Elections américaines et angoisse !
C'est assez drôle car durant des décennies que je me suis moqué des élections américaines. Sans doute, y avait-il un impact réel entre le choix du président américain et ma vie, mais à l'instar de la plupart des français, je n'y faisais pas plus attention que cela. Je me bornais à connaitre le nom de l'élu et puis c'est tout. Bien que né sous le mandat de Johnson, je n'ai connu véritablement leur nom que depuis Gérald Ford. Je suis allé pour la première fois aux États-Unis sous le mandat de Carter, le marchand de cacahuètes puis une seconde fois sous celui de Reagan, l'acteur de séries B. J'ai de vagues souvenirs du premier durant la crise iranienne et un peu du second que l'on accusait d'être un acteur idiot.
Cette fois-ci c'était différent, c'était Trump contre Clinton et j'étais très nettement pour le premier et contre la seconde. Pourquoi ? Oh simplement parce que les rodomontades de vieux généraux américains à l'encontre de Poutine commençaient à me faire un peu peur et que je préfère la paix à la guerre. Trump promettait l'apaisement et je trouvais cela bien. Et puis, autant l'avouer, Hilary Clinton étant la candidate mainstream choisie par les médias et l'establishment, cela m'amusait d'être contre. C'est toujours amusant de voir le visage défait d'un journaliste de BFM qui se prend la réalité de face comme un train, surtout quand il était persuadé de la justesse de ses analyses et de ses prédictions. C'est un peu bête je l'avoue mais bon, quand on est né vieux comme moi, on pense à l'éternité depuis trop longtemps pour se laisser accaparer par ces bêtises.
En outre, je soutenais Trump parce que c'est un vrai promouvant et que cela m'amusait que l'on donne pour une fois sa chance à un mec un peu comme moi. C'est vrai, nous les promouvants, dans un monde régi essentiellement par les concours et l'excès de contrôle, un monde dans lequel on révère plus la constance que les coups d'éclat, nous n'avons plus vraiment de place. Au mieux, on échoue à des postes subalternes, au pire on nous taxe de TADAH pendant qu'on ronge notre frein en silence, encaissant notre déclassement, laissant nos épées se rouiller dans leurs fourreaux, ressassant notre rancœur envers ce monde fait pour les pisse-froids.
Ceci dit, n'ayant pas plus que cela suivi la campagne j'aurais été bien en peine de savoir qui allait gagner de Donald ou d'Hilary. Tous les médias la donnaient gagnante et n'ayant pas d'éléments en ma possession pour me faire une idée personnelle, je ne pouvais que me dire qu'elle allait effectivement gagner. Je m'étais fait à cette idée, ne nourrissant sur la fin qu'un mince espoir de voir mon champion triompher. C'est donc un point important de l'angoisse, puisque vous en conviendrez, en l'absence de données fiables, il est bien difficile de savoir si c'est l'événement A ou B qui va survenir.
Comme le disait un confrère américain, la meilleure image de l'angoisse qu'il donnait à ses patients, c'était de leur expliquer la manière dont conduisait sa mère, fort mauvaise conductrice, avec un pied sur l'accélérateur et un autre sur le frein ! Un coup j'y vais, un coup je n'y vais plus. Être anxieux c'est ne pas pouvoir choisir ou décider ou même accepter que ce sera A plutôt que B ou l’inverse. C'est être comme l'on dit trivialement, "être assis le cul entre deux chaises". D'ailleurs on peut imaginer l'angoisse comme étant un système d'alarme qui sonnerait tant que l'on n'a pas choisi une chaise ou l'autre, A ou B ! En termes de souffrance, si le deuil fait mal au moins peut on espérer qu'il ait une fin tandis que l'angoisse n'en a jamais. Si un deuil bien mené conduit à l'acceptation, une angoisse laissée libre conduit à la crise paroxystique ou au trouble anxieux généralisé.
Ainsi, s'agissant des élections américaines, je préférais Trump que Clinton mais ne disposais personnellement d'aucun élément me permettant soit d'espérer soit de faire mon deuil. Fort heureusement, je possède dans ma clientèle des individus surprenants capables de deviner les choses assurément. Comment ? Je n'en ai aucune idée. Toujours est-il que moi, le capricorne sérieux toujours les deux pieds sur terre, je ne dispose par de leurs antennes capables de telles intuitions. Moi, tout ce que je peux faire, c'est de saisir des informations parfois ténues et de les mettre en équation. Pour cela, je suis très fort, vraiment. Je suis un très bon profileur. En revanche, je suis dépourvu d'intuition. Eux non, bien au contraire.
L'une, âgée de trente-six ans, que je surnommerai la sorcière et l'autre, âgé de quarante-cinq ans que je surnommerai le devin, m'avaient assuré dès les primaires républicaines que ce serait Trump qui en sortirait vainqueur alors même qu'on le plaçait comme outsider. Et force est de constater qu'ils avaient raison. Comment l'ont-ils sur, je n'en sais fichtre rien et sans doute qu'eux non plus même si après coup, ils ont tenté d'intellectualiser leur démarche. Dans les faits, l'un et l'autre avaient plus ou moins deviné que ce serait Trump qui sortirait le vainqueur de ces primaires, rien de plus.
Puis vinrent les élections proprement dites avec leur lot de rebondissements et de révélations crapoteuses. On avait Trump le sexiste un peu dégueulasse contre Hilary la magouilleuse même si d'après les médias, cette dernière n'était jamais présentée de cette manière mais plutôt comme une sorte de sainte intouchable sous peine d'être taxé de "populisme". Encore une fois, je n'avais aucun élément en ma faveur pour savoir qui gagnerait.
Le soir des élections américaines, me prenant au jeu, je suis resté éveillé tard dans la nuit. L'oeil rivé aussi bien sur les chaines d'informations que sur le site du New-York Times, fort bien fait au demeurant, qui présentait les résultats en temps réel. En début de soirée l'avantage était très nettement en faveur d'Hilary, donnée gagnante à plus de quatre-vingt pour cent. Je n'en menais pas large. Je suis resté des heures en contact par SMS avec le devin qui suivant les élections depuis chez lui. Même lui commençait un peu à douter de ses prédictions devant la réalité alarmante des chiffres ! Un peu anxieux et toujours incapable de savoir si j'avais raison d’espérer ou si au contraire j'aurais des raisons de pleurer, j'envoyai alors un sms à la sorcière pour savoir quel serait son pronostic compte tenu des prévisions en temps réel émanant du New-York Times.
J'eus alors une réponse étonnante par laquelle la sorcière me disait que Trump allait gagner, que c'était une certitude, qu'elle allait se coucher et qu'elle se réveillerait au matin pour avoir la bonne nouvelle. Bien que la méthode manque singulièrement de base scientifique, je gardai donc espoir envers et contre tout et décidai de rester éveillé une grande partie de la nuit pour suivre ces élections. Et c'est ainsi que vers trois heures du matin, un changement s'amorça, l'aiguille du compteur de probabilités se mit à évoluer dans l'autre sens, doucement mais inexorablement et une heure après les jeux semblaient totalement faits, Hilary allait perdre, Trump était donné gagnant à plus de quatre-vingt pour cent !
J'étais toujours en lien par SMS avec le devin qui suivait les élections en même temps que moi. D'un commun accord, nous étions sur TMC ou une émission baptisée La nuit américaine et animée par Yann Barthès avait lieu en direct. Dès trois heures trente effectivement, les visages semblaient tendus et une heure plus tard, le plateau, animateur, invités et spectateurs, tous entièrement acquis à Hilary se mettait à craquer. On vit alors des visages figés, des invités en pleur, des chroniqueurs masquant mal leur colère. D'autres au contraire semblait en état de sidération qui est est un état de stupeur émotive dans lequel le sujet, figé,
inerte, réalise un
aspect catatonique par son importante rigidité. Le devin et moi, cruels comme il se doit, nous en avons beaucoup ri ! Ils avaient rêvé d'Hilary et ils auraient Trump, la grande gueule populiste.
Cette nuit là, nous n'avons dormi qu'une heure et demie mais quel spectacle ! Quant au lendemain, ce fut encore plus drôle de voir tous ces analystes et futurologues en carton bafouiller, en comprenant pas pourquoi leurs prédictions ne s'étaient pas réalisées. Quant à savoir ce que fera ou non Trump, j'avoue m'en foutre un peu dans la mesure où je ne suis pas américain.
En revanche dans les jours qui ont suivi j'ai eu quelques patients très anxieux à l'idée que Trump allait prendre la suite d'Obama. On a beau savoir qu'il y a quantité de contre-pouvoirs et que même sous Staline qui était tout de même un mec bien barré, la guerre n'a pas éclaté, rien n'y faisait, certains voyait l’élection de Trump comme l’avènement d'un nouvel Hitler qui allait ravager le monde. C'est toujours drôle de constater que chez les gens de gauche, dès que l'histoire ne va pas dans leur sens, il faut qu'ils convoquent Hitler le repoussoir pour asseoir leurs préférences.
Bien entendu, professionnellement, je suis resté neutre, dissimulant ma joie de voir Trump élu, me contentant de rassurer ces pauvres âmes perdues au milieu de flots impétueux qui allaient les mener vers une guerre mondiale. A force de croire les journalistes, on en vient à penser n'importe quoi. J'ai donc rassuré du mieux que je l'ai peu, cela très sincèrement parce que je ne pense pas que Trump soit un danger pour le monde même s'il semble parfois un peu taquin dans ses prises de position.
Et tandis qu'une patiente avait du mal à adhérer à mes vues rassurantes, je lui expliquai alors que Trump étant natif du signe des Gémeaux, il n'avait en aucun cas les qualités adéquates pour faire un bon dictateur. Parfois, face à des peurs irrationnelles, je n'ai rien d'autres que des explications irrationnelles à opposer !
Même si tout au fond de moi, je sais bien qu'un natif du Gémeaux ne fera jamais un bon dictateur !