17 juin, 2012

Clinique politique !


Il s'appelle Jean-Pierre,il est âgé d'une petite cinquantaine d'années, il est plutôt avenant, petit, tout en rondeur et ses yeux pétillent de malice derrière ses lunettes. S'il est dans mon cabinet ce jour c'est parce qu'il est inquiet pour son fils aîné prénommé Thomas. D'après lui, il est atteint d'une pathologie grave mais rien n'y fait, ni les menaces ni les encouragements : son fils ne veut pas consulter.

Lorsque je lui demande ce qui l'amène à songer que son fils serait malade, le père m'explique que depuis une dizaine d'années son fils est dans une sorte de délire mystique. Et s'il est venu me consulter c'est que très récemment, juste après les élections présidentielles et législatives, son fils s'est transformé comme s'il était entré dans une sorte de transe mystique. Depuis quelques temps déjà il l'avait surpris à murmurer "le changement c'est maintenant", ne comprenant pas vraiment ce que cette phrase voulait dire surtout que lorsqu'il prononçait cette phrase, son fils se mettait à croiser ses bras l'un au dessus de l'autre d'une manière curieuse.

Au début il a mis cela sur le compte de la jeunesse mais à vingt-trois ans passés, son fils n'est plus un adolescent et le temps est révolu où l'on se met admirer et singer bêtement des idoles. Il a tout envisagé pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Il a pensé que son fils glissait doucement sur la pente de la schizophrénie et qu'il s'agissait de délires sans queue ni tête et cela lui a fait peur.

Il a même envisagé que son fils puisse être homosexuel quand dans sa chambre il a punaisé un poster de François Hollande mais il ne savait pas trop. D'après lui, un homosexuel aurait plutôt mis des posters de jeunes types musclés aux dents blanches et non la photo de notre président. C'est inconcevable de tomber amoureux d'un homme affligé d'un pareil physique. Il se dit que c'est comme si un jeune hétérosexuel avait eu l'idées de décorer sa chambre avec la photo de Martine Aubry. Certes son fils aime le rose mais ce n'est pas suffisant, il a tout de même une copine avec qui il s'entend bien.

Et puis, lorsque face aux émissions de soirées électorales, il a vu Thomas s'agiter et éprouver une joie intense en écoutant des politiciens parler, il a eu d'autres idées. Il ne comprenait pas ce qui pouvait enthousiasmer ainsi son fils dans le discours de ces politiciens professionnels. D'après lui, quelles que soient les idées politiques que l'on puisse avoir, on a toujours un peu de distance vis à vis de la politique. On peut être content quand son camp gagne mais on garde une certaine distance, convaincu que finalement rien ne changera vraiment. C'est un peu comme dans le foot, passé la fièvre de la victoire, on revient à son quotidien. Mais là, le jeune Thomas en voyant les résultats des présidentielles s'est tourné vers lui en hurlant que le changement c'était maintenant en refaisant ce geste curieux avec ses deux bras.

Le soir des législatives, Thomas lui a vraiment fait peur. Il était animé d'une telle joie, à croire qu'il ruisselait de bonheur.Jean-Pierre a eu peur, il s'est dit que même lorsque Bernadette Soubirous avait vu la vierge dans la grotte de Massabielle, elle n'avait pas du être aussi transportée de joie que son fils.Cela lui a rappelé un de ses amis qui s'était tapé un mauvais trip aux acides quand ils étaient en faculté au début des années soixante-dix quand on faisait un peu n'importe quoi. Cet ami s'était mis à sourire bêtement, avec un air crispé, les mâchoires serrées et ça avait duré deux jours avant qu'il ne fasse une descente terrible mais libératrice. Mais il est sur que son fils ne se drogue pas, ce n'est pas le genre. Comme il me l'explique, il termine une formation d'expert-comptable alors ce n'est pas vraiment le genre à porter les cheveux longs et à tester tous les stupéfiants de la terre. Il a tout de même eu si peur qu'il s'est imaginé appeler le le samu ou alors lui faire prendre une douche glacée.

C'est pour cela que Jean-Pierre s'est imaginé le pire pour son fils. Il a cherché sur le net et a envisagé un trouble bipolaire. Selon lui, le soir des législatives, Thomas aurait fait une crise maniaque du moins sont état correspondait à ce que raconte la littérature spécialisée à propos de ces brusques changements d’humeur. Jean-Pierre m'explique qu'il a lu que l'accès maniaque se caractérise par la survenue d'un état d'euphorie, des idées de grandeur, une mégalomanie et une suite d'idées rapides avec une logorrhée envahissante. Il a aussi lu que le patient présentait souvent une labilité affective et une hyperactivité et que les crises de rire n'étaient pas rares.

Il sait que les troubles bipolaires se traitent mieux de nos jours mais il a été abattu par la nouvelle. Il ne sait vraiment pas ce qui arrive à son fils. Il avait aussi envisagé qu'il soit dans une sorte de secte parce qu'à son âge on est vulnérable aux discours et qu'on se laisse embobiner par le premier gourou venu. Le manque de repères, la baisse des croyances et l'abandon des traditions laissent les gens paumés qui peuvent alors se raccrocher à n'importe quoi. Jean-Pierre m'explique que lui est ingénieur de formation et peu enclin à croire en n'importe quoi mais que son fils est différent, sensible, enthousiasme, prompt à s'enflammer pour tout et n'importe quoi. La piste de la secte l'a séduite sans pour autant pouvoir trancher entre cela et le trouble bipolaire.

C'est pour cela qu'il s'en remet à moi pour tenter d'y voir plus clair. Je lui pose alors des questions afin de mieux comprendre ce qui accable son fils. Je lui demande ainsi si dans le passé, son fils n'a pas eu d'autres comportements aberrants. Il m'explique qu'il y a déjà pensé et qu'il se souvient d'un fait troublant. Thomas devait avoir seize ans et il s'est embringué dans une drôle d'association. Comme il lui faisait confiance, Jean-Pierre n'a posé aucune question. Un jour il a vu traîner une carte MJS dans la cuisine avec un logo orné d'une rose. Il ne s'en est pas plus préoccupé. Il a songé que MJS cela signifiait Maison des Jeunes et de je ne sais quoi car il n'a pas cherché à ce que voulait dire le S. Quant à la rose, il aurait pu s'agir aussi bien d'un club de jeunes horticulteurs que de danseurs de tango. Il ne s'en est pas vraiment soucié.

Mais il se souvient que c'est là que les ennuis ont commencé. C'est pour cela qu'il parle aujourd'hui de secte. Parce que c'est à peu près à cette période que son fils a beaucoup changé. Il s'est alors lancé dans de drôles de diatribes. Jean-Pierre se souvient ainsi que son fils lui avait expliqué que l'impôt était un instrument de justice sociale destiné à gommer les inégalités de classe. Quand il a voulu en parler, son fils l'a traité de gros bourgeois et de facho. Au lieu de s'en inquiéter, Jean-Pierre a été amusé, mettant cela sur le compte de la jeunesse. Comme il me l'explique, lui-même se rêvait en guitar-hero un peu comme Jimmy Page et finalement la vie l'a rattrapé et il est devenu ingénieur. Aujourd'hui, il a les cheveux court et roule calé dans les sièges en cuir d'une berline haut de gamme : il faut bien que jeunesse se passe !

Mais chez Thomas cela s'est accentué et son langage s'est modifié. Il n'a eu de cesse de parler de démocratie et de tolérance alors que tout dans son attitude dénotait que ces notions lui étaient devenues étrangères. Péremptoire et rigide, son fils lui tenait des discours curieux, un peu comme s'il répétait des choses entendues mais qu'il n'aurait pas comprises. La tonalité était toujours la même, cela parlait d'état, de bonheur, de planification, de lutte contre les inégalités, d'égalité des chances et de tout un fatras assez délirant maintenant qu'il y repense. Cela n'avait ni queue ni tête, c'était incohérent et indigeste. Maintenant qu'il y pense, il y avait presque une tonalité mussolinenne dans ce discours : tout dans l'état, rien hors de l'état, rien contre l'état. 

Et Jean-Pierre se tait alors, n'ayant plus rien à dire. Je prends un temps de pause et je lui explique que je crois savoir ce dont souffre son fils. Il me regarde un peu inquiet mais je le rassure d'un geste. Je lui explique que son fils est militant socialiste et que tous les symptomes s'expliquent. Cela ressemble à la fois à de la schizophrénie, à un trouble bipolaire et même à de la paranoïa mais ce n'est rien de tout cela. C'est assez courant et cela peut même se soigner avec le temps.

Jean-Pierre pressé de savoir son fils hors de danger me demande alors ce qu'il y a à faire et ce que dit la science de tout cela. Je lui explique alors que les récentes études ont prouve que l'on ne pouvait être intelligent, militant socialiste et de bonne foi : il y a toujours quelque chose en trop. Tel que je le ressens, mais ce n'est qu'intuitif parce que je n'ai pas vu son fils, il me semblerait qu'il soit intelligent et de bonne foi. Je doute alors qu'ils soit réellement socialiste. Je pense que cet accès délirant n'est que passager, c'est une forme de bouffée délirante aiguë, un coup de tonnerre dans un ciel d'été comme l'on dit, qui généralement cela se dissipe et ne revient jamais.

Il veut être sur que j'ai raison, que j'ai bien saisi tout ce qu'il m'a expliqué. Je l'apaise et lui dis que je suis à peu près sur de moi. Que son fils comme bon nombre de jeunes exaltés et un peu sensibles a du être piégé par des manipulateurs de haut vol qui l'ont enrôlé dans une sorte d'escroquerie politique visant à les faire élire. Je lui explique qu'à cet âge là, tout juste sorti de l'adolescence, on est encore malléable, on ne connait pas grand chose de la vie et que si on a des idées sur tout, on a surtout des idées. Que puisque son fils a fini ses études, il va enfin se mettre à travailler vraiment.

Je le rassure définitivement en lui expliquant que j'ai déjà eu plusieurs cas de ce type dans mon cabinet. Généralement au bout de deux ou trois déclarations d'impôt, ils prennent de la distance vis à vis de leurs anciennes croyances. Le réel est toujours le mur sur lequel se fracassent les idées sottes. Même l'URSS a fini par se disloquer vaincue par la réalité. je rajoute que s'il y a les grands système macroéconomiques, il ne faut pas oublier qu'à la base, il n'y a que des êtres humains. Et que rares sont ceux qui ont envie de trimer pour rien. 

Je lui explique ainsi qu'une théorie de la motivation dénommée théorie de l'équité qui fait qu'à un moment on pratique tous un ratio rétribution / contribution que l'on a tendance à comparer à celui des autres. Et dès lors que l'on s'aperçoit que ce ratio tourne en notre défaveur, on commence à en avoir marre de payer tout le temps pour les autres. On devient lucide et on cesse d'être socialiste. Je pourrais lui dresser une longue liste de jeunes qui n'avaient aucun scrupule à bénéficier de l'argent des impôts des autres mais qui ont retrouvé le chemin de la saine logique quand il s'est agi à leur tour de payer pour les autres.

Il me demande alors si moi aussi j'ai été comme cela. Je lui explique alors que non, bien que plutôt généreux et altruiste, je n'ai jamais été socialiste. L'idée d'être généreux avec l'argent des autres m'a toujours semblé d'une tartuferie ignoble et pour tout dire d'une perversité redoutable.Je lui explique que dans mon métier de toute manière c'est important d'avoir un cerveau en bon état si l'on veut être utile aux patients. Il me demande alors combien de temps cela prendra pour que son fils soit guéri définitivement.

Je lui explique que c'est variable mais que je suppose que d'ici deux ou trois ans, il devrait être définitivement vacciné et ne plus être militant socialiste. "Attendez deux ou trois déclaration d'impôt et vous verrez que tout rentrera dans l'ordre. Les gens comme votre fils finissent toujours à l'UMP" lui dis-je sur de moi. Et je conclus l'entretien en lui expliquant que "de la même manière que vous avez rangé votre Fender et coupé vos cheveux, vous verrez que d'ici peu, Thomas mettra au placard ses drôles d'idées".

Il me règle, me remercie et s'en va.

 On pense aujourdhui à la révolution, non comme à une solution desproblèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant derésoudre les problèmes.  »

Simone Weil







14 juin, 2012

Abruti de médecin et pieux mensonges !


Que les mires me pardonnent la brutalité de ce titre ! Qu'ils comprennent que cet éclat n'est du qu'à ma légitime colère du moment à l'encontre d'un des leurs et non au fait que je pourrais nourrir envers cette honorable corporation toute entière le moindre grief. 

Il se trouve que j'ai eu une patiente que j'appréciais qui présentait une tendance dépressive assez continue. Et pourtant, je savais qu'il aurait suffit d'un coup de pouce bien ajusté pour qu'elle bascule du bon côté de la vie, c'est à dire dans la rigolade et la joie de vivre !

Hélas, cette charmante personne avait eu un cancer du sein voici huit ans dont elle était "guérie". Elle est ce que l'on appelle en rémission. Il se trouve que son médecin, l'oncologue comme on dit dans le jargon, au lieu de la tranquilliser, lui a expliqué que l'on n'était jamais vraiment en rémission et que le cancer pouvait revenir à tout moment.

Mon Dieu mais quel con ! Ah, l'aurais je eu en face de moi que je lui aurais dit que c'était le roi des cons. D'une part parce que très logiquement, il a raison bien sur. On ne sait jamais ce qui va nous tomber sur le coin de la gueule et aussi bien qu'un pot de fleurs peut se fracasser sur notre tête et nous tuer, un cancer peut récidiver. Mais si l'on poursuit dans cette logique, on est forcé de se pencher sur les statistiques pour faire la différence entre le possible et le probable. 

S'intéresser au possible est le fait des esprits chagrins, des analysants extrêmes, de ceux qui voient dans la moindre variation, le moindre frémissement, l'amorce d'une tendance de nature à s'inquiéter alors même qu'aucun autre élément ne vient corroborer ceci. Bref, ce sont des cassandres, des oiseaux de mauvaises augures et leur cerveau malade fonctionne à la manière d'un firewall déglingué qui vous collerait des messages d'alerte pour tout et n'importe quoi.  Tenez le texte suivant est dans cette veine alarmiste et stupide puisqu'il vous explique des trucs qui font très peur en vous disant qu'on vous offrira du soutien. Bref on vous met un grand coup dans la gueule d'une main tandis que de l'autre on vous tend un doliprane !

Malheureusement comme ce genre de trous du cul s'accompagnent souvent d'une propension incroyable à la soumission à l'autorité et que ce sont souvent de gros bosseurs (normal ils n'ont pas d'amis et n'ont que cela à faire) ils sont souvent champions pour la réussite des concours et se recrutent en nombre incalculable dans les formations exigeantes. C'est ainsi qu'un modeste QI de 110 s'accompagnant d'une force de travail considérable vous fera réussir vos concours tandis que votre QI de 140 assorti d'un gros poil dans la main vous mènera surement sur les rivages de la désolation et des espoirs déçus puis ensuite au royaume des génies méconnus. Ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent mais les plus obstinés. La palme revient souvent aux boeufs et le Dr House n'est qu'un personnage de fiction ! La tortue de la fable gagne tandis que le lièvre l'a dans le cul et bien profondément !

Finalement intellectuellement, le plus intéressant reste le probable et face à lui, cela vaut le coup de sonner la cloche d'alarme. Tant qu'il s'agit de possible, autant vivre comme tout un chacun avec un bon gros biais d'inférence positif consistant à se dire que les merdes c'est pour les autres et non pour soi. Parce que si une merde nous arrive, au moins on aura bien vécu entre temps. Tandis que dans l'autre version, même si aucune merde ne survient, on aura vécu dans l'attente du drame ce qui n'est pas terrible.

Bref, ce médecin (qui est en fait une femme) est un con(ne). Ce faisant non seulement elle contrevient au serment d'Hippocrate qui dispose "au moins ne pas nuire". Mais au delà de cette philosophie de bistro elle communique à sa patiente des éléments dignes du café du commerce mais ne reposant sur aucune statistiques fiables mais relevant au contraire d'une surgénéralisation inquiétante. Oui, parfois les cancers reviennent on le sait. Mais lesquels, dans quels cas, chez quels types de patients, etc. ? Cela elle ne le communique pas à sa patiente, se contentant simplement de lui refourguer un bon gros stress inutile alors que durant toutes les années suivantes, de toute manière, des examens seront prévus afin de prévenir toute éventuelle récidive.

Alors me direz-vous, mieux vaut donc mentir au patient ? Mais non, que nenni, il ne s'agit pas de mentir mais simplement de fermer sa gueule quand on ne sait pas avec certitude si un évènement va se produire ou non. Si l'on n'est pas un gros boeuf de médecin prenant son métier avec la légèreté clinique d'un ingénieur en mécanique, on peut se contenter de rassurer le patient en lui disant par exemple : "voilà cinq ans sont passés, vous êtes en rémission totale, profitez de la vie et soyez rassurée. Bien sur, on fera des examens tous les ans mais c'est juste une routine". Ce genre de phrase permet d'endormir le stress du patient tout en exerçant une veille intelligente. Parce que les doutes et le stress doivent être réservés au thérapeute et non au patient. Ça fait partie de l'obligation de moyens me semble-t-il.

On respecte l'humanité du patient que l'on prend en charge dans son intégralité tout en restant évidemment concentré sur la pathologie. On fonctionne comme sous Unix en multitâches. Mais on reste adroit, léger, intelligent et ça, ça n'est manifestement pas donné à tout le monde et de gros boeufs, sous prétexte de sérieux et de rigueur, se permettent d'ouvrir leur gueule à tort et à travers. Alors après, le patient stresse et se retrouve dans mon cabinet où je n'ai comme on dit que "ma bite et mon couteau" pour tout viatique ! Quelle source d'influence crédible suis-je pour que ma parole puisse rivaliser avec celle d'une oncologue ! Vous pensez qu'il me suffit de dire à la personne de s'apaiser et "que tout ça c'est que des conneries" pour faire disparaître la sentence menaçante de la femme en blanc qui du haut de son diplôme d'état et de ses fonctions de praticiennes hospitalière d'état aussi me domine de toute sa puissance d'état encore ???

Bon, comme à défaut d'être aussi bosseur que l'oncologue qui me faisait chier, je suis plus malin, j'ai évidemment évité la stratégie consistant à la prendre de face parce qu'un pauvre psy ne fait pas le poids face à une éminente spécialiste. J'ai donc menti comme un gros arracheur de dents, de ceux qui vous disent d'être tranquille et que cela ne fera  pas mal du tout, en gardant leurs tenailles planquées dans le dos. J'ai donc improvisé un discours en jouant une vraie pièce de théâtre !

J'ai dit que je comprenais ce que lui avait dit l'oncologue parce que jouer le fourbe me permettait de me ranger habilement du côté de l'autorité comme si moi aussi je représentais un peu une parcelle de cet état. On appelle cela la similarité et c'est très efficace. Toutefois, après m'être habilement mêlé à la science officielle je suis retourné sur mon terrain de psy discrètement en apportant une nuance. J'ai donc dit que je comprenais son oncologue qui était là pour prévenir le moindre risque mais qu'ayant déjà été confronté au cancer du sein à travers ma pratique, et ayant consulté les statistiques, il me semblait vraiment rarissime et  qu'une récidive soit à envisager dans son cas. Et je rajoutais pour rester ancré dans le réel que certes il était nécessaire de rester sur ses gardes sans pour autant que cette veille ne devienne un état d'alerte perpétuel.

Et là comme je suis du genre imaginatif, j'ai inventé de belles histoires lénifiantes pleines de femmes courageuses s'étant sorties de leur cancer et menant depuis des dizaines d'années des vies géniales. Ceci dit, j'en connais au moins deux pour qui cela s'est passé comme cela alors j'ai pu extrapoler. Et comme je suis évidemment un mec sérieux, j'ai encore souligné la nécessité de se plier au protocole mis en place pour les examens périodiques. Bref je l'ai apaisée tout en respectant la nécessité d'une surveillance. Nulle folle tentant de ma part de bousculer la science officielle surtout dans un domaine dans lequel je ne connais rien mais simplement d'aménager la peine de ma patient.

Si rien n'arrive, grâce à moi elle aura vécu heureuse. Si malheureusement une récidive survenait, la surveillance médicale - espérons-le - permettra d'endiguer le mal avant que l'inéluctable n'arrive mais ... grâce à moi, ma patiente aura tout de même vécu des années apaisées entre son cancer et l'éventuelle récidive. Bref, je reste gagnant à tous les points de vue. 

J'ai menti, ce n'est pas beau et c'est pour la bonne cause. Grâce à moi, on n'envisage pas le pire et s'il survient malheureusement on est averti tout de même.

D'ailleurs ai-je menti ? Non, je n'ai pas menti. J'ai juste fait passer le message logique expliquant que le possible n'est pas le probable d'une manière différente. Parfois, pour être efficace, il faut savoir raconter de belles histoires même aux adultes !

D'ailleurs, cette femme est toujours en vie deux ans après, je l'ai eue au téléphone voici peu ! Longue vie à elle !

08 juin, 2012

Ducati vs XlS 500 et incarnation !


Voici quelques temps, Lapinou qui est devenu motard tentait de me convaincre d'acheter une Ducati Panigale, une sorte de monstre de 195cv limitée à 315km/h en vitesse de pointe pour la bonne raison qu'aucun constructeur de pneus ne sait offrir une monte permettant de dépasser cette vitesse à moto sur route.

Moi je lui ai répondu que je la trouvais jolie mais qu'assis dessus, j'aurais l'air d'un con, un peu comme ces quinquagénaires issus de grandes écoles et occupant de hautes fonctions qui s'offrent une Harley-Davidson. Ce qu'achète simplement l'argent n'a véritablement aucune valeur à moins que cela ne corresponde à une tentative désespérée d'exister en comblant de gros complexes.

L'idée d'être un fake, de sombrer dans le narcissisme le plus puéril ne m'enchante pas. Je suis trop vieux pour poser mon cul sur une Ducati en imaginant que je vais avoir l'air d'un mec sportif. Non, comme je le disais à Lapinou, moi ce que j'aime ce sont les gros trails et encore les vieux gros trails. Le genre XT500 me plait beaucoup, bien que je lui préfère encore la bonne vieille 500XLS sa concurrente malheureuse qui n'aura jamais réussi à la détrôner du podium. C'est tout moi ça, ma sensibilité me joue des tours même avec les bécanes. Je suis capable de détourner les yeux de la belle Yamaha pour me concentrer sur la Honda mal-aimée. 

Et puis, j'ai peur de la vitesse. Ce n'est pas du tout mon truc. Pour tout vous dire, la dernière fois que j'ai trouvé que je roulais un peu vite en ville, j'ai regardé mon compteur et j'étais à soixante-dix kilomètres/heure ! Bon certes, c'était sur une portion limitée à trente mais tout de même, ce n'était pas l'approche du mur du son. Je crois être une sorte de gros bovidé placide alors ce qui me convient c'est un "gromono" qui a suffisamment la pêche pour me propulser à cent-trente sur autoroute mais certainement pas une bombe qui lève à chaque rapport ! Je dois admettre que je suis une sorte de Gringeot civilisé et rien d'autre et en aucun cas le rival de Giacomo Agostini

D'ailleurs depuis que j'ai admis cela, j'ai tendance à ne fréquenter que des gens cools et sympathiques et les concours de bites m'ennuient. J'aime bien fréquenter des gens qui connaissent leurs limites et leurs points forts, on fait le tour d'eux-mêmes et dont l'envers est identique à l'endroit. D'ailleurs récemment, le seul coup de gueule, et encore fut-il timoré, a été à l'encontre d'une personne, d'un gentil qui aime à se faire passer pour un méchant. Si j'accepte l'immaturité psycho-affective dans mon cabinet, elle m'ennuie prodigieusement dans l'intimité. Le côté cubique du Gringeot est rassurant à la longue. 

Tenez, un autre truc, souvenez-vous de mon éditrice à qui je n'ai d'ailleurs donné aucune nouvelles ! Plus jeune, j'aurais été capable de danser sur son bureau avec une plume dans le cul rien que pour avoir l'insigne honneur d'être édité dans une maison aussi prestigieuse. Et là, j'ai juste fait un rapport coût / bénéfice pour me dire que j'allais vraiment me faire chier pour pas grand chose. Bon, j'aurais pondu un livre avec mon nom sur la tranche au dessus de leur logo prestigieux et je me serais fait dix-mille euros dans le meilleurs des cas, et alors ? Mon livre ce serait retrouvé dans un bac de solde deux ans après pour finir ensuite dans une caisse en plastique sur l'étal d'un improbable vide-grenier à moins qu'il n'ait servi à caler une armoire bancale. Bonjour la gloire !

C'est ma manière de m'incarner; Récemment, je demandais à un jeune ingénieur très brillant de me faire un texte dans lequel il se présenterait. Et j'ai eu le droit à un texte désespérant d'une vingtaine de lignes ne présentant que des informations factuelles digne de l'état civil ou encore d'un gamin à qui son instit' demanderait de remplir une fiche : il ne manquait que le nom de son animal familier du genre Bouboule mon cochon d'inde !

C'est marrant parce que je me suis amusé à faire le même exercice que lui et moi sur ma fiche, j'avais juste mis "gros garçon surprenant". C'était ma manière à moi de m'incarner en présentant mes points faibles, passivité, placidité, fainéantise, tout en m'assurant de mes points forts, vivacité d'esprit, intelligence et sensibilité. Bref, je peux avoir l'air d'un gros con mais je ne le suis pas. Je crois que j'aime bien cette définition. Elle me correspond, je m'y incarne pleinement. Quand je me flatte je me dis que j'ai un côté Orson Welles, enfin sauf que le cinéma le fait un peu chier et surtout le sien. Parce que pour m'être tapé Citizen kane et son lancinant Rosebud, La dame de Shangaï et la fin avec les miroirs cassés ou encore La soif du mal avec son interminable traveling du début, je n'ai pas été enthousiasmé. Mais bon, il a fait ce qu'il a voulu, il était passionné et aimait bien bouffer, cela nous fait pas mal de points communs.

A propos d'incarnation, un freudien vous dirait qu'il faut renoncer au moi idéal pour se plonger dans les délices de l'idéal du moi qui n'a rien à voir avec le surmoi. Vous noterez au passage que j'ai tout de même des rudiments sérieux de freudisme bien qu'il m'emmerde le père Sigmund. Bon tout cela est assez vrai mais ça reste mécanique, c'est un boulot de tâcheron analysant, de petit médecin déterminé à pondre une théorie qui le rendrait célèbre.

Bien avant lui, Saint Austin édictait son célèbre "aime et fais ce que veux" qui d'une manière lapidaire expliquait ce que l'on pouvait foutre sur terre en insistant à la fois sur la nécessaire coopération avec nos congénères (aime) tout en n'oubliant pas de nous faire plaisir (fais ce que veux). Plus tard, le bon Rabelais nous explique dans Gargantua qu'il pourrait existe une abbaye de Thélème dans laquelle, plutôt que de se conformer aux règles strictes d'un ordre monastique culpabilisateur, le seul mot d'ordre serait "fais ce que voudras". 

Sauf qu'à défaut de faire ce que l'on veut de manière erratique en luttant contre soi pour tenter de devenir celui que l'on n'est pas, il s'agit juste de tellement se laisser aller que la volonté divine, ce thélème dont on parle dans le nouveau testament, se manifestera chez l'homme sans qu'aucune raison n'intervienne. Bref il ne s'agit pas de vouloir envers et contre tous mais juste de vouloir ce que la nature veut pour nous, de nous laisser gagner par une sorte d'instance supérieure qui fasse qu'à un moment, quelques soient nos défauts (je ne parle pas de tares ou de vices bien sur), on se sente suffisamment bien pour se dire qu'on est à sa juste place. Ce n'est que la volonté humaine du mystique, un truc bien compliqué qui se vit et que j'aurais bien du mal à expliquer par des mots. Le truc qui une fois que vous l'avez chevillé au corps vous fait vous dire que cela ne vaut pas la peine de se casser le cul pour être édité parce que justement ce que l'on aime, ce pour quoi on est fait, s'accomplit toujours sans vraiment d'efforts.

Tout récemment, j'avais avec un de mes chers patients une discussion sur ce sujet, je lui disais qu'il souffrait parce qu'il ne voulait pas s'incarner. Il se rêvait peintre de talent ou encore rock star adulée alors que dans les deux disciplines, je ne suis pas sur qu'il aurait eu le succès escompté. En revanche, il écrit fort bien, je l'ai noté. Il a un beau brin de plume et je ne doute pas qu'en travaillant un tout petit peu, il aurait pu devenir un écrivain estimé. Je suis sur que son registre parfait serait celui d'écrivain pour minettes, une sorte de Guillaume Musso ou de Marc Lévy mais en bien mieux. 

Peut-être serait-il aujourd'hui une sorte de Françoise Sagan au masculin pourvu qu'il cesse de se lamenter de ne pas être celui qu'il voudrait être pour se laisser saisir par son thélème justement en laissant libre court à son dandysme naturel. En plaisantant avec lui, je lui disais que s'il s'était vraiment laissé aller, s'il avait oublié ces combats d'arrière-garde perdus d'avance, il aurait pu lui aussi écrire une phrase du genre "Elle était belle.  Elle était intelligente. Elle aimait Mozart, Bach, les Beatles et moi" voire carrément lui aussi donner dans les sentences philosophiques lourdes de sens en balançant un "l'amour c'est ne jamais avoir à se dire qu'on est désolé". Bref, ce serai un Erich Segal version 2000 à la française, il aurait vendu des millions de livres, fait vendre des millions de kleenex pour essuyer les larmes des filles toutes les  gonzesses seraient folles de lui.

Mais non, ce crétin (c'est affectueux) s'ingénie à travailler contre lui un peu comme si je m'achetais cette Ducati Panigale en espérant qu'elle me conférera l'aura du gentleman driver comme si j'étais Barry Sheene  ou Graham Hill ! De frustration en frustration, sa vie se délite et il vivote. On sent son potentiel et on attend qu'un jour il le concrétise. Le pire est qu'il sait tout cela, que c'est le genre de type, dont je suppose qu'il m'aime bien (allez savoir car il est un peu froid) mais à qui je ne ferai jamais aucune révélation sur lui-même vu qu'il a eu vingt ans pour se regarder le nombril.

Peut-être que justement la seule fois où j'ai réussi à le toucher, c'est lorsque je lui ai dit qu'il devrait s'incarner pour être heureux et cesser de vivre de ce monde où il se fantasme sans qu'il ne traduise rien de tout cela dans la réalité. Et cette fois-ci encore, il a eu le mot de la fin avec une formule lapidaire. Il m'a expliqué qu'il savait ce que je lui disais depuis vingt ans et que j'avais entièrement raison que finalement ce dont il souffrait ce n'était que cela. Mais il a aussitôt rajouté : "je sais qu'en m'incarnant, je devrais en passer par une grande humiliation et je ne suis pas prêt pour cela".

Putain quelle belle phrase pleine de sagesse ! On savait, tant la phrase a été rabachée que "choisir c'est renoncer" on sait maintenant que "s'incarner c'est accepter l'humiliation". Mais de quelle humiliation parle-t-on ? De renoncer à n'être qu'un petit narcisse des temps modernes, une forme de Narcisse anxieux ne correspondant pas aux canons médiatiques pour n'être que soi-même mais heureux.

C'est amusant parce qu'on pensait que Loft Story ce n'était qu'à la télé et on appelait cela de la télé-réalité. Loft story, c'est vraiment dans toutes les têtes dès lors que l'on vit sous la dépendance du jugement d'autrui. En définitive pour être heureux, il faut que s'accomplisse quelque chose qui nous dépasse, "que ton règne vienne et que ta volonté s'accomplisse" (Mt 6:10).

Voilà, c'est la fin de ma demie-heure mystique et je redescends sur terre. Pour conclure, non pas une citation pompeuse mais une belle vidéo présentant la bonne vieille XLS 500 qui a une sacrée gueule en plus d'être fiable, increvable, raisonnable et adaptable. Si je deviens animiste, je me réincarnerai en Honda 500 XLS. Vous voyez que j'ai des ambitions modestes et que je ne crains plus d'accepter ce que d'aucun appelerait l'humiliation pour m'incarner fut-ce en moto !

01 juin, 2012

Tour d'ivoire et incanartion !




Voici quelques temps, c'est un père inquiet qui se présente à mon cabinet pour me parler de son fils qui l'inquiète terriblement. Il est tombé voici quelques temps sur l'un de mes articles concernant le prétendu syndrome de Peter Pan et s'est longuement demandé si il devait ou non venir me voir. Ma prose ne l'a pas choqué mais lorsqu'il a fait lire le texte à son épouse, elle n'a pas été de son avis. Et puis, faute de meilleure solution envisageable, il s'est décidé à venir me voir pour me parler de ses soucis.

Son fils, diplômé d'une grande école ne fait pas grand chose de sa vie, du moins dans le sens où l'entendent les gens intégrés, et ses parents sont très inquiets. Il occupait un emploi faiblement qualifié, du moins très largement en-deçà de ses capacités, qu'il a récemment perdu. Depuis, il sort peu et ne semble pas pressé de retrouver une activité. Ni le père ni la mère ne sont capables de l'aider. Ils le sentent un peu "à l'ouest" et tandis que madame reste accrochée à son idée de syndrome de Peter Pan, monsieur se perd en conjectures en estimant que la solution pourrait être plus complexe.

Le fils a déjà vu des confrères depuis des années mais aucun ne l'a véritablement aidé. N'ayant pas vu le gaillard, je me contente de poser des questions au père pour tenter de circonscrire ce dont pourrait souffrir le fils. Alors j'envisage le "pire" comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires qui expliqueraient tout pour finalement les écarter. S'il suffisait d'être un peu "hors normes" ou "légèrement barré" pour s'inscrire dans ces pathologies, il faudrait psychiatriser une bonne fraction de l'humanité. Et puis, des psychiatres sont déjà passés avant moi et n'auraient sans doute pas manqué de le diagnostiquer. Le père est rassuré et je continue à poser des questions plus ciblées. J'apprends ainsi que c'est un excellent musicien.


Au bout d'une vingtaine de minutes, j'explique au père que son fil m'a tout l'air d'être une sorte de petit génie, un surdoué assez classique, un haut potentiel comme on dirait aujourd'hui. Je poursuis en expliquant que cela s'accompagne souvent d'une grande sensibilité difficile à assumer et à canaliser. Je l'imagine juste "paumé" et incapable d'assumer cette dualité entre sa rigueur scientifique et cette grande sensibilité comme s'il devait à tout prix choisir entre l'une et l'autre sans jamais trouver le moyen de les vivre ensemble. J'imagine que le tout s'accompagne d'une sorte d'immaturité psycho-affective assorti d'un orgueil un peu enfantin consistant à se dire que puisque le monde ne peut pas l'accepter tel qu'il se ressent, il refusera le monde tel qu'il est.


Je suis persuadé de ce que j'avance et j'attends du père qu'il tente maintenant de m'amener son fils. Je lui explique que le "cas" ne me semble pas impossible à traiter, loin de là, mais que je n'aurais qu'une chance de "l'accrocher" pas deux. Qu'au cours de notre première consultation, soit j'obtiens une bonne alliance thérapeutique soit ce sera raté et il ne viendra plus me voir. Soit je suis l'homme de la situation et il le sentira, soit je rate mon coup et il me rejettera comme étant celui qui n'a encore une fois rien compris comme tous les autres psys qu'il méprise et restera muré dans sa solitude.


Trois semaines après, je reçois enfin le fils, amené un peu contre sa volonté par le père. C'est pour moi le cas le plus compliqué dans la mesure où je perçois qu'il est là pour faire plaisir à papa et non de sa propre initiative. Il me serre la main mollement je sens déjà son attitude de défi qui consiste à communiquer sans le dire ouvertement : "alors c'est toi le mec qui prétend tout comprendre de moi alors que je suis si complexe que je n'y parviens moi-même qu'à grand-peine". Comme j'en ai vu d'autres, je laisse faire et la situation m'amuse plutôt. C'est pour moi aussi une sorte de défi que je suis prêt à relever. Et puis j'ai tant ouvert ma gueule sur ce blog que je dois me montrer à la hauteur des espérances que le père a placé en moi. 


Il s'assied et je prépare deux cafés, l'air de rien. Je reviens et il me raconte un peu sa vie de manière très brève parce que comme il me le dit, il en a marre de toujours répéter les mêmes choses à des gens qui ne comprennent rien. Je le rassure immédiatement en lui assurant que je suis le mec capable de tout comprendre et que je comprends même si bien que sans l'avoir vu, je l'avais déjà profilé et rangé bien au chaud dans une petite boîte dans mon cerveau et que je sais qu'au cours de notre entrevue, je n'apprendrai rien que je ne sache déjà si ce n'est des détails. 

Cela le désarçonne un peu et il me demande comment j'aurais pu faire sans l'avoir vu ni entendu. Je lui explique que ça ce sont mes petits secrets mais qu'en substance, les gens sont désespérément prévisibles. Il ne s'agit pas pour moi d'être méchant et encore moins d'entrer en rivalité mais simplement de lui démontrer qu'il existe, pour lui qui pensait tout maîtriser, des zones d'incertitudes de manière à le déstabiliser gentiment. Le fait qu'il connaisse ma profession n'entraîne pas le fait qu'il connaisse tout de moi.

Il continue à me parler de lui même si tout dans son attitude pue le défi, le repli sur soi, et démontre l'absolu manque de confiance qu'il a en moi. Manque de pot, j'ai suffisamment confiance en moi pour ne pas tomber dans son piège grossier. Il voudrait me lasser, me donner à penser qu'il est hérissé de défenses, entouré d'une muraille infranchissable mais moi je m'en moque, je tourne autour afin de débusquer une faille, une poterne mal refermée, une fissure dans les pierres ou quoique que ce soit qui me permettra de rentrer.

Ce sera finalement la musique. Il est passionné de musique et joue très bien d'un instrument. Il m'en parle donc mais avec cette distance un peu méprisante qu'il affecte comme s'il tentait de bien me montrer que je ne suis qu'un crétin avec qui il ne perdra pas son temps à tenter de lier le moindre lien. Je me laisse faire, je le fais parler en ayant l'air de l'élève qui écouterait un cours donné par un génie. Il connaît bien son affaire mais en fait évidemment des tonnes et des tonnes comme s'il ne trouvait pas les mots pour communiquer avec un abruti tel que moi.

Comme j'ai étudié l'harmonie en mon jeune temps et que j'ai quelques restes, je le contredis sur un point de détail en lui parlant des modes. Là où il me vante quelque chose d'exceptionnel dans une pièce, je lui réponds que je ne vois que du
phrygien espagnol bien exécuté. Ma réflexion le désarçonne parce que cela insinue le doute en lui. il sent qu'il n'est pas forcément le plus fort ou du moins que le combat sera plus compliqué qu'il ne l'a imaginé. Et puis, lui qui fonctionnait avec un stéréotype bien arrêté du psy, il ne sait sans doute plus dans quelle catégorie me ranger. Je n'ai pas psychologisé une fois, bien au contraire, et j'ai parlé de musique avec lui. J'ai doucement pris Narcisse par la nuque pour l'empêcher de mirer son reflet et le forcer à s'intéresser à un autre que lui-même.

Il s'humanise alors un peu tout en gardant tout de même une certaine distance pour ne pas écorner son orgueil. Il préférerait sans doute crever plutôt que d'admettre que je puisse avoir quelques qualités. Il est venu en se disant que je serais le énième à ne rien comprendre à ce qu'il est et il tient à avoir raison. Je le laisse faire pour ne pas le braquer. Je lui reconnais toutefois une intelligence réelle et une sensibilité hors du commun. Toutefois, le tout forme un ensemble brouillon, mal défini, sans contours réels, imprécis, cahotant comme un moteur qui n'aurait pas tourné depuis longtemps.

La séance prend fin et je lui confie alors ce que je pense de lui et ce que l'on pourrait entreprendre. Il m'écoute froidement. Je lui demande alors ce qu'il a pensé de notre entrevue. Du bout des lèvres, il admet que je connais assez bien la musique et que le contact a été correct. Et il poursuit ainsi en jugeant ma prestation. On croirait un professeur en train de noter un élève gentil mais laborieux à qui il va mettre un onze sur vingt pour l'encourager à poursuivre ses efforts : un point de plus que la moyenne !

Je lui demande s'il souhaite que l'on se revoie. Il ne sait pas. Alors, je lui assène un petit coup sur la tête en lui disant que je le comprends parce que pour le moment je crois qu'il n'a pas le niveau pour entreprendre une thérapie avec moi, qu'il serait trop dans la confrontation et que chaque séance serait pour lui une épreuve terrible pour son orgueil parce qu'il perdrait sont temps semaine après semaine à engager un combat dont je ne veux pas.

Je poursuis en lui disant en substance de réfléchir et que s'il accepte de descendre de son piédestal, du moins de quelques marches, de sortir de son splendide isolement et de quitter sa tour d'ivoire, je pense que nous ferons du bon travail. Je lui explique encore qu'il va falloir qu'il s'incarne, qu'il accepte d'admettre qu'il n'est ni le géant de ses rêves ni le nain de ses cauchemars, qu'il va sans doute devoir se confronter au réel. Et je poursuis en lui expliquant que tant qu'il n'aura pas réalisé cela, qu'il n'aura pas fait, ne serait-ce qu'une minuscule prise de conscience, il me verra uniquement comme son ennemi chargé de le jeter hors de son paradis enfantin. Enfin, je conclus en lui expliquant que tant qu'il restera muré dans son orgueil de
narcisse anxieux, l'alliance thérapeutique sera impossible et qu'il perdrait son temps et son argent. Je me lève alors, il me règle mes honoraires et je lui serre la main.

Trois semaines après, il me rappelle pour me demander un rendez-vous que j'accepte de lui donner. Si je sais que la partie n'est pas encore gagnée, elle s'engage mieux. Effectivement, malgré une froideur parfois un peu exagérée, je sens que le courant passe un peu. Il s'ouvre peu à peu et de mon côté je prends bien soin de réduire la voilure pour rester un peu neutre. 



On se revoit encore trois fois puis il décide de ne pas revenir en m'expliquant qu'il me rappellera dans un mois. Je ne sais pas si j'ai définitivement perdu le contact ou s'il reviendra vraiment. Durant nos séances, je l'ai parfois vu sourire et plaisanter. Je l'ai aussi vu prendre du recul vis à vis de lui même et parfois se considérer avec humour. J'ose imaginer qu'un lien, aussi ténu soit-il s'est établi entre nous. A vrai dire, je n'en sais rien. J'attends là, à la lisière de la forêt sans faire de bruit au cas où il déciderait de se montrer de nouveau.

J'ai l'impression de me tenir quelque part, la main tendue tenant une friandise en tentant d'apprivoiser un animal sauvage. Parfois avant la thérapie proprement dite, commence la phase de domestication. Parfois la thérapie ne consiste qu'en cette domestication qui une fois effectuée, permettra à la personne de se sentir heureuse au milieu des autres.