29 février, 2016

Je suis là !

Rassurez-vous, je suis là, j'écris juste un très long article !


Malgré un temps relativement doux, les marcassins restent couverts !

08 février, 2016

Psychiatrie et aliénation !


Voici quelques mois, j'ai déjeuné avec une jeune consœur. Enfin, consœur dans l’esprit mais pas dans les faits, puisqu'elle est médecin-psychiatre et donc nettement plus gradée que moi qui ne suis rien ! Elle m'avait été présentée par un ami commun.

Juste avant de déjeuner, je venais de passer deux heures avec un patient venu de province, exprès pour me rencontrer. Ce type m'avait emballé. Colonel de profession, il avait certes oublié d'être con mais plus encore, il s'était même souvenu qu'il pouvait rester simple malgré sa réussite et même faire preuve d'une très belle sensibilité sous ses airs de tueur. Si j'osais un raccourci audacieux,  je dirais que si j'avais été mécanicien, je venais de passer deux heures à ausculter une fabuleuse mécanique, un beau V6 apte à rouler sur la ligne de couple tout en étant capable de monter dans les tours au moindre coup d'accélérateur. Ça c'est pour les férus de mécanique ! 

J'étais donc sur un tapis volant en venant à ce déjeuner, tout entier encore pris dans l'entretien précédent qui venait de s'achever. Si j'ai uen clientèle sympathique à 99,99%, mes expériences avec les galonnés n'ont pas toujours été fabuleuses. Le précédent colonel que j'avais reçu par exemple, s'était montré extrêmement arrogant et enclin à "faire péter les galons". 
 
Il avait fallu que je rappelle à ce cuistre qui se croyait dans une caserne, qu'en tant que  "psy", il devrait me voir comme un aumônier militaire ayant le grade de celui auquel je m'adressais. Soit, s'il préférait, il en devrait pas oublier qu'il était dans mon cabinet dans lequel je restais le commandant de bord auquel il devrait se soumettre ! J'ai toujours détesté l'argument d'autorité et ce d'autant plus que celui qui en use n'a accompli aucune tâche en rapport avec le respect dont il espère être l'objet. Et moi, il me faut plus que cinq barrettes sur une épaulette pour m’imposer le respect. T'as pas fait Verdun ni le Chemin des dames alors ne viens pas me parler de la guerre et puis voilà ! Non mais !

Mais ce colonel là, celui que je venais de voir ce jour, m'avait enchanté tant et si bien que c'est d'un naturel primesautier que j'arrivais à notre déjeuner. La demoiselle bien que charmante ne semblait pas non plus d'un naturel enjoué. Je mis cela sur le compte d'une certaine timidité tout en me rappelant que dans ma profession, on a plus de contrôlants et d’analysants que de gens vraiment ouverts et sympas. Ceci dit, peut-être que de son côté elle a pu croire que j'étais le représentant Ricard venu prendre les commandes de la brasserie dans laquelle nous allions déjeuner ! La tête de l'emploi est un vaste sujet !

On papote, on papote et puis, on aborde des sujets de boutique, c'est à dire qu'on parle de psy. Moi qui me fais vieux d'années en années, même si un capricorne ne vieillit pas vraiment, j'étais ravi de papoter avec une jeune consœur, persuadé qu'elle allait m'apprendre plein de truc sur les recherches actuelles. Ben mon cul ! Oups, pardonnez moi cette vulgarité. Je voulais dire que je n'ai rien appris de neuf si ce n'est qu'en psychiatrie comme dans le reste de la médecine, semble-t-il, ce soit de plus en plus les protocoles qui s’installent au détriment du facteur humain. Fini les diagnosticiens géniaux, comme House, place aux analyses et aux machines. Elle m'a dont parlé de tests en me disant que untel était positif au test de truc ou négatif à celui de machin. Dans un boulot où n'existent pas de marqueurs biologiques, les tests font donc la loi !

Bref, à un moment comme nous parlions d'un sujet précis, les rescapés du Bataclan, je lui demandais comme elle agirait ou réagirait face à de tels cas. Et là, le museau se plisse et la voici toute fermée. Elle distingue dans ma question un piège qui l'amène à me dire : désolé mais je déteste me faire tester en déjeunant. Alors que moi, et je vous le jure chers lecteurs, je n'avais aucune envie de la tester mais simplement, face à des cas dramatiques, d'avoir son avis de clinicienne. C'est vrai quoi, on a des tests, des IRM et des Scanners mais à la fin, il y a tout de même un individu en face de nous à qui on doit parler. 

On ne peut pas décemment se borner à dire à la personne, vous avez été victime d'un stress intense comme l'atteste le test X que vous venez de passer, voilà une ordonnance pour des anxiolytiques. Il va falloir parler. Ou encore, vous êtes amputé d'une jambe suite à une rafale de Kalachnikov, et comme le prouve le test Y, c'est un cap difficile à passer, prenez ces cachets deux fois par jour et revoyons nous le mois prochain. Mais bon, comme la donzelle avai hérissé toutes ses défenses, j'ai fermé ma gueule et on a achevé le déjeuner, peut-être pas dans une joie délirante mais du mieux possible.

J4ai juste pense à certains patients que j'ai eus par le passé et la manière dont ils auraient pu être jugé par cette jeune consoeur si ils l'avaient consulté. J'ose imaginer que les diagnostics de schizophrénie et les neuroleptiques seraient tombés comme les braves à Saint-Privat ! Je me suis juste dit "putain de monde dans lequel on donne des postes aussi importants à des individus qui n'en sont pas dignes". Puis comme je trouvais cela un peu méchant et que je ne le suis pas, je me suis juste dit qu'il y avait un manque dans la formation. Parce qu'en psy, si vous êtes un petit cœur sensible attaché à l'ordre et aux convenances, ça risque de déménager vu les cas qu'on reçoit.

C'est vrai que pour ma part, partageant tout un tas de traits de caractère avec ma clientèle, il m'en faut beaucoup pour estimer que quelqu'un est fou ou du moins atteint d'un truc grave. Sinon, il y a longtemps que je me serai mis dans le lot avec mes addictions et mes lubies ! Ceci dit c'est aussi pour cela que les médecin qui m'honorent de leur confiance m'envoient souvent les cas un peu "bizarres " parce qu'ils savent que je parviendrai toujours à m'en accommoder.

Et puis, comme je parlais tout en réfléchissant en tâche de find, je me suis souvenu du triangle de Sigaud que j'avais appris en psychologie du travail, lequel Met en relief les trois formes d'aliénations possibles. D'ailleurs j'en avis déjà parlé voici quelques années ici-même. Le triangle de Sigaut, c'est cela :



A l’origine, on admet que la société enferme dans ce qu’on a longtmeps nommé les asiles d’aliénés ceux qui perturbent par trop son fonctionnement du fait d’une personnalité altérée, elle peut aussi tenter d’imposer par l’enfermement une volonté collective à des individus non conformes mais sains d’esprit, du moins aux yeux d’un psychologue impartial. Dans son analyse, Sigaut dessine un triangle formé par la réalité le sujet et les autres et postule que le lien entre égo (soi) et les autres (autrui) âsse forcément par la médiation du réel. Il postule alors que l'aliénation passe forcément par l'ignorance d'un des termes par rapport aux deux autres et qualifie ainsi trois types d’aliénation : l'aliénation mentale, l'aliénation culturelle, et l'aliénation sociale.

L'aliénation mentale correspond à la rupture du lien de l'individu, laquelle débouche sur une rupture avec autrui. Ce sont les cas classiques de "folie", de délires ou de paranoïa par exemple. Le sujet privé de réel et d'autrui est totalement isolé. Ce sont les fous que l'on trouve ici.


L'aliénation culturelle est une coupure du lien avec le réel même si le sujet est en lien avec autrui. Mais sans médiation du réel, ce lien est faussé. C'est le cas de la personne embrigadée dans une secte, dans un mouvement associatif militant ou dans une grande institution. C'est aujourd'hui le cas des politiques qui ne vivent pas ce que vivent les gens. Tant que les gens vivant en aliénation culturelle maintiennent une forme de cohésion dans leur groupe, il n'y a pas de souffrance. En revanche l'irruption du réel entraine nécessairement une crise terrible. C'est aussi la position préférée des personnes appartenant à un environnement très normé où la soumission aux normes, dont le bien-fondé ne sera jamais discuté, est la seule manière de se faire bien voir et d'évoluer. Ce sont les soumis que l'on retrouve dans cette catégorie.


L’aliénation sociale est l'inverse de l'aliénation mentale. Le sujet voit la réalité telle qu'elle est mais reste coupé d'autrui. C'est le cas du génie incompris, du précurseur, de l'excentrique clairvoyant, du dissident contre le régime totalitaire qui peuvent apparaitre comme des inadaptés sociaux minoritaires dans un environnement où justement c'est l'aliénation culturelle qui règne. C'est une position qui génère une souffrance intense dès lors que le sujet est isolé. C'est aussi un piège pour le mauvais psy lui-même en pleine aliénation culturelle et qui, incapable de voir le réel, de le questionner, et de se questionner, serait amené à juger celui qui le voit comme un fou ou dangereux déviant. C'est la position que vivent la plupart des libéraux qui me consultent, cette impression de vivre dans un monde de fous qu'ils sont les seuls à juger tels. Ce sont les rebelles que l'on retrouvera dans cette catégorie d’aliénation.

Au-delà de tout diagnostic, la réalité de la situation que 'jai vécue en compagnie de cette jeune psychiatre, était de voir un individu en pleine aliénation culturelle, tout juste capable d'apprendre et de recracher, sans jamais remettre en cause les pré-supposés de ses croyances, les jugeant bonnes parce qu'enseignées par des individus dûment étiquetés par la société (les profs) et dûment mis en oeuvre par un supérieur (le chef de service).

Et moi, j'étais en pleine aliénation sociale, me trouvant face à ce monde fou que je déteste, ce réel abject et violent, qui consacre comme humanités nouvelles, des études stéréotypées destinées à des individus sots dont la seule gloire aura d'avoir été suffisamment travailleurs, parce qu'ils n'avaient généralement pas grande chose d'autre à faire de leur maigre vie, pour réussir un concours !

Comme je suis rebelle depuis très jeune, entré très tôt en dissidence du fait des mes idées baroques sur la vie et les gens en général et que j'ai vite compris qu'il fallait embrasser la main qu'on ne peut mordre, j'ai fait profil bas en tentant de lui donner à penser qu'elle était sympathique. En revanche, je ne suis pas sur qu'elle m'ait trouvé sympathique et je dois avouer que je m'en fous totalement.

N.B. : 
Bien entendu, mes récriminations sur les concours, ne concernent que les médiocres et ne sauraient concerner les gens très brillants issus de concours. Il y en a et j'en ai un paquet dans ma clientèle(X, Mines, Centrale, médecins, IEP, etc.). J'ai moi-même en mon jeune temps passé quelques concours. Outre le fait que durant leur préparation, je me sois abstenu de sortir, de voir mes amis, ma copine de l'époque et de picoler, je ne suis pas certain que ces épreuvess aient prouvé d'une manière quelconque mon intelligence mais simplement ma capacité (limitée) à me concentrer l'espace d'un moment sur un objectif. On appelle cela du dressage.

Curriculum-vitae et entretiens !


J'ai un patient, un type charmant s'occupant du risque dans une compagnie d'assurances mais manquant de confiance en lui,  à qui j'ai affirmé qu'il était sans aucun doute un salarié d'une fiabilité extraordinaire. Manifestement, son patron, tout en l'appréciant, ne se montre pas aussi catégorique que moi. D'entretiens en entretiens, d'évaluations en évaluations, il semble lui manifester une certaine défiance sans pour autant préciser ses griefs. De mon point de vue, c'est son patron qui a des problèmes et non mon patient dont je persiste à croire qu'il est parfaitement fiable. Fiable à un tel point que même ses défauts sont perceptibles puisqu'ils ne sont que "les défauts de ses qualités".

Il a été étonné, alors que nous nous voyons que depuis peu, que je puisse ainsi affirmer aussi catégoriquement quelque chose le concernant. A priori, mon style plutôt promouvant heurtait quelque peu sa démarche analysante. Peut-être lui aurait-il fallu plus de temps pour être aussi sur que moi d'une personne. Nous serions sans doute parvenus à la même conclusion mais ses opérations logiques auraient pris plus de temps que mes "fulgurances". Très aimablement, il m'a demandé sur quels éléments je fondais mon jugement. En tant qu'analyste-risques, il était intéressé par ma démarche.

Tout d'abord, je lui ai expliqué que nous partagions quelques expériences. Ainsi, en école supérieure de commerce, j'avais eu des cours intitulés "prise de décision en avenir certain ou incertain", lesquels se targuaient, après avoir mis en équation puis sous forme de matrices différentes situations de prendre des décisions d'une manière scientifique. Si à l'époque j'ai scrupuleusement suivi les conseils du professeur qui m'enseignait cette matière, il va sans dire que je la trouvais passablement ridicule. 

Je la trouvais contraire à l'esprit humain lequel est à mon sens rationnel d'une manière apparemment irrationnelle. Je ne pense pas pour autant que notre rationalité soit limitée mais simplement que dans une prise de décision intervienne tout un tas de facteurs qu'il est bien difficile de modéliser pour, justement, des esprits trop rationnels. Je pense que l'excès de rationalité dont font preuve les analysants les rend parfois incapables à prévoir le choix des humains. 

J'ai d'ailleurs pu noter, depuis près de vingt ans que je pratique mon métier que mes patients ayant le mieux réussi sont soit :
  • Ceux bénéficiant d'un phénomène de rente soit au travers d'un diplôme de grande école bénéficiant d'un réseau important, soit ceux pratiquant une profession réglementée limitant la concurrence. Indépendamment de leurs qualités individuelles, c'est un concours qui a déterminé leur niveau de revenus. A ce niveau, rappelons nous les mots de d'Auguste Detoeuf, polytechnicien et fondateur d’Alstom, qui parlant des concours, précisait que : "cela sélectionnait les volontés et harmonisait les médiocrités".
  • Enfin, chez les autre, ceux soumis à la concurrence la plus rude parce que ne bénéficiant ni d'un réseau particulier ni d'un accès réglementé à une profession, les plus belles réussites s'observent chez ceux chez qui on aurait coutume de dire qu'ils ont eu du nez. La locution "avoir du nez" signifie qu'ils ont eu de l'instinct, du flair. Ils ont simplement vu la nouveauté là où d'autres ne l'autraient pas vue et là où ce que l'on m'a enseigné de la prise de décision, lorsque j'étais jeune, aurait échoué puisqu'il n'y avait pas d'éléments à modéliser mais simplement une idée, parfois un peu folle, à laquelle ils se sont accrochés.

  • Loin de moi l'idée de dire que l'actuariat ou toute formule de prédiction des risques ne vaudrait rien. Disons que pour moi, de la même manière que la décision d'un juge ne saurait se soumettre à un rapport d'expertise, j'aime à me souvenir que ce sont des outils et rien d'autre, comme le sont les tests dans ma profession, lesquels doivent être utilisés avec circonspection et ne jamais se substituer à la clinique.

    J'ai ensuite rajouté à mon patient que sa présentation était extraordinaire. Comme nous sommes tous deux nés à une année d'intervalle, nous avons eu la même jeunesse et donc les mêmes références. En le voyant, je me revois voici trente ans. C'est un parfait diplômé d'école de commerce. Rien ne dépasse : le costume est impeccable, la chemise et la cravate aussi et les chaussures bien cirées. Et touche amusante et détail décalé, il doit être l'un des derniers à encore porter des chaussettes Burlington comme nous en portions dans les années 80. Les chaussettes de couleur signent un petit côté original marquant sa nature facilitante. Soit ce type a tout prévu et tout calculé et est un escroc de haut vol, de nature à endormir toute méfiance, soit comme je le pense, c'est un type fiable à cent pour cent.

    Enfin et je crois que c'était le plus important pour moi, c'est un passionné de voile. J'ai moi-même fait un peu de voile étant plus jeune. Pas suffisamment pour être un marin confirmé et tracer la route jusqu'aux Antilles, mais assez pour distinguer un vrai marin d'un charlot. Et puis au gré de mes lubies, j'ai pu à l'occasion m'y remettre au travers de lectures. Les différentes allures, de même qu'un bouge, une tonture, une ligne de tin, un trinquette, un pataras ou un ridoir et autres termes techniques me sont familiers autant qu'inutiles sauf lorsque je suis face à un passionné de la mer. 

    Et mon patient est un vrai marin, ayant à son actif quelques belles traversées tout en ne dédaignant pas s'amuser sur un dériveur en Bretagne. A défaut d'en parler avec passion, puisque c'est un analysant, il en parle savamment. Et s'il y a bien quelque chose qui ne pardonne pas l'amateurisme, c'est la mer. En mer, nulle bande d'arrêt d'urgence sur laquelle vous attendrez la dépanneuse venue vous secourir. Et si la technologie a beaucoup apporté à la navigation, bien souvent, les mauvaises décisions se payent très cher, au prix de la vie.

    Pour lui résumer la manière dont j'avais posé mon jugement définitif sur lui, je lui rappelai donc qu'il avait de beaux diplômes comme beaucoup et qu'il présentait bien comme tant d'autres. En revanche, j'avais été amusé par ses Burlingtons, lesquelles signaient à n'en pas douter un petit côté original donnant une dimension originale et bienvenue à un profil qui eut été trop analysant à ce niveau de poste. Un directeur doit avoir un peu d'ampleur et d'empathie pour manager. Ce n'est pas un poste d'expert.

    Enfin, sur son C.V. figurait la passion de la voile et il suffisait d'en parler ne serait-ce qu'une demie-heure avec lui pour comprendre que c'était un vrai passionné et un vrai marin. Et là, mon jugement était définitif, un type qui est capable de s'embarquer sur un sloop de sept mètres pour traverser l'Atlantique sait mesurer les risques et donc en prendre ! Je l'aurais donc signé sans problème et sans lui faire subir je ne sais quelles évaluations faussement scientifiques qui rassurent surtout ceux qui sont incapables d'apprécier un individu en peu de temps.

    Vosu l'urez compris, ma prise de décision équivaut à : Chaussettes Burlington + passion de la voile = recrutement parfait. C'est certain qu'écrit sous cette forme, cela apparaitrait totalement idiot. Pourtant, j'espère vous avoir démontré que ces détails, pour nous promouvants, ont autant de validité que les tableaux des analysants.




    01 février, 2016

    Douance, accoutumance, aisance et aberrance !


    Être ou ne pas être surdoué, voici l'un des enjeux majeurs de notre temps. Depuis que Jeanne Siaud-Faschin, affectueusement surnommée JSF dans le milieu des surdoués, a publié son livre Trop intelligent pour être heureux, tout le monde se sent concerné par la douance. Et si plutôt que d'être déprimé par l'environnement ou les événements de vie, on pouvait l'être du fait d'une trop grande intelligence.

    Se comparer à l'Albatros de Baudelaire, celui que ses ailes de géant empêchent de marcher à certes plus de gueule que de s'avouer juste victime d'une dépression lambda qu'un généraliste soignera à coups d'ISRS, avant que la vie ne reprenne ses droits, mais ce sera une existence normale, tout juste ébréchée par l'accident de parcours qu'aura représenté la dépression.

    Sans doute faut-il voir dans la réussite de ce concept de douance à notre époque, l'atavisme qu'ont les gens pour l'individualisme. Déprimer ? Seulement déprimer, ce serait tellement commun, tellement vulgaire. Alors on déprimera au nom d'un idéal, d'une singularité, d'une intelligence malmenée par la bêtise de nos contemporains. On prendra les mêmes antidépresseurs et on recourra aux mêmes recettes que les autres mais tout au fond de soi, on s'estimera unique. La dépression ne sera plus vécue comme un échec, une panne, mais comme la preuve éclatante de ses surcapacités.

    Comme je suis souvent confronté à cette donnée nouvelle, on m'a conseillé deux ouvrages que je devais lire absolument. L'un, Les surdoués ordinaires, est de Nicolas Gauvrit et l'autre, La précocité dans tous ses états, est écrit par Fabrice Bak. J'ai commencé le premier et il me tombe des mains. Non qu'ils soit mal rédigé ou inintéressant mais qu'on y ressasse les mêmes choses que partout ailleurs en égrenant la litanie de toutes les particularités qu'auraient peut-être les surdoués. 

    On aura ainsi le droit à surdoués et schizophrénie, surdoués et troubles "dys", surdoués et créativité, surdoués et humour, pour à chaque fois s'apercevoir que parfois oui mais parfois non, tant est délicat l concept de douance. L'auteur, on ne pourra pas lui reprocher, a au moins le mérite d'être carré. On n'en espérait pas moins puisqu'il est mathématicien de formation. Il me semble que le livre aurait pu être résumé en vingt pages et que cela aurait bien suffit. 

    Mais l'ayant acheté, je le lirai, c'est l'escalade d'engagement qui l'exige. Et puis je suis trop coutumier d'abandonner des livres en cours de route pour le refaire encore. C'est ma grande décision du jour de l'an : cette année, je finirai tous les livres commencés, même les plus pénibles. Même si à la lecture de celui-ci j'en viens à me souvenir d'un patient qui ayant décrété que le livre était médiocre, n'hésitait jamais à le renvoyer à Amazon en exigeant son remboursement. Sans doute qu'aller à la poste m'est un effort plus insurmontable que de finir ce livre ?

    Celui de Bak, je ne l'ai pas encore commencé, tout juste parcouru. Il m'a semblé moins austère que celui de Gaudrit mais cela ne m'a pas pour autant incité à m'y plonger immédiatement. J'ai préféré commencer par le plus petit, le livre de Gaudrit faisant moins de pages que celui de Bak, il m'a semblé que mon calvaire serait plus supportable. Mais bon je lirai les deux car je ne nie pas qu'au fil des pages, je ne puisse apprendre quelques menues choses. Je ne suis pas spécialiste en douance mais si d'aventure on m'en reparle, je serai moins bête en les ayant lus.

    De même, je ne nie évidemment pas la validité des tests en psychologie, la psychométrie étant une branche importance de cette discipline. Toutefois, je m'insurge contre cette psychologie réalisée à base de tests qui viendrait en lieu et place de l'observation clinique. Cette psychologie de protocole pour autant qu'elle soit utile pour valider des intuitions ne saurait remplacer la finesse diagnostique.

    Le Test de QI n'échappe donc pas à mes interrogations. Je comprends que l'on en fasse, notamment lorsqu'on y est poussé par des parents soucieux de savoir ce que leur chérubin a vraiment dans la tête. Pourtant, il me semble curieux qu'à l'âge adulte on veuille encore s'y soumettre comme si l'on pouvait douter de son intelligence et ne pas savoir quelle quantité approximative on en possède. A moins, que mus par des intentions moins honnêtes, il s'agisse de s'inscrire dans un classement destiné à savoir si l'on fait partie des THQI ou simplement des HQI. Pourquoi pas ? 

    Quoiqu'il en soit, il m'a toujours semble qu'un examen clinique pas spécialement complexe permettait de detecter cette fameuse douance bien plus rapidement et facilement qu'un test long et couteux. Certes l'entretien ne viendra jamais mettre une note ni graduer l'intelligence mais simplement avertir la personne si elle est surdouée ... ou non. Quoiqu'à la vérité, je suis persuadé de ne jamais m'être trompé en donnant un chiffre de QI à quelqu'un. Mais fi des chiffres et du classement, la douance cela se sent. C'est rapide un surdoué et ça renvoie toutes les balles qu'on lui envoie, fond de court ou derrière le filet. 

    Dernièrement je recevais un nouveau patient, un jeune type âgé de vingt-six ans pour des problèmes d'anxiété. Comme je discutais avec lui, je lui fis remarquer au bout de vingt minutes qu'il était très certainement surdoué. J'ai été très amusé de sa réaction. Il m'a répondu "ah non pas vous, déjà que la psychiatre précédente avait évoqué cela au bout d'un mois". Je lui ai fait remarquer en souriant qu'il m'avait fallu vingt minutes et non un mois. Et puis comme il prenait mal le fait d'être catalogué surdoué, je lui ai demandé pourquoi il avait cette réaction.

    Il m'a alos avoué que pour lui le concept de "douance" était un "truc marketing vraiment cheap". Voilà un peu où amènent l'inflation de livres sur le sujet ai-je pensé. Il a rajouté qu'il venait trouver des réponses et traiter son anxiété et non sombrer dans "des histoires de bonnes femmes". J'ai simplement rajouté que sa douance, au même titre que son sexe et son parcours scolaire et professionnel étaient des données utiles pour traiter son anxiété et que je n'avais jamais eu l'intention d'apporter comme preuve définitive de mes compétences le fait que j'aie détecté sa douance. On a pu crever l'abcès et nous nous entendons fort bien. Il est  vif d'esprit, très cultivé et bourré d'humour ... comme souvent les surdoués !

    Mais ces remarques ont fait leur chemin en moi. J'ai trouvé amusant que ce qui aurait du passer pour un compliment soit vécu sur un mode agressif. Et j'ai trouvé intéressante son analyse de la "douance" comme étant un "truc marketing actuel". 

    Sans doute qu'il n'a pas tort ce jeune surdoué.Sans doute qu'à force de trop s'y intéresser, d'en dénaturer le concept, de le décortiquer jusqu'à lui faire perdre toute saveur, la douance sera bientôt le centre d'intérêt pour les sots !

    Viendra un jour, où les gens vraiment intelligents refuseront d'être appelés surdoués laissant cette épithète aux fats et autres cuistres pour qui la normalité est insupportable à vivre !

    De toute manière, soyons surs qu'on est toujours le con de quelqu'un !

    Suicide by cop !


    Le 7 janvier dernier, un homme se présentant dans un commissariat parisien, armé d'un hachoir et criant Allah Akbar a été abattu par des policiers. Au même moment, je recevais un jeune capitaine de police. Comme je lui annonçai la nouvelle qui venait d'arriver sur les dépêches de mon i phone, ce dernier ne sembla pas plus surpris que cela et se contenta de me dire d'un ton dégagé : suicide by cop.


    Le suicide by cop ou suicide par police interposée est une méthode de suicide par laquelle une personne agit délibérément de manière menaçante vis à vis d'un représentant armé des forces de l'ordre en vue de provoquer une réaction mortelle de sa part.

    C'est vrai que ces derniers temps on a pu voir, soit des attentats rigoureusement organisés comme ceux de Charlie Hebdo ou ceux du treize novembre, mais à côté de ceux-ci, on a aussi pu assister à des comportements totalement  aberrants.

    Ces comportements amènent alors des personnes que les services qualifient de déséquilibrés à se comporter comme des terroristes alors que manifestement, ils n'appartiennent pas aux mouvances islamistes si ce n'est pas le truchement de quelques lectures par internet ce qui peut sembler assez banal à une époque où tout est disponible en ligne, quelle que soit l'option politique retenue.

    Certains peuvent avoir des casiers judiciaires chargés et n'être pas pour autant des terroristes mais de simples condamnés de droit commun qui un jour, à la faveur des événements ou sans doute de l'actualité, vont basculer et se mettre à adopter des conduites irrationnelles comme celle consistant à prendre d'assaut seul un commissariat.

    Il faut savoir que parmi ceux que l'on nomme les "droits communs" figurent un certain nombre de personnes souffrant de pathologies soit jamais détectées soit jamais soignées ou ayant cessé leur traitement. Qu'ils s'agissent de bipolaires ou de schizophrènes en rupture de soins ou encore de personnalités pathologiques, tels des paranoïaques, nombreux sont ceux qui du fait d'une pathologie sont amenés à adopter des comportements anti-sociaux. Les criminels ne sont pas tous des sociopathes géniaux et rationnels ayant choisi de leur plein gré le mauvais chemin, loin s'en faut.

    Bien entendu, la réciproque est vraie aussi et le fait d'être schizophrène ou bipolaire n'entraine évidemment pas un parcours délinquant ou criminel, fort heureusement. Cependant, la fragilité de ces patients, leur isolement social, leur parcours fait de rupture successives et d'incapacité à s'insérer dans un cadre sentimental ou professionnel peut en faire de bons candidats au crime. 

    Et si l'on peut admettre qu'ils sont autant victime d'eux mêmes que leurs prpores victimes, le droit les reconnait tout de même coupables puisque selon l'article 122-1 du Code pénal, « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». 

    Une personne atteinte de tels troubles sera donc considérée irresponsable si ceux-ci ont affecté son discernement au moment des faits puisqu'elle n'a pas pu contrôler ses actes en raison d'un trouble mental et ne sera pas jugée responsable de ces derniers. La personne pourra bénéficier d'un non-lieu de la part du juge d'instruction, ou bien d'un acquittement ou d'une décision de relaxe de la part de la juridiction pénale. Si la personne est considérée comme dangereuse pour la société en raison de son trouble mental, une décision d'internement sera prise. C'est évidemment une question que l'on posera aux experts psychiatres en charge d'examiner ces personnes.

    A coté de tous ces cas bien connus et répertoriés impliquant des pathologies souvent lourdes, existent aussi des personnes dépressives se sentant à un moment donné de leur vie totalement privée d'avenir. Souvenons-nous que la dépression se caractérise par une humeur triste et une perte de l'élan vital et qu'elle peut toucher n'importe qui avec une acuité plus ou moins importante à différents âges de la vie.

    Voici plus de vingt ans, c'était l'affaire Rey-Maupin qui mettait la France en émoi puisque ce tandem de jeunes tueurs se terminait route dela Gravelle dans le bois de Vincennes dans une fusillade au cours de laquelle cinq personnes dont trois policiers et Audry Maupin alors âgé de vingt-deux ans décéderont. 

    Si l'on regarde les éléments biographiques d'Audry Maupin, étudiant en philosophie, on notera un ancrage politique à l'extrême gauche avec cependant un engagement associatif important. Ce genre de jeune idéaliste, qu'ils se situent à l'extrême gauche ou droit ou dans une mouvance religieuse, sont le terreau idéal pour des actions militantes extrêmement violentes. Tant leur âge, que leurs fréquentations ou leurs lectures en font les candidats idéaux pour des aventures sans lendemains se terminant par une forme de suicide by cop.

    De simples criminels de droit commun auxquels on ne peut reprocher aucun engagement militant pourront aussi choisir cette voie pourvu que le panthéon des gloires auxquelles ils se réfèrent soit peuplé d'individus violents et jusqu'au-boutisme. On ne saurait mesurer ce qu'un simple film comme la seconde version de Scarface aura fait comme victimes, ces jeunes voyant dans la fin du bandit interprété par Al Pacino l'essence même du héros romantique que rien n'arrête et qui place son idéal au-delà de toute mesure.

    On parlera alors de comportement ordalique (jugement de Dieu) qui est un est un comportement à haut risque, motivé par un besoin de jouer avec la mort ou de revitaliser son existence. On parlera aussi parfois d'une "appétence traumatophilique" ou! encore "d'ordalisme", qui est un fort désir de prouver l'intérêt de vivre en la risquant, comme dans les cas de sports extrêmes ou de conduites à risque. Il s'agit alors de la recherche exclusive de l'intensité de la vie, du plaisir total et du refus d'une vie économe qui durerait longtemps mais n'apporterait aucun sel.

    Parfois un criminel ou un terroriste abattu par la police n'en est pas vraiment un, c'est juste ce que l'on nomme trivialement un "paumé", un pauvre type jamais pris en charge psychologiquement ou bien dont la prise ne charge aura été mal faite. C'est aussi parfois la victime d'un système qui glorifie des comportements adolescents au détriment de la raison.

    Confronté à une existence médiocre, ils préféreront alors mourir dans un coup d'éclat plutôt que de recourir à tout autre moyen d'en finir. D'ailleurs, je gage que si l'on avait demandé à ces gens là s'ils étaient suicidaires, la plupart auraient répondu que tel n'était pas le cas, car ils n'ont pas les capacités de comprendre que leurs comportements ne sont en rien rationnels mais appartiennent plutôt à la sphère des actes ordaliques.