Voici bien des années, tandis que j'abandonnais ma profession de juriste pour me tourner vers la profession qui est maintenant la mienne, j'avais été averti qu'il existait une formation de "gestion de crises". Je m'étais alors renseigné parce que le sujet m'intéressait grandement. Je m'étais toujours demandé, face à des situations d'urgence, comment devaient être prises les décisions.
C'était une formation d'excellent niveau mais le coût prohibitif m'avait empêché de m'y inscrire. A l'époque, j'avais d'autres chats à fouetter. J'aurais pu le cas échéant taxer mon père mais je n'avais de toute manière pas le temps nécessaire à consacrer à cette formation. Parfois je le regrette. Si je suis d'une médiocrité affligeante dans tous les domaines normaux de la vie, heureusement secondé par mon épouse, je suis plutôt bon pour les urgences et les catastrophes. Tandis que je peux paniquer à l'idée de changer de banque ou de fournisseur de téléphone, je sais rester calme dans des situations plus compliquées.
C'est pour cela que le confit actuel opposant la CGT au gouvernement, au sujet de la loi El Khomri, m'amusait. Non que je veuille prendre partie, étant donné que mes inclinations naturelles ne me portent ni vers l'archéo-stalinisme et encore moins vers le socialisme réaliste. Je suis donc les nouvelles, toutes plus affligeantes les unes que les autres, avec l’œil de l'entomologiste observant le combat titanesque entre une mante religieuse et un bousier.
Je me suis donc imaginé conseillant mon ami Manuel Valls. Preuve étant que je ne suis pas rancunier vu qu'il m'a viré à deux ou trois reprises de Facebook. Grand bien lui fasse puisque de toute manière, je ne mets que très rarement les pieds sur ce réseau social. Mais peu importe, me voici dans le cabinet du premier ministre, tel un diplômé de l'ENA chargé de conseiller le chef du gouvernement quant à la marche à suivre pour régler ce bras de fer avec la CGT alors que les préavis de grève ne cessent de s'amonceler. Raffineries, transports, gestion des déchets, etc., tous les secteurs stratégiques semblent vouloir s’arrêter en même temps obéissant au mot d'ordre de Philippe Martinez, le nouveau responsable de la CGT.
Et donc ? Est-ce si grave ? Je pense que non. Comme l'explique fort bien
cet article, les civils se concentrent sur la puissance de feu, les soldats sur la logistique". Et c'est sans doute la clé du problème permettant de sortir de cet affrontement. Voici donc les concurrents en lice :
Ainsi, à ma gauche voici la CGT et sa grande puissance de feu. Comme au bon vieux temps du communisme, ce syndicat en perte de vitesse ne doit sa survie qu'à son maintien dans les secteurs stratégiques, énergie, transports, etc. C'est très malin de leur part puisqu'avec un nombre très réduit de syndiqués, la CGT possède une capacité de nuisance maximale. Chacune des actions entreprises par la CGT résonne comme un coup de tonnerre. Par exemple, comme on vient de le voir, un mot d'ordre et les raffineries s'arrêtent, transformant le plein d'essence en un parcours du combattant.
Bref, nul ne songerait à se moquer de la puissance de feu de la CGT. En revanche, c'est par la logistique qu'elle pèche. Dans la mesure où elle représente essentiellement des personnes à bas salaires, la grève ne peut être maintenue très longtemps sans risques économiques importants pour ces personnes. Ils ont donc des fusils mais peu de cartouches. De plus, c'est par l'utilisation de piquets de grève, interdits par la loi, que ces actions trouvent le succès. Qu'une compagnie de CRS arrive et le piquet saute. C'est aussi simple que cela.
Ajoutons aux faiblesses de la CGT, le fait qu'elle perde régulièrement des adhérents et ne présentent pas une image très sexy auprès des salariés désireux de se syndiquer. si l'on songe au local syndical CGt, on s'attend presque à y trouver la photo de Maurice Thorez et la
ronéotypeuse ! D'ailleurs lorsque la CGT du livre a bloqué la parution des quotidiens, seule L'humanité a paru ! Complètement déconnectée des réalités, la CGT est prise en étau entre des syndicats classiques plus au fait des réalités économiques, comme la CFDT, mais aussi sur sa gauche par d'autres organisations plus enclines à attirer les jeunes comme SUD ou la CNT.
On peut donc légitimement se demander si la loi El Khomri ne serait pas un simple prétexte pour que la CGT puisse rouler des épaules et manifester sa puissance par peur de la perdre. Or comme il est bien connu que des personnes mortes ont manifesté la veille de leur décès une recrudescence d'activité, on peut analyser cette agitation syndicale par la volonté de la vieille centrale de ne pas mourir alors que chacun sait que ses jours sont comptés. D'ailleurs, avec un budget dans lequel les cotisations des adhérents ne représentent même pas cinq pour cent du total, la CGT est-elle encore
un syndicat de travailleurs ? Sans doute qu'avant d'être ensevelis par les fosses à bitume, les mammouths de
La Brea ont il barri aussi fort que la CGT hurle aujourd'hui !
Ainsi, si la puissance de feu de la CGT est réelle, elle n'a aucune capacité logistique ni en termes financiers, car une grève coûte cher à maintenir, ni même en termes de soutiens. Car si au début, les opposants à la loi el Khomri ont pu soutenir la stratégie de la CGT, nul doute qu'après des heures à patienter pour faire un plein d'essence, les annulations de vols ou de trains et pire, le naufrage de l'Euro de football, les rats quittent le navire, ulcérés d'être ainsi pris en otages.
A ma droite voici Manuel Valls et son gouvernement de bras-cassés. Avec une cote de popularité de seulement
24%, on ne peut pas dire que notre premier ministre soit le chouchou des sondages. A ce niveau de médiocrité, s'il recule devant la CGT comme en son temps Alain Juppé, il ne lui reste qu'à présenter la démission de son gouvernement et c'en est fini de ses ambitions politiques avant longtemps. Compte-tenu de la personnalité du premier ministre, homme fier et orgueilleux, je ne l'imagine pas céder face à Philippe Martinez. C'est une qualité comme un défaut si l'on se souvient de la fable du
Chêne et du roseau.
Symbole du fin de règne qui s'apparente à un naufrage, on pourrait douter de la puissance de feu de Manuel Valls que l'on imagine presque acculé dans son palais tandis que les émeutes font rare au dehors. Ce serait oublier qu'il a récemment triomphé de
Nuit debout, ce mouvement que d'aucuns voyaient essaimer partout en France puis dans le monde et
qui a pris fin, ne laissant subsister que quelques marginaux et autres hurluberlus Place de la République. De la même manière, la présence permanente de casseurs venus en découdre aura eu raison des manifestations qui se sont succédées depuis quelques temps. D'ailleurs les chiffres du nombre de participants à ces manifestations sur toute la France sont plus que médiocres.
Rajoutons qu'en temps que premier ministre, Manuel Valls a le monopole de la violence puisque les forces de l'ordre lui obéissent, l'armée obéissant au Président de la République qui le soutient.Qu'il s'agisse de briser des piquets de grève, voire de réquisitionner du personnel pour les secteurs stratégiques, Manuel Valls peut utiliser des mesures de rétorsion tout à fait légales. Il dispose aussi de moyens financiers quasi-illimités et n'est donc pas soumis au même temps que son adversaire qui doit frapper fort et très vite.
Dans la même mesure, il peut aussi compter sur l'approbation des citoyens qui lassés des conséquences économiques encourues du fait des actions de la CGT pourrait se retourner facilement et faire de Manuel Valls son sauveur. N'oublions pas que l'opinion est changeante. Que des matches de football soient annulés, que des personnes soient mises au chômage du fait de ces grèves et la CGT deviendra rapidement le bourreau de la situation. Gageons aussi que la presse gavées de subventions étatiques saura se mettre du bon côté le moment venu s'il fallait faire un choix entre Valls et Martinez. Pour cela, regardez
Apolline de Malherbe sur BFM ou
Audrey Pulvar sur Itélé et vous aurez un bon point de repère de la presse
mainstream.
En bref, à la table de poker, on a donc la CGT et son brelan qui n'aura l'occasion de ne jouer qu'une fois tandis que le gouvernement peut recaver autant de fois qu'il le souhaite. C'est l'enfant qui pique sa crise face au parent. Je conseillerais donc vivement à Manuel Valls de tenir aussi bon que Miss Thatcher en son temps. Le temps joue pour lui.
Je lui conseillerais aussi à titre de dédommagement et pour faire croire à Philippe Martinez qu'il n'a pas entièrement perdu la face de lui accorder deux ou trois hochets de manière à ce qu'il rejoigne ses troupes le lendemain de sa cuisante défaite en persuadant ses adhérents qu'il a obtenu gain de cause.
La CGT n'en finit pas de mourir. Ceci dit je dis ça, je ne dis rien. Je ne suis conseiller de personne et je m'amuse comme une gamine qui jouerait à la marchande à faire comme si. De plus étant en profession libérale, la loi el Khomri ne me concerne même pas !
Peut-être que dans deux semaines, de vieux cégétistes hirsutes se promèneront dans les rues de Paris avec la tête de Manuel Valls au bout d'une pique ?
Je m'en fous, mes voitures ont le plein d'essence, j'ai des poules et les placards regorgent de provisions. J'ai de quoi tenir un siège. Et si je me débrouille, je peux aller fouiller dans la cave chez mon père et retrouver ma carabine à plombs Diana de quand j'étais petit !
Qu'ils y viennent un peu voir !