21 septembre, 2012

Tu n'as même pas parlé de l'autre abruti !


Mon épouse venait de lire mes articles le plus récents lorsqu'elle m'a reproché de ne pas avoir parlé de l'autre abruti dans mes petits carnets de vacances. Mais de quel abruti parlait-elle car il y a fort à parier que nous en ayons vus un certain nombre en quinze jours ?! Elle me rappela alors notre visite du mémorial de Caen. L'endroit où nous avions croisé un crétin incroyable.

C'est vrai que puisque nous étions à Caen, l'idée de visiter le mémorial nous est venue. Il faut dire qu'il est très bien indiqué. Autant vous dire que pour retourner à Falaise en partant de Caen, sans GPS c'est une galère sans nom et vous risquez de tourner sans fin sur le périphérique, autant il est impossible d'échapper au Mémorial de Caen puisque sa direction est indiquée partout. Tout autour, dans le centre, des panneaux vous l'indiquent. Alors soit le monument était particulièrement passionnant, soit il a coûté tellement cher qu'ils ont décidé de le rentabiliser coûte que coûte en faisant de la retape partout.

Bref, vaincus par cette publicités et ces indications omniprésentes, nous sommes allés visiter le Mémorial de Caen. Et nous ne l'avons pas regretté. Déjà le bâtiment est beau et impressionnant. Une fois dans le hall, tandis que l'on fait la queue pour acheter le billet, c'est très chouette d'avoir un Hawker Typhoon muni de ses roquettes accroché au-dessus de nous. Ils semblent avoir mis les moyens, au Mémorial de Caen ; on ne met pas de maquettes pourries à l'échelle 1/5, on colle du vrai, du lourd, en tôle, avec son Napier 24 cylindres et ses RP-3 sous les ailes !

Et puis, même moi qui ne suis pas très musée, parce que je ne suis pas très patient et que je trouve cela souvent chiant, là j'ai apprécié l'intelligence de la présentation. Car le mémorial est celui de la paix et non de la guerre. L'exposition part donc de 1919, du traité de Versailles, dont on dit qu'il contenait déjà en germes la prochaine guerre mondiale, jusqu'en 1989, la chute du mur de Berlin.

La paix difficile d'après 1945 avec la fameuse guerre froide est donc intelligemment présentée. Les commentaires ne sont pas partiaux et pour une fois on n'a pas l'impression que les rédacteurs des nombreuses notes destinées aux visiteurs sont tous adhérents au PCF. L'iconographie est superbe, et les objets nombreux et intéressants. Bref, j'ai trouvé cela aussi bien que le musée des sciences de l'industrie que j'avais visité pour voir un vrai U-Boot.

Et puis tandis que nous étions dans une salle dédiée au fameux mur de Berlin, une maquette de la ville avec les différents secteurs, était présentée. Sur l'un des murs, un laïus expliquait qu'une fois le mur construit, beaucoup de personnes avaient tenté de le traverser. On recensait donc le nombre de passages réussis, le nombre de tués et le rôle des VoPoS préposés à la garde du périmètre.

Tout à côté de nous, penchés sur la maquette, un jeune couple étudiait la ville de Berlin. Rien ne les distinguait du reste des visiteurs, c'était des gens ordinaires âgés à priori d'une trentaine d'années. C'est alors que le type chez qui on ne distinguait vraiment aucun signe désignant un quelconque  retard mental qui aurait expliqué sa bêtise, prononça la phrase qui tue. S'adressant à sa copine en plissant les yeux, pour montrer qu'il venait de se livrer à un effort intense de réflexion et de concentration, il lui demanda : mais je n'ai pas bien compris, les gens ils sautaient par dessus le mur pour aller où, à l'est ou à l'ouest ?

C'est vrai que 1989 c'est déjà loin, les évènements qui précèdent cette année appartiennent déjà à l'histoire ancienne, c'était le siècle passé, internet et le portable n'existaient pas. Nous n'avons rien dit, nous sommes restés cois, scotchés par tant de bêtise et d'inculture. Moi à ce moment, j'aurais bien voulu demander à mon épouse pourquoi en 1961 quand les russes avaient construit le mur de Berlin, Louis XIV n'avait rien dit. Mais je me suis dit que je regarderais sur Internet.

Je suis trop timide pour poser des questions en public.


La dame de charité et la petite marchande d'allumettes !

La dame de charité - Jean-Bapiste Greuze 1725/1805

Hier, je discutais avec une patiente âgée d'une trentaine d'années de ses problèmes de couple. C'est marrant parce qu'on a parlé de la manière dont son mec la traitait, en la surprotégeant. Bref, on a parlé et parlé, tout cela pour dire que ce n'était plus une relation de couple que le mec était en train de vivre mais une relation de sauvetage dans laquelle il se faisait fort de venir en aide à sa dulcinée. Quoiqu'elle dise, quoiqu'elle fasse, elle aurait le droit à une tapette sur la tête assortie d'une parole lénifiante.

Et elle n'en est pas satisfaite parce que c'est bien connu que si vous voulez tenir une gonzesse et faire en sorte qu'elle n'aille pas voir ailleurs, il faut de temps à autre se montrer mâle et témoigner d'un peu de fermeté. Que les féministes se rassurent, je ne conseille pas les mauvais traitements en général ni la paire de claques en particulier mais une relation saine et équilibrée dans laquelle le mec n'est pas forcément le pauvre naze que l'on fait tourner en bourrique. 

Sinon, après lui avoir dit qu'elle était la plus belle, avoir bricolé comme elle vous l'avait demandé, puis l'avoir couverte de bijoux pour enfin lui décrocher la lune, elle finit toujours par se barrer avec un mec qui ne fera jamais tout cela pour elle. Alors vous restez là, avec juste vos yeux pour pleurer en vous disant qu'avec tout ce que vous avez fait pour elle, c'est dégueulasse qu'elle se soit barrée, surtout avec un sale con qui ne la mérite pas parce que justement il ne fera jamais autant de choses pour elle que vous n'en aviez faites !

Manque de pot, celui que vous qualifiez de sale con a tout compris des femmes et c'est lui qui empoche le gros lot. Lui, en plus d'être gentil, sait ne pas être que gentil ou du moins ne pas tout le temps être gentil. Vous, il ne vous reste que les larmes, votre main droite pour vous faire des câlins et enfin Meetic pour refaire votre vie quand ça ira mieux après votre cure de Prozac.

Ce que j'écris là, c'est un peu ce que j'aurais dit au mec de cette patiente si je l'avais connu. Bon, je lui aurais dit en prenant les formes rassurez-vous. Je lui aurais expliqué que la gentillesse était un subtil dosage, que si l'on ne se montrait pas assez gentil voire trop méchant, on risquait de se retrouver au poste tandis que si l'on se montrait trop gentil, on risquait de finir seul.

Bref on en était là et moi je parlais savamment de cette fameuse propension au sauvetage qu'ont certaines personnes et j'indiquais même des trucs à lire sur le sujet au cas bien improbables où mes explications auraient été insuffisantes. C'était d'autant plus simple que je maîtrise le sujet puisque j'en ai parlé ici même très récemment. Et alors là, ma patiente qui doit me surestimer m'a demandé en gros comment moi je faisais pour ne pas sombrer là-dedans alors que c'était l'écueil dans mon métier !

Justement, ayant décidé d'être franc et transparent comme de l'eau claire et honnête comme l'agneau qui vient de naître, je lui ai expliqué que si la plupart du temps je faisais très attention à ne pas sombrer dans cette erreur, il m'arrivait parfois de plonger comme un novice et d'aller au-delà de ce que je devrais faire pour assumer à la place de mon patient. Sans lui citer de cas particuliers, je lui ai dit qu'effectivement en général, j'arrivais à bien recentrer la thérapie quand certains me font des reproches injustifiés mais que parfois, sans doute ému par ceux qui savent s'y prendre, il m'arrivait de plonger comme un novice en tendant le gilet de sauvetage alors que mon métier serait plutôt d'apprendre à nager.

C'est même assez rigolo d'avoir parlé de cela puisque cela me rappelle lorsque j'ai eu une séance un peu musclée avec un patient que je connais fort bien. C'était il y a un peu plus d'un an, un jour qu'il m'avait appelé en chouinant. Moi, j'avais tenté de l'apaiser en allant sans doute trop loin, j'en avais eu conscience au moment même ou je le faisais. Puis lorsque je l'avais vu, alors que je lui expliquais que justement il serait parfois bon qu'il aille au conflit plus que de sans cesse se suradapter, voici qu'il m'avait expliqué que fort à propos il y avait un problème avec moi dont il voulait parler quitte à entrer en conflit. Et vlan, voici qu'il m'avait balancé dans la tronche que je lui avais fait un sale coup en allant trop loin avec lui alors que justement il aurait préféré se démerder seul. Comme on dit, un bienfait est toujours puni.

Sur le fond, il avait raison, je n'ai pas à prendre les gens en pitié pour vivre à leur place en les surprotégeant. Toutefois comme j'aime bien que les choses soient claires et que je ne veux pas endosser plus de responsabilités que je n'en ai, je lui avais alors dit que comme dans tout couple, les torts étaient partagés à 50/50.

Parce que, comme je lui avais expliqué, s'il ne m'appelait pas si souvent pour des problèmes qui n'en étaient pas vraiment, je n'aurais pas eu l'image faussée que j'avais parfois de lui, celle d'un type sans défense et toujours au bord du précipice. Parce que, sans être totalement une personnalité dépendante au sens indiqué par le DSM, il n'en avait pas moins quelques symptômes et notamment "une grande difficulté à prendre des décisions dans la vie courante sans être rassuré par ou conseillé de manière excessive par autrui".

Je lui avais alors expliqué que dans le cadre de mon job, moi j'avais charge d'âmes et que le risque majeur c'était le suicide et que face à ce risque, malheureusement quand j'estimais (parfois à tort c'est vrai), que les circonstances le nécessitaient, j'aidais les gens plus que de raison et notamment ceux qui savaient s'y prendre pour jouer la petite marchande d'allumettes et faire pleurer dans les chaumières. Et moi, c'est le problème. Si on me joue bien la petite marchande d'allumettes, je deviens une vraie dame de charité.

Bon, je ne suis pas naïf pour autant, il faut que ce soit bien fait ! Mais certains patients sont exceptionnellement doués pour le théâtre et dans ce cas, je peux devenir bon public. Quel drame pour le théâtre que de voir tellement de cabotins qui  n'ont rien à y faire tandis que de vrais talents sommeillent dans nos cabinets. Je devrais me mettre en relation avec des agences de casting !

Ben oui, à priori ne pas verser dans la relation de sauvetage ça parait simple et ça l'est la plupart du temps mais bon parfois, face à des situations dramatiques ou que l'on vous vend comme dramatiques, parce que certains je le répète sont doués pour se faire passer pour des victimes, et bien je plonge. Parce que je préfère aller trop loin que pas assez finalement. C'est la limite de la thérapie à mon sens. On a beau codifier un tas de trucs, il y a des cas hors normes pour lesquels on fait ce que l'on croit devoir faire. On sait parfois que l'on risque de se faire avoir mais on se dit qu'il y a un risque qu'il ne faut pas courir. Et à moins d'être employé dans un grand hôpital dans lequel les patients ne seraient que des numéros, on crée forcément des liens.

En fait, ce conflit avait généré une séance extrêmement fructueuse. D'une part parce qu'il avait reconnu que c'était son truc à lui de chouiner pour éviter de prendre les décisions et de mettre un pied devant l'autre sans qu'on lui tienne la main. Pour le coup, ça lui était apparu évident ! C'était un peu le choc en retour suite à ce qu'il m'avait reproché, une resucée de la célèbre parabole de la paille et de la poutre (Lc. 6 41-42).

Je me souviens même que voulant me montrer bon prince, j'avais accepté de prendre 60% des torts à ma charge. Au début il m'avait dit qu'on en resterait à 50/50 puis, se ravisant et plaisantant il m'avait dit qu'effectivement puisque j'étais le thérapeute, c'était à moi de prendre plus de la moitié. Je crois qu'ensuite cela m'a travaillé et que j'ai trouvé ce partage dur à avaler. D'une part, parce que 50/50, c'était mieux et qu'accepter 60% des torts n'avait pour moi aucune espèce de sincérité mais était plutôt destiné à réparer mon orgueil blessé en me montrant magnanime et généreux pour reprendre l'avantage. Pris en faute, en flagrant délit de sauvetage, voici que j'avais fait pénitence en acceptant plus que mes torts. Tiens, c'est vrai quand je reverrai ce patient, je lui dirai qu'en fait, ça reste 50/50 et non 60/40 pour moi. Non mais, pas question de mortifier !

Voilà donc ce que j'ai connu. Et j'ai beau dire "plus jamais ça", je reste persuadé que je me ferai avoir de nouveau. De toute manière, à moins d'être un psychanalyste orthodoxe refusant de serrer la main au patient, dès lors que se crée du lien social, il y a un risque d'abus de part et d'autre. Ceci dit, on peut aussi analyser la froideur de certains psychanalystes comme une forme d'abus puisque cela peut s'assimiler à de la mise en scène destinée à plus protéger le thérapeute qu'à aider le patient. Quoique l'on fasse, on l'a dans l'os pour ne pas dire dans autre chose. Et puis, tous les manuels de TCC recommandent d'être "chaleureux et empathiques" dans la manière de nouer la relation thérapeutique.

Bref, il n'y a pas de solution miracle, il faut faire de son mieux, se dire qu'on fera attention  la prochaine fois tout en admettant qu'on est faillible. Parfois, on se plait à rêver d'être employé de bureau affecté au tri des trombones ou à la révision des agrafeuses. La vie doit être plus simple.

La petite marchande d'allumettes !

Qualités et défauts, symptômes et gros branleur !


J'ai réputation d'être un type sympa mais assez direct parce que j'aime bien être payé pour réussir. Quand je me berce d'illusions et que j'en viens à vouloir ciseler une haute image de moi-même, je me dis même que je suis martial ! C'est chouette ça se dire qu'on est martial, du latin martialis, en relation avec Mars le dieu de la guerre ! Ça vous pose en homme et c'est en lien direct avec mon ascendant bélier. Ça donne à penser qu'avec moi, ça va pas déconner, qu'il va falloir s'arracher les doigts du cul fissa parce qu'on n'a pas que ça à foutre parce que la vraie vie attend dehors ! Ca file un petit côté Bigard, voire même colonel Kilgore, l'officier de cavalerie dans Apocalypse Now, ce qui explique qu'il adore l'odeur du napalm au petit matin".

Bref, moi comme je suis sain d'esprit, du moins j'en ai l'impression, j'ai la chance de me trouver des qualités et des défauts et c'est une chance. Parce que j'ai remarqué que bien souvent, chez les médecins que je fréquente, dès lors qu'un patient possède une étiquette psy, c'est à dire qu'on l'a rangé dans une petite boîte avec un beau diagnostic, c'en est fini des qualités et des défauts ! Terminé pour le patient étiquetté d'être loué pour ses qualités et ses défauts, son assignation à résidence chez les barjeots lui ôte absolument toute spécificité, toute unicité ou individualité, il n'est plus que ce qu'on l'a nommé, un mot, un terme technique qui résume à lui seul sa personnalité. On ne lui reconnait plus que des symptômes !

Si vous êtes classé bipolaire et que vous soyez créatif, on vous expliquera que la créativité est souvent l'apanage des bipolaires, qu'elle en est donc une sorte de symptômes. Personne ne s'avisera jamais de penser, quels que soient le prestige de ses titres universitaires, d'où il tient que TOUS les bipolaires soient absolument créatifs ! Sans doute tient-il cela du fait que les bipolaires connus l'aient été pour leur créativité. C'est un sacré biais d'inférence ! Parce qu'effectivement, si vous êtes bipolaire et expert-comptable, on peut admettre que vous courez moins le risque de passer à la postérité que si vous êtes peintre ou romancier. 

Je pourrais vous faire la liste de tout un tas de pathologie pour lesquelles, on admettra toujours que celui qui en fait partie mais exprime le moindre défaut ou qualité, sera déshumanisé immédiatement parce qu'on vous expliquera que son comportement n'est pas susceptible d'être analysé en termes moraux, bien ou mal, mais simplement à l'aune d'un manuel de psychiatrie.

Pourtant, même si je ne suis pas spécialiste de la question, je reste persuadé que dans une catégorie de schizophrènes donnés, et l'on parlera bien du même type de schizophrénie pour que notre échantillon soit valable, il y en a qui sont sympas et d'autres pas du tout. Mais non, en psychopathologie, on aura plutôt tendance à créer deux sous-catégories de schizophrènes, l'une recouvrant les sympas et l'autre les pas sympas, chacune de ces deux entités recevant un nom savant à l’étymologie grecque.

Récemment, un patient qui venait de merder me demandait ce que je pensais de son comportement. J'aurais pu jargonner et le traiter en malade mental. Auquel cas, j'aurais moi aussi assimilé ce qu'il venait de faire à un symptôme. Je l'aurais alors regardé avec des yeux plein de commisération en tentant de lui communiquer que c'était un brave gars mais que hélas, sa conduite était symptomatique de ce qu'il avait.

Moi, ce n'est pas trop mon truc. Certes, je ne veux pas tomber non plus dans l'angélisme tendant à nier la réalité et à affirmer qu'il n'y a pas de symptômes, que les pathologies mentales n'en sont pas mais qu'elles ne sont que l'expression d'une majorité tendant à stigmatiser ceux qui s'éloignent de la norme pour les condamner. Je tente de garder les pieds sur terre en considérant qu'il y a des trucs essentiels et d'autres accessoires, du pathologique et du normal, du symptôme et des défauts comme des qualités.

Alors, comme je suis comme cela, j'ai demandé à ce patient avec qui je m'entends bien si il voulait que je jargonne en jouant le psy ou s'il voulait que je sois cash comme je le suis parfois. Comme on se connait bien, il m'a dit qu'il me préférait cash parce qu'au moins il n'avait pas l'impression d'être déresponsabilisé et pris continuellement pour un malade mental.

Et donc, plutôt que d'une voix maîtrisée lui affirmer que son comportement idiot n'était que le symptôme bien connu de sa pathologie, je lui ai simplement dit que sur ce coup, il n'avait été qu'un gros branleur. Gros branleur, ça c'est du diagnostic qui marque bien les choses, c'est clair, carré et concis.

Le patient a rigolé et a admis qu'effectivement sur ce coup là, sa conduite n'avait rien de pathologique mais que comme tout un chacun il avait juste été un gros branleur, un type qui savait fort bien ce qu'il aurait du faire mais ne l'avait pas fait. Moi, j'ai trouvé cela cool parce qu'il prenait conscience de sa responsabilité. Et lui aussi, il a trouvé ça cool d'être traité en adulte.

Parfois je suis martial et j'adore ça. Je me prends pour Kilgore. Je trouve ça plus flatteur de vivre dans la peau d'un colonel de cavalerie US que dans celle d'un psychanalyste barbichu, fumant la pipe et arborant un noeud papillon.

On a les références que l'on peut, nul n'échappe à son destin : je suis ascendant bélier !

20 septembre, 2012

Gauche, droite, centre et au-dessus !


Dans mon dernier article, j'abordais le fait que parfois les patients me parlent de politique. Comme je l'évoquais, je n'initie jamais ce genre de conversation. Mon cabinet n'est à priori pas l'endroit dans lequel il soit le plus judicieux d'aborder les problèmes politiques. Car soit on a les mêmes idées et tout se passe bien, soit le patient comprend que je ne partage pas tous ses points de vue auquel cas, quelle que soit la réussite de la thérapie en cours, il me verra ensuite en ennemi ce qui aura tendance à nimber de méfiance la bonne relation thérapeutique que nous avions initiée.

Pourtant régulièrement, même si je ne pourrais pas en mesurer la fréquence, certains patients me demandent si je suis de droite ou de gauche. Généralement, ce sont ceux qui me trouvent sympa et qui sont avides de savoir si je partage leurs idées ce qui me rendraient encore plus sympa à leurs yeux. Je réponds toujours que c'est à eux de deviner. Et là, c'est toujours la même chose. Ceux qui sont de droite sont persuadés que je suis de droite car ils me jugent carré dans ma démarche tandis que ceux qui sont de gauche, sont convaincus que je suis de gauche car ils m'estiment sympathique. 

On retiendra donc le fait qu'il existe une sorte d'abstraction sélective en fonction du vote des patients. Ceux de droite apprécient le fait que je ne jargonne pas et que je pose les faits de manière prosaïque, ce qui doit me donner une aura d'entrepreneur qu'ils estiment être typiquement de droite. En revanche, ceux qui votent à gauche, apprécient beaucoup mon accueil, le fait que jamais je ne joue d'un quelconque statut pour les dominer ou les tenir à distance, que j'offre le café ou le thé, que je permette de fumer, et là, irrémédiablement, ils imaginent que que je vote évidemment à gauche parce que ma simplicité est totalement en accord avec les valeurs de gauche !

On peut évidemment s'interroger sur ce clivage qui rendrait les gens de droite carrés mais pas sympas tandis que ceux de gauche seraient cools mais moins carrés. Et pourtant, je connais des polytechniciens de gauche et des artistes de droite, ce qui semble indiquer que ce clivage qu'on me renvoie à chaque fois dans la figure n'est pas aussi opérant qu'il en a l'air. Et pourtant il fonctionne ! Parce qu'en psychologie sociale, contrairement à ce que dit la sagesse populaire, l'habit fait le moine ! De plus, constatant que je m'entends bien tant avec les gens de droite que de gauche, je suis obligé de constater, que n'étant pas schizophrène, il doit donc y avoir une sorte de synthèse, d'équation qui permet de fédérer ces deux clans qui se détestent. 

Effectivement, j'apprécie certains gauchos parce qu'ils sont ouverts et amusants tout en étant capables de se montrer carrés. Je crois que mes quinze années de pratique m'ont changé. Le temps est loin ou à l'instar du célèbre Vicomte j'aurais pensé que le cannabis était la voie qui menait obligatoirement à l'héroïne. Et même aujourd'hui, si je n'encouragerai personne à consommer de le came, force est de constater que je me suis toujours bien entendu avec les héroïnomanes que j'ai reçus qui n'ont qu'un très lointain rapport avec les junkies que l'on nous montre habituellement.

Je crois que je m'entends toujours aussi bien avec mes petits camarades de droite parce que j'aime bien les gens responsables, les gens qui entreprennent et ne jalousent pas les autres et que je serai un individualiste farouche qui pense que même si on a besoin des autres, en définitive on est toujours seul.

Alors comme entre Nicolas Sarkozy et François Hollande je n'avais pas un avis très tranché si ce n'est pour me dire que les deux ne me convenaient pas, on a pu songer que j'étais centriste. Bien sur que non, parce que pour moi le centre est une illusion et que si l'on met quelque chose au centre, il penchera toujours d'un côté ou de l'autre. Le centre est une fiction qui ne rassemble que des médiocres qui se targuent justement de ne pas vouloir pencher d'un côté comme de l'autre parce que cela leur donne l'illusion d'être plus fins et plus habiles que les autres ou des politiciens rusés qui pensent ainsi ratisser plus large.  

Bref, ne me retrouvant pas plus à droite, à gauche ou au centre, on aurait pu me prendre pour autre chose, et moi je ne voulais pas qu'on prenne le soin de me classer ailleur. Parce qu'il s'agisse de psychopathologie ou de politique, l'angoisse des gens est de ne pas vous trouver une boîte dans laquelle ils puissent vous épingler. Ainsi en psychopathologie, si vous êtes un peu barré mais que qu'on ne vous retrouve pas pleinement dans la personnalité du schizophrène ou de l'autiste, ce n'est pas grave, on vous trouvera une place douillette dans la sphère schizophrénique ou dans la sphère autistique. Peu importe que le concept soit suffisamment flou pour ne pas dire grand chose, le psy aura fait son boulot en vous rangeant proprement au regard de votre écart à la norme couramment admise.

En politique, c'est un peu la même chose. Pourvu que vous ne soyiez pas militant UMP ou PS, on tentera de voir en vois un MODEM et si hélas, vous n'en êtes pas, alors on s'interrogera pour savoir si vous ne seriez pas par hasard une sorte d'anarchiste à la Ravachol ou bien un poujadiste ex-membre de l'OAS. On vous verra donc soit prêt à mettre des bombes ou à faire des ratonnades. 

C'est pour cela que l'étiquette libérale m'a bien aidée. Quand on est libéral, on se sent non pas au milieu, mais au-dessus de la mêlée. On regarde les autres agir et on parvient à prendre les choses avec humour. C'est confortable bien que cela ne soit pas aisé à expliquer. Parce que si l'on dit à quelqu'un qu'on est libéral, encore une fois on vous demandera si vous êtes un salaud de capitaliste prêt à exploiter les petits enfants ou bien un sombre crétin irresponsable prêt à admettre que se droguer c'est bien. On n'a jamais de répit finalement !

Et puis, je ne m'entends pas si bien que cela avec les libéraux ou du moins ceux qui s'en réclament. C'est vrai que la plupart du temps, je n'ai croisé que des ingénieurs abscons prêts à envisager la gestion du monde avec la certitude qu'ils mettraient à étudier la création d'un moteur. Je trouve que leurs arguments sont souvent faibles et surtout le produit d'une caste qui a la chance d'être du côté du manche ! Quand on est diplômé, bien éduqué et qu'on gagne confortablement sa vie, c'est plus simple d'être libéral que lorsque l'on est un prolo. 

Moi j'aime la liberté mais j'ai un putain de côté moral qui me fait dire que si je veux bien admettre qu'on soit libre de vendre un rein, cette action n'est pas aussi neutre que de vendre un vélo. Disons que l'égoïsme érigé en dogme m'ennuie un peu, que je me vois mal dire à un type qui crève de faim qu'il n'a qu'à vendre une de ses cornées au motif qu'on peut très bien vivre avec un seul oeil. Ce doit être mon côté gauchiste au grand coeur. Pourtant, si le même type vient vers moi en tendant la main, je suis plutôt du genre à lui répondre que puisqu'il a une tête, deux bras et deux jambes en bon état, il n'a qu'à bosser. Et ça c'est mon côté droitard un peu réactionnaire. J'ai bien du mal à échapper à mon côté occidental et catho. 

Bref, j'essaie de naviguer entre la morale et la responsabilité. Tant et si bien que je ne parviens pas à me classer. Alors cela m'ennuie quand un patient me demande vers quel bord je penche. J'ai maintenant tendance à dire que je suis comme lui, tout pareil ; ça clôt le débat. Parce que si je voulais lui expliquer tout cela en détails, il faudrait qu'on échange nos places et que je lui raconte mes errements, mes doutes, mes certitudes, mes renoncements (à tout comprendre) et finalement, je crois qu'on passerait l'heure à parler de moi et non de lui. Il finirait peut-être par me faire "hmm hmm je comprends" en me demandant de poursuivre. 

Finalement les psys peuvent être des patients comme les autres. Ou alors peut-être que la place de psy est réservée à ceux qui ont admis qu'il est des questions sans réponses. Parce qu'en politique comme en bien d'autres domaines, voici bien longtemps que j'ai cessé de me poser des questions.






17 septembre, 2012

Quand la politique nous éloigne !


J'avais une patiente avec qui je m'entendais fort bien. Je suis conscient d'avoir pu l'aider dans un ou deux secteurs cruciaux de sa vie mais j'aurais pu aller plus loin. Hélas elle est partie. Un jour, voici quelques mois déjà, elle a annulé un rendez-vous par SMS en utilisant un faux prétexte. Je savais en lisant son SMS, en ayant sous les yeux les quelques mots qu'elle m'avait laissés, qu'elle m'en voulait à mort et qu'elle me rendait responsable d'un drame terrible.

Quel drame ? La non réélection de Nicolas Sarkozy tout simplement. C'était une militante UMP, une vraie de vraie, qui trouve que NKM est bourrée de talent, que Xavier Bertrand est un homme bien, qui ne remettait jamais en cause les décisions, quelles qu'elles soient, de notre ancien président de la république. C'était un vrai petit soldat, un de ceux qui obéissent aux ordres sans broncher, sans les remettre en cause jamais, en allant toujours de l'avant, persuadés que l'officier sait ce qui est bon pour le simple soldat !

Moi, je n'avais jamais parlé de politique. Et ce d'autant plus qu'elle venait de la part d'un médecin. Avec les patients venus du blog c'est différent car il est rare que j'aie des gens de gauches ou du moins des socialistes avérés. Mais de toute manière, sauf pour plaisanter ou si l'on m'interroge, je ne fais jamais de politique dans mon cabinet. Tout au plus, si je viens à discuter littérature comprendra-t-on que je ne suis pas vraiment de gauche mais sinon, je ne dis rien. 

C'est elle qui avait commencé en me titillant, en tournant autour du pot et un jour je lui avais avoué que je n'étais pas socialiste. Je me souviens que je m'étais montré plutôt libéral dans mes développements, voire carrément libertarien. Non que j'y croie vraiment d'un point de vue pratique parce que je sais comment fonctionnent les gens, mais simplement que l'idée d'être roi au royaume de moi-même me séduise. Cela doit autant flatter mon narcissisme que satisfaire ma misanthropie. Etre roi au royaume de moi-même, ne subir que les interactions sociales nécessaires et choisies, voilà mon rêve. 

Bien sur pour le reste, le financement des écoles, des voies publiques, etc., je ne suis pas tout à fait abruti et je comprends comment tout cela fonctionne mais cela n'est pas ma tasse de thé. Cette partie de la politique m'ennuie et peut-être que la politique m'ennuie. De toute manière, je déteste la grande majorité des élus en qui je vois soit des voyous ayant trouvé un bon moyen de voler légalement le chaland sans avoir le courage de rentrer dans le grand banditisme, soit des idiots ayant trouvé là un bon moyen de se sentir utiles, de servir à quelques choses et de parvenir à croire que leur existence est précieuse.

On avait un peu parlé de tout cela après notre séance, il était plus de vingt-et-une heures trente. Elle ne m'avait évidemment pas épargné. C'était une militante, une vraie de vraie, et qui plus est une femme dont sans doute plus proche de la vie pratique que ne le sont la plupart des hommes, en tout cas moi. J'aurais pu argumenter, parler, mais je n'en avais pas envie parce que la relation thérapeutique me liait les mains. Dans n'importe quelle conversation, j'aurais sorti mon sabre et je me serais battu bravement, non pour attaquer son point de vue mais simplement pour défendre le moelleux donjon de certitudes dans lequel je me suis réfugié depuis des années. Je suis de toute manière meilleur en défense qu'en attaque.

Elle avait recommencé la semaine d'après en me relançant sur Sarkozy en me disant qu'il fallait le soutenir et surtout d'en parler à mes patients. La pauvre, si elle avait su de quel bois se chauffaient mes patients, elle aurait compris que j'aurais été bien en peine, eu-je été un sarkozyste convaincu, d'en convaincre un seul ; autant tenter de vendre des bibles en Arabie Saoudite ou des Petits livres rouges à Wall Street ! Et puis, c'était une grande admiratrice d'Alain Juppé que pour ma part je trouve aussi médiocre que la plupart de ses condisciples de l'ENA. 

Elle me vantait ainsi tout le bien qu'il avait fait à Bordeaux et moi je lui rétorquais que j'aurais fait la même chose parce que ce n'était pas compliqué. En effet si vous êtes maire d'une ville et ami du pouvoir en place, les subventions pleuvent alors ensuite, ce n'est pas bien compliqué de faire des ravalements et de créer un tramways, il suffit de voter un budget, de faire un appel d'offre et d'attendre. C'est nettement moins dur que de poser des rails ou de gratter la pierre. Alors là, elle avait été horrifiée !

Mais comme les militants ne décrochent jamais, tout était prétexte de sa part à me titiller, à m'agacer, à me prouver que Nicolas Sarkozy était le meilleur et l'homme qu'il fallait pour enfin juguler cette crise. De mon côté, je m'étais bien gardé de la moindre critique envers notre ancien président. Tout au plus, avais-je souligné chez lui certaines incohérences ou encore pointé certains comportements curieux. Mais, je n'avais guère été au delà. 

Je crois que son drame c'était de penser que si Hollande passait, cela serait la fin de tout alors que moi, je ne voyais pas une différence flagrante si ce n'est dans leur manière respective de tromper leur électorat et d'échouer en fin de compte. Et puis, je pense qu'au fond de moi, François Hollande m'amusait et que j'avais envie de le voir en place. J'avais tellement pris cher comme disent les jeunes durant le quinquennat, que j'avais moi aussi envie d'être dans l'opposition et de pouvoir me moquer des socialistes que je connais. Ce dont je ne me prive pas aujourd'hui.

Et cela a duré pendant toute la campagne électorale. Une fois Hollande élu, je lui ai avoué que je n'étais pas allé voter au second tour, pas plus que je n'y étais allé pour les législatives. Sur ce point, je pense que GCM a raison, lui qui n'a jamais voté. Il pense que cela ne sert à rien de voter tandis que moi j'aurais tendance à penser que c'est utile de ne pas voter. J'ai suffisamment tenu de bureaux de vote pour toujours m'amuser lorsque je voyais les élus arriver l'oeil fiévreux pour demander à combien en était le taux de participation. Alors, j'ai décidé de ne plus voter sauf pour moi si d'aventure je refaisais partie d'une liste.

Quand elle a su cela, ma patiente avait tout de suite adopté un masque teinté de réprobation et de colère sans que je sache laquelle de ces deux émotions prenait le pas sur l'autre. Et elle me répéta à deux ou trois reprises qu'on allait voir ce que nous allions payer ! Pour m'amuser, je lui aurais bien répondu qu'elle paierait sans doute plus que moi parce que je n'avais pas un salaire à celui qu'on lui versait en tant que cadre supérieur de l'industrie pharmaceutique. Mais la voyant peu encline à blaguer, je m'étais abstenu.

Elle reprit rendez-vous et ce n'est que quelques jours après qu'elle m'envoya ce SMS me disant qu'elle ne pourrait venir et qu'elle me recontacterait. Je savais qu'elle ne rappellerait pas, que je l'avais déçu. Elle me prenait pour un type de droite et voilà que je n'avais pas battu des mains à chaque prise de position de l'UMP ou chaque action de l'ancien gouvernement.

Depuis quelques temps, je pense à elle. J'y pense à chaque fois que je vois notre président ou l'un de ses ministres s'exprimer sur un sujet quelconque. Je les trouve tellement nuls, tellement médiocres, amateurs, confus et incapables que loin de m'énerver, je ris beaucoup. Je ris tellement que bien souvent j'en profite pour envoyer un SMS narquois à Lapinou qui est le socialiste que je connais le mieux.

C'est dans ces moments là que je me dis que je devrais envoyer un SMS à mon ex patiente. J'ai parfois juste envie de lui écrire : Nicolas n'a pas été élu mais franchement qu'est ce qu'on rigole non ?

Peut-être qu'elle reviendra parce que dans le fond on s'entendait bien.

12 septembre, 2012

Prédiction autoréalisatrice et injonction paradoxale !


J'ai reçu de nouveau mon pseudo-schizophrène qui s'avère être un jeune homme charmant et tout à fait intelligent et capable à priori de mener une vie normale. C'est marrant parce que parfois j'ai l'impression de rencontrer quelqu'un qui sortirait d'une longue peine de prison à laquelle il aurait été condamné à tort. Non, qu'il n'y ait aucun problèmes mais que ceux-ci aient été soit mal évalués ou alors au contraire non traités par la suite. 

Un diagnostic aussi grave engage une vie entière. Même en étant normal, personne ne peut sortir indemne d'une telle épreuve. Durant quinze ans, il a vécu avec un diagnostic terrible, avec une étiquette sur laquelle on aurait inscrit fou planté sur le crâne. Alors sans le vouloir, on l'a traité en fou, en être irresponsable, en éternel adolescent qui ne saurait pas très bien ce qu'il fait et qui serait incapable d'envisager les conséquences de ses actes. Cela me rappelle le rôle que tenait Morgan Freeman dans Les évadés.

J'ai bon espoir d'en faire quelque chose, de la renvoyer vers une que je souhaite vie normale que je le crois capable de mener sans trop de problèmes pourvu qu'il fasse certaines prises de conscience. Lui et moi nous entendons bien, on semble progresser correctement. Il est à l'heure, il comprend vite et bien et je n'ai vraiment aucun problème ou du moins pas plus que je n'en ai eus avec d'autres patients. L'important, c'est de le remettre rapidement au travail, en commençant par quelque chose qui sera en deçà de ses capacités mais qui le remettra doucement dans le bain. Comme au bout de tant d'années de pratique, je connais beaucoup de monde, j'ai quelques pistes. 

Finalement tout irait bien si j'étais soutenu par les parents que j'ai demandé à rencontrer. C'est pour moi nécessaire. Tandis que je traite ce patient en adulte, eux le traitent en éternel enfant. D'ailleurs, ce qu'ils font rendrait fou n'importe qui dans la mesure où ils le bombardent d'injonctions paradoxales. Tout en ayant le désir qu'il soit normal et adulte, ils l'enferment dans un rôle d'enfant. 

C'est une situation intenable puisque si mon patient se comporte en adulte, on le ramène à ses errements passés et on lui rappelle qu'il n'est qu'un enfant. Et si lassé de tout cela, il renonce et adopte des comportements un peu irresponsables, on le rappelle alors à l'ordre en l'intimant de se comporter en adulte. Finalement, compte-tenu de la pression extrême qu'exerce ses parents sur lui sans s'en rendre compte, je trouve qu'il tient bien le choc. N'importe quel vrai schizophrène aurait déjà décompensé face à un tel déluge d'ordres contradictoires.

Et puis, à force de le traiter ainsi, on sombre aussi dans la prédiction autoréalisatrice. A force de traiter quelqu'un comme cela, on finit forcément sinon par le rendre fou, du moins par altérer toutes ses capacités cognitives pour en faire un incapable.

C'est drôle avec ce patient j'ai l'impression de faire Verdun, et ce qui serait sympa c'est que ses parents nous soutiennent, qu'ils règlent mieux leur artillerie. Parce que pour le moment, j'ai la nette impression qu'ils arrosent nos lignes sans vraiment s'en rendre compte.

Je sais que ce n'est pas facile pour les parents et que j'ai le beau rôle. C'est quelque chose que je n'ignore pas. C'est un petit peu pareil que lorsque vous complimentez des parents sur la bonne éducation de leur enfant. Ils sourient, vous remercient mais savent bien, eux qui l'ont à demeure, que leur enfant n'est pas aussi parfait qu'on l'imagine.

Mais bon, le soutien social commence par les parents et le soutien social dans ce que lui et moi entreprenons, c'est capital.

05 septembre, 2012

Le militaire dans sa tête !


Ça y est, je suis de nouveau dans le bain depuis hier. Il a suffit d'une journée de travail pour que mes rêveries bucoliques cessent. Tel un boeuf que l'on viendrait d’enchaîner à son joug, je n'ai plus pour horizon que le bout du champ que je vais parcourir de long en large tout au long de l'année jusqu'aux prochaines vacances qui me mèneront peut-être si Dieu le veut jusqu'à Aubusson ! 

Hier, j'avais programmé uniquement des patients que je connaissais déjà pour ne pas me mettre trop de pression. Moi qui suis un homme d'habitudes, je n'allais pas recommencer une année de labeur en me confrontant dès la rentrée avec de nouvelles têtes. Alors j'ai revu des habitués, des gens sympas que je connaissais bien. Je me suis particulièrement attaché à bien sélectionner mon premier patient.

Ce doit être une vieille superstition mais je ne me vois pas commencer l'année avec une nouvelle tête ou avec quelqu'un que je n'apprécierai pas particulièrement. Cette année mon premier rendez-vous était avec un scénariste que j'apprécie. Je l'appelle maître et il m'appelle professeur, on s'entend bien. Il est rigolo et cultivé. Il ambitionne depuis un an d'écrire LE polar, une somme définitive, une sorte d'opus à la Ellroy. Comme il sévissait auparavant dans le domaines des maths pures, il est spécial, très analysant mais avec un beau souffle épique qui ôte tous les travers communs à ce type de caractère. 

Nous sommes très différents et pourtant, c'est amusant parce que j'aurais pu avoir la même idée que lui mais j'aurais construit mon roman différemment. Si nous étions peintres, je pense que lui et moi aurions partagé le goût des toiles monumentales. Mais tandis que j'aurais rapidement esquissé ma toile en soignant les détails par la suite, lui fait le contraire, comme s'il commençait à peindre dans un petit coin et qu'il tente ensuite couvrir tout le reste. Nous sommes très différents. 

Aujourd'hui, j'ai reçu un nouveau. Tandis que je lui expliquais à l'interphone que mon cabinet était situé immeuble de droite, deuxième étage droite, il m'a répondu affirmatif. C'est fou comme les gens qui pensent se cacher habilement peuvent se traduire avec un seul mot !

Affirmatif, c'est un terme militaire que l'on imagine employé par un militaire en campagne recevant un ordre de son QG. On visualise bien la scène, le type en treillis, les armes, l'ennemi qui guette tout proche. Mais là en pleine journée en plein Paris, quelle drôle d'idée d'employer ce terme. Je crois que c'est la première fois qu'on me le sort. Habituellement quand je précise la localisation de mon cabinet, les nouveaux patients se contentent d'un d'accord ou d'un laconique ok merci

J'ai entendu la porte du rez de chaussée s'ouvrir quand j'ai appuyé sur l'interphone et l'espace de temps qu'il lui a fallu pour monter jusqu'à mon cabinet, je me suis plu à l'imaginer tel que je le ressentais. Je l'ai imaginé petit, complexé, frustré de ne pas avoir une vie à la mesure de ses rêves de gloire. J'ai su immédiatement qu'il me jouerait une scène dans laquelle il feindrait d'être un soldat, un type au clair avec lui-même, qui ne se cache rien et auquel on ne doit rien cacher non plus. Je l'ai vu sous les traits d'une sorte de grand sensible, refusant ses émotions et vivant dans des rêves enfantins peuplés de héros. Et j'étais persuadé que ce type n'avait jamais porté aucun uniforme de sa vie, même pas celui de Mc Do.

Je ne me suis pas trompé. Il s'est assis, j'ai fait mon travail. J'ai bien pris garde à ramener la voilure au minimum, à ne pas le brusquer, à l'accompagner dans ses rêves, à feindre d'y croire comme lui y croyait. On s'est bien entendu. Tant et si bien qu'à la fin de l'entretien, il avait compris que je n'étais pas son ennemi. Il s'est un peu ouvert, il m'a avoué des choses intimes. Pas des choses graves pour le commun des mortels mais pour lui si. J'ai même vu des larmes briller dans ses yeux.

Il a semblé content de l'entretien puisqu'il a repris rendez-vous. Il m'a dit alors à mercredi prochain et moi je lui ai répondu en souriant affirmatif. Il a souri parce qu'il a su immédiatement que je savais ce qu'il voulait que personne ne sache.

03 septembre, 2012

Rendez-vous !


Voilà, nous sommes au début du mois de septembre et cela fait déjà quelques jours que mon portable résonne. On m'assaille pour me demander des rendez-vous ce qui n'est pas désagréable, loin s'en faut. Certes, je suis toujours en vacances et cette irruption du travail dans mon farniente quotidien a quelque chose de traumatisant. Chaque appel me rappelle que ces bons jours que je passe à ne rien faire sinon à lire auront une fin. 

C'est l'époque à laquelle chaque année, je me mets à rêver de ce que je ferais si j'étais multimillionnaire. De vrais rêves d'enfant qui ne veut pas affronter les vicissitudes de la vie ! Et je me plais à m'imaginer dans quelque lieu magnifique, où je ne ferais rien d'autre que lire, boire des cafés et peut-être jardiner. D'ailleurs étant un peu monomaniaque, je crois que je planterai beaucoup de buis mais aussi des hostas. Voilà, je me retirerais dans une thébaïde quelconque en province pour y vivre entouré d'hostas, de buis et de livres. 

Et puis, dans la mesure où tous les provinciaux sont à Paris, c'est chez eux qu'il faut maintenant aller vivre pour avoir la paix. Parfois, je m'amuse à regarder des coins de France assez improbables où la densité d'habitants au m2 est très faible et je me dis que cela doit être vraiment agréable de vivre dans ce genre de trou; J'imagine que dans le même temps, les jeunes vivant dans de tels endroits se mettent à rêver des lumières de Paris, comme une adolescente de l'Indiana rêverait à Hollywood. 

Et puis tandis que je me mettais à rêvasser sur ma retraite campagnarde, un appel m'a sorti de ma demi-léthargie. C'était une de mes patientes qui, devant rejoindre sa soeur venue de province pour la rencontrer, me demandait si je connaissais un bon restaurant sur la ligne 9. On me demande vraiment tout et n'importe quoi ! Je lui ai recommandé le Bouillon Chartier, la salle est très belle, ce n'est pas cher et l'endroit plait beaucoup aux touristes. 

01 septembre, 2012

Rappel !



Parfois, lorsque je modère les commentaires, je constate que des lecteurs me demandent des rendez-vous en m'expliquant leur vie. Je vous rappelle qu'il est possible de m'écrire à l'adresse suivante :

PA6712@YAHOO.FR

L'illustration n'a aucun lien logique avec le texte. J'aime bien les marcassins, c'est tout. Ne cherchez pas à savoir pourquoi, mon psychanalyste lui-même a buté sur le sujet. Et pourtant ce n'est pas n'importe qui puisqu'il a lui-même suivi une analyse avec un élève de Jung. Mais on a beau eu creuser, chercher dans toute l'oeuvre de C.G. Jung, nulle part ne figure la moindre référence au marcassin (wildschwein).

D'ailleurs à propos de marcassins et puisque j'en suis à écrire autant le faire pour raconter n'importe quoi puisque tout un chacun sait que je suis prolixe. Voici quelques années, je ne sais plus par qui ou par quoi, ah si, c'était une demande de catalogue par internet. Mais allez savoir de quel catalogue il s'agissait, ça je ne saurai vous le dire puisqu'étant lubique (i.d. néologisme personnel qualifiant une personne sujette aux lubies) je me passionne simultanément et successivement pour des tas de choses variées et parfois curieuses.

Donc, imaginez qu'une lubie passagère m'avait conduit sur un site sur lequel j'avais demandé un catalogue quelconque. Or, il se trouve que ne désirant pas qu'on me bombarde par la suite de courriers ou pire, que l'on trouve mon téléphone pour tenter de me vendre quelque chose, j'avais laissé un faux nom et une fausse adresse. Et quel faux nom croyez-vous que j'aie laissé ? Marcassin tout simplement ! 

L'espace d'un moment, je suis devenu Philippe Marcassin, ce qui m'a valu quelques courriers à ce nom. Et comme je n'ouvre jamais la boîte aux lettres, c'est mon épouse qui a trouvé des enveloppes à ce nom. Comme elle me connait, elle n'a même pas hésité une seconde, ne s'est même pas posé la question de savoir qui était ce mystérieux Mr Marcassin et c'est ainsi que le soir même, j'avais mon courrier adressé à Philippe Marcassin posé sur mon bureau.

C'est un peu mon nom de code; Tenez, sans doute que si j'étais né dans les années dix ou vingt et qu'il advint que j'entre dans la résistance, j'en aurais fait mon nom de code. Et c'est tout naturellement que lorsque le grand De Gaulle venu me saluer dans mon maquis aurait voulu faire ma connaissance, je me serais présenté à lui sous le nom de commandant Marcassin.