ne comprend pas les revirement du sauveteur devenu victime, il devient sans s'en rendre compte persécuteur du sauveteur.

Chacun parcourt donc le triangle de Karpman parfois en une heure ou en une journée et la mésentente s'installe rapidement. Le sauvé commence à en avoir assez du sauveteur et s'en va chercher un autre sauveteur. Car il est évident que l'action du sauveteur n'a pas porté ses fruits et que celui qu'il voulait sauvé n'aura rien retenu et n'aura de cesse que de se trouver un autre sauveteur, quitte à revivre le triangle tragique de Karpman. Le sauveteur, lassé, vidé, exténué se trouve au bord de la dépression dans un état de détresse émotionnelle telle que l'on pourrait la qualifier de burn-out.

C'est à ce moment, que les plus malins des sauveteurs réalisent ce qui se passent et décident de se libérer de ce piège qu'est le sauvetage. L'important est de réaliser que même si notre empathie nous permet de déceler le malheur d'autrui, on n'est pas forcément le plus adapté pour y répondre.

Enfin, l'aide à autrui doit autant que faire se peut obéir à certaines règles. On a admis que bien souvent le sauveteur a appris son rôle dans l'enfance quand il a du prendre en charge un parent malade ou réparer sa famille. Enfant, il a appris à prendre soin de l'autre sans chercher à se réaliser lui-même. Ce sont ces prises de conscience que le sauveteur doit faire pour apprendre à aider valablement autrui; L'aide ne doit pas être une sorte de routine informatique dont l'apprentissage se se ferait fait étant enfant mais bien un acte mûrement réfléchi.

Le sauveteur doit prendre soin de lui-même, se prendre en charge au niveau émotionnel ce qui lui permettra de distinguer le rôle d'aidant de celui de sauveteur. Cela lui permettra de mieux évaluer la situation avant de foncer tête baissée. Parce que les besoins, les désirs et le bien-être de l'aidant ne devraient jamais souffrir ou alors le moins possible du secours qu'il porte à autrui. Lorsque l'inconfort surfit au milieu d'une relation d'aide c'est que bien souvent on est passé dans une situation de sacrifice dans laquelle le sauveteur va surgir pour prendre la place du simple aidant.

C'est ce que j'expliquais peu ou prou à mon cher patient. Il a admis les choses sauf une fois, ou replongeant dans son rôle de sauveteur, il m'expliqua qu'il devait agir parce que sa copine était dans une situation inextricable. Tandis que je lui demandais si elle lui avait clairement demandé de l'aide, il m'avoua que non, qu'elle était bien trop fière pour le faire mais qu'elle savait communiquer autrement. Je lui expliquai alors qu'elle s'arrangeait  toujours pour le manipuler, se faire aider sans rien demander, ce qui lui permettait par la suite, lorsqu'il lui mettait trop de pression de pouvoir lui lâcher "mais je  ne t'ai rien demandé d'abord !". Ce qui était vrai.

Car si le sauveteur obéit toujours à une psychodynamique bien connue, dans la mesure où l'on admet aujourd'hui qu'il a appris son rôle tout jeune, il faut aussi admettre que le sauvé n'a rien de la pauvre petite victime qu'il donne à penser.

Le sauvé, cette improbable victime perpétuelle des autres et des circonstances est souvent un individu qui se laisse porter et qui n'offre souvent en guise de vade mecum qu'un erstaz de bonne volonté et de moralité consistant à clamer "je fais ce que je peux, aidez moi". Rien de ce qui lui arrive ne lui est vraiment étranger mais il préfère que les autres trouvent la solution que de faire le premier pas pour s'en sortir. Personnalités souvent falotes et dépendantes, elles ont du mal à exprimer leurs besoins, se contentant de manifester l'inconfort de leur vie par une tristesse contagieuse consistant à apitoyer autrui parfois sous des formes très élaborées.

Ainsi, si le sauveteur est souvent un brave type qui se croit plus fort qu'il n'est en réalité, le sauvé qui s'inscrit dans la relation réalise que l'on peut tout de même réussir quand on est con et pleurnichard.

02 juillet, 2012

Les ingénieurs et moi !


J'ai déjà longuement parlé des stéréotypes et des préjugés, deux notions de psychologie sociale importantes, aussi ne reviendrai-je pas sur le sujet. L'un des stéréotypes persistants concerne les ingénieurs, lesquels sont généralement considérés comme des gens étranges, vivant un peu en marge de la population normale. La caricature est un peu grosse, car si l'on peut considérer que nos amis ingénieurs sont généralement d'incorrigibles analysants, il serait toutefois erroné de les psychiatriser tous en leur accolant l'étiquette d'autiste. On peut être un peu enculeur de mouche sans se voir comparer à Forrest Gump.

D'ailleurs ce blog m'amène une clientèle considérable d'ingénieurs avec laquelle je m'entends très bien même si je me sois souvent obligé de batailler pied à pied pour leur faire comprendre des notions basiques destinées à développer des habiletés sociales.

Ce que j'ai pu constater c'est que chez l'ingénieur, ce qui n'est pas former n'est pas rationnel. Or, même si la psychologie tend à objectiver du subjectif, il est vrai qu'elle reste ce que l'on nomme une science molle qui n'a pas la rigueur de la physique ou des mathématiques. Avec la psychologie, on esquisse, on devine, on imagine, on échafaude des hypothèses mais on ne bâtira jamais un barrage sur l'Amazone.

D'ailleurs, moi qui m'imagine être un profileur hors pair, j'assortis toujours mes analyses d'une probabilité. Lorsque j'observe des comportements et que je dois envisager de bâtir une personnalité, c'est à dire de deviner comment fonctionne une personne, je ne peux imaginer que des tendances. Le concept que j'adopte est un peu celui développé par Vallerand et Thill dans leur ouvrage Introduction à la psychologie de la motivation qui imaginent que "le concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l'intensité et la persistance du comportement".

Ainsi, les fameuses forces internes et/ou externes qui constituent l'environnement d'une personne sont tellement nombreuses en tant que paramètres et tellement fluctuantes parfois que dans mes moments de gloire, je ne peux jamais être sur à plus de 99,99%. Le film Chute libre, interprété par Kirk Douglas illustre parfaitement cette théorie puisque l'on voir un individu décompenser violemment simplement parce qu'il est pris dans un embouteillage monstrueux. Alors certes, on aurait pu décrypter la personnalité de William Foster et imaginer qu'il était au bout du rouleau compte tenu des contraintes internes qu'il endurant (chômage, divorce, etc.), prêt à péter les plombs mais bien malin celui qui aurait pu deviner quand dans la mesure où ce passage à l'acte n'intervient qu'en fonction de contraintes externes totalement imprévisibles. C'est d'ailleurs toute la difficulté de la prédiction de la dangerosité des individus.

Mes chers petits ingénieurs ont parfois du mal avec cela. Ils voudraient voir le monde comme on construit un pont ou alors, persuadés que seule les sciences dites dures ont du bon, ils négligeront totalement l'existence de règles concourant aux rapports sociaux. Issus de concours puis de formations qui les transforment en machines à traiter les données, ils internalisent souvent trop et prennent souvent trop en compte certains paramètres (ce qu'ils pensent) au détriment d'autres (ce que pensent les autres).

C'est la limite de la science de l'ingénieur, dont un des avatars en termes d'application à la psychologie sera la brillante organisation scientifique du travail due à Taylor. Lorsque ce dernier a échafaudé sa théorie, il en est resté à une vision totalement aberrante de l'être humain au travail. D'ailleurs, pour lui, l'ouvrier était une sorte de chimpanzé qu'il s'agirait de dresser afin de le rendre plus efficient. Les notions de plaisir au travail ou de reconnaissance n'ont pas été intégrées dans ses recherches, sans doute parce qu'il n'avait aucun moyen objectif de les mesurer à moins qu'il ne les ait délibérément mises de côté en se centrant uniquement sur sa mission consistant à organiser une production.

Il aura fallu attendre le courant de la psychosociologie des organisations pour que l'on admette que l'opérateur n'était pas un singe savant mais un individu complexe quelle que soit sa formation et que l'homme au travail réalisait une équation d'une très grande complexité prenant en compte des forces externes (coûts et objectifs chiffrés, nécessité d'un salaire)  mais aussi internes (reconnaissance, accomplissement, etc.).

Finalement les politiciens, ou du moins ceux qui les aident se sont révélés bien plus performants que les ingénieurs dans la mesure où ils sont parvenus à motiver des foules, les électeurs, en vue de la réalisation par d'autres, les élus, d'objectifs totalement fallacieux la plupart du temps. En ce sens, le vieux slogan gauchiste élections piège à cons s'est révélé totalement vrai sauf qu'il faut admettre que les individus ne sont pas cons mais simplement souvent mus par des forces apparemment irrationnelles que l'on qualifie d'émotions. Et pourtant, interrogés individuellement, la masse de ces cons l'est beaucoup moins que l'on ne l'imagine. Chaque électeur sait à peu près quoi penser d'un élu mais pourtant à chaque élection, ils se ruent en masse vers les urnes, prêts à se faire tondre.

Ce qui apparaît irrationnel est pourtant très rationnel. Et ce n'est pas parce que cela ne peut faire l'objet d'un cours de mathématiques que cela n'existe pas. J'ai ainsi souvent ce genre de problèmes avec mes chers ingénieurs. Pourtant, on a réussi à leur vendre des espaces à n dimensions alors qu'ils vivent comme tout un chacun dans un univers à trois dimensions. Mais cette approche a été faite dans le cadre d'un cours et ce qui parait irrationnel soit de ce fait devenir rationnel dans leurs cerveaux d'analysants. Hélas, on ne peut organiser la psychologie comme on le ferait d'un cours de mathématiques.

Et si des lois existent et des expériences ont été faites qui permettent à la psychologie de ne pas être de la magie, on doit aussi compter sur des notions abstraites telles que l'intuition ou la sensation, ces formes de capacité à percevoir de facto de qui n’apparaît pas immédiatement. Ce qu'enseigne la psychologie c'est justement la limite de l'intelligence artificielle, cette capacité étonnante d'un cerveau humain à traiter des données apparemment irrationnelles. Parfois, je ne dis pas que tous le fassent, mes chers ingénieurs voudraient que le monde entier (en termes de rapports humains) puisse obéir au test de Turing.

Voici quelques mois j'ai ainsi eu une controverse avec un de mes jeunes patients ingénieurs lequel me montrait le profil qu'il venait de rédiger pour illustrer un compte qu'il avait ouvert sur un site de rencontres. L'ayant lu, je lui expliquai alors que son profil n'était pas fameux et qu'il ouvrait la porte à des interprétations qui ne joueraient pas en sa faveur. Ecrit sous forme de vers, le texte était habile et travaillé mais n'avait rien à faire sur un site de rencontre où l'on ne juge pas la performance d'un individu à sa capacité de versifier mais uniquement au fait de susciter de l'intérêt.

Un peu lassé, je lui expliquai alors à peu près que toute jeune femme prenant connaissance de son profil le rangerait sans aucun doute dans la catégorie garçon malhabile un peu sale. Mon jeune ingénieur qui y avait mis tout son coeur avait du mal à concevoir comment je pouvais ainsi oser salir son entreprise. Evidemment je savais bien qu'il était sincère et comme je lui disait, en tant qu'élément extérieur j'étais mauvais juge puisque je le connaissais intimement. Mon analyse ne faisait que lui livrer ce qu'en penserait des femmes ne le connaissant pas et n'ayant que quelques lignes pour choisir ou non de lui répondre.

Afin de renforcer mon interprétation, je décidai avec son autorisation de recopier son texte et de le montrer à quelques patientes. J'organisais deux liste. Dans la première figurait des femmes plutôt douces et maternelles tandis que dans la seconde je ne mettais que des femmes que l'on pourrait qualifier de plus masculines dans leur manière d'envisager la vie, celles pour qui Jung aurait parlé d'animus positif important. Bien entendu, cette expérience n'avait pas de visée scientifique puisque mes échantillons n'ont pas été testés, je n'en attendais qu'une tendance. Laquelle tendance ne s'est pas faite attendre puisque le premier groupe de femme a jugé que son texte donnait de lui l'image d'un gentil garçon malhabile et touchant tandis que le second groupe s'est prononcé plus durement pour une étiquette de blaireau étrange.

En résumé mon cher patient, ne faisant qu'internaliser des données internes (ce qu'il sait intimement de lui et de ses motivations) avait oublié de traiter des données externes (ce qu'une femme peut penser de lui). Le résultat était qu'il venait de se faire un petit nid douillet dans la catégorie des nice guys ne comprenant rien aux rapports humains en général et aux femmes en particulier. Bref, dans l'espace à n dimensions que représente les rapports hommes/femmes, et pour lequel il n'y aura jamais véritablement de cours valables, mon patient venait de comprendre que les femmes ont un cerveau et des hormones et qu'elles sont autant des êtres humains que des femelles de l'espèce et qu'il faut tenter de contenter l'ensemble de leurs appétits. Nous sommes bien loin de la science de l'ingénieur et de la manière qu'elle aurait d'envisager le couple.

C'est d'ailleurs la limite de ces cours de séduction qui fleurissent sur le net et dans lequel on tente d'aider les hommes à devenir des pick-up artists (ou PUA). Bâtis à la manière de l'organisation scientifique du travail de ce cher, certains de ces programmes se targuent de transformer n'importe quel nice guy en tombeur avéré. La plupart du temps, il s'agit surtout de faire du chiffre, de baiser de la gonzesse au kilo, et de donner les recettes destinées à transformer un gentil garçon en gros con de mufle. C'est encore une fois et toujours la limite de la recette plaquée, de l'équation grossière ne reposant que sur des données brutes. Ces programmes en désirant faire sortir les nice guys d'eux-mêmes les coupent totalement de leur moi profond. De ce fait, ils réalisent uniquement l'antithèse de ce que l'on reprochait aux analysants. Vous étiez trop dans votre monde, on va vous en faire sortir !

Finalement, il faudrait savoir sortir de soi pour aller vers les autres tout en sachant que finalement on reste toujours soi-même. C'est compliqué à comprendre ? C'est normal. Certaines choses s'éprouvent et ne s'apprennent pas à la manière d'un cours de physique. C'est compliqué d'être heureux parce que les recettes sont trop simples.