Comme je suis un bon gendre et que ma belle-mère n'est pas une emmerdeuse patentée, j'accepte de l’accueillir chez moi pour un deux mois d'hiver. Alors mon épouse et moi, nous sommes parti cette fin novembre pour aller la chercher là-bas dans les montagnes corses.
On arrive à Bastia ou je prends possession de ma voiture de location qui sera cette fois une Peugeot 308 HDI. Alors là, je suis stupéfait, cette caisse ne ressemble à rien du tout, c'est à se demander si ce n'est pas un stagiaire qui l'a dessinée dans son coin. Elle est informe, elle possède des courbes molles et un gros cul et elle est tellement passe-partout que quand je la gare, je la repère bien plus par sa couleur que par sa forme. Putain et après ces ânes de Peugeot, s'étonnent de ne rien vendre ! Il faudrait renouer avec Pininfarina pour le desing les gars parce que manifestement vous ne possédez pas les compétences internes.
En revanche, rien à dire côté moteur, parce que le HDI envoie vraiment. Ce qui est bien pratique vu qu'en Corse, les limitations de vitesse ne soient pas encore entrées dans les moeurs. C'est ainsi qu'ont peut prendre les belles courbes de la RN193 à fond et même faire de jolies pointes de vitesse sur les rares lignes droites pour voir ce que la voiture a sous le capot. Bon, il y a bien des radars comme chez nous sur le continent mais ils ne marchent pas. Sans doute que la chevrotine qu'ils ont reçue a durablement affecté l'électronique sensible dont ils sont pourvus.
Bref, vous pouvez passer à cent-soixante sur une route limitée à quatre-vingt dix sans danger de vous faire flasher. Quant à la possibilité d'un contrôle routier, même si je ne suis pas spécialiste de la Corse, cela me semble rare parce que là-bas le pandore a un peu peur du local. Disons que pour l'ethnologue en herbe que je suis, on constate assez vite en prenant la route qu'il existe une sorte de libéralisme acharné dans la manière de rouler dont la limite vous appartient. Ça m'a rappelé mes jeunes années quand on pouvait faire un Paris Deauville à 180 de moyenne sans aucun risque de se faire chopper. C'était avant les années Sarkozy !
Ensuite, on arrive à Ponte-Leccia où l'on fait les courses au Super U. Bon, moi je n'y connais rien alors je sous-traite à mon épouse tandis que je vais poser un cul dans un café local. Je m'achète Corse-Matin pour faire couleur locale et je me prends un double express. Il fait très beau, le ciel est bleu et la température de vingt degrés. Je suis en terrasse, j'y suis habitué depuis les lois interdisant de fumer qui font que je suis devenu comme un chien qu'on doit laisser dehors. Toutefois, comme en matière de limitation de vitesse, je m'aperçois qu'en Corse, la loi anti-tabac n'est pas encore bien passée dans les mœurs à moins qu'il n'ait pas encore reçu le journal officiel, puisque dans le rade, tout le monde fume tranquillement. En discutant avec quelqu'un à Corte, je crois comprendre que c'est un peu laissé à l'appréciation du patron du bar ; s'il fume vous pouvez fumer, s'il vient d'arrêter alors personne ne fume. On sait qui est le tôlier.
Il y a bien une voiture de gendarmerie qui passe mais manifestement les pandores ont d'autres chats à fouetter ou tiennent à leur gendarmerie parce que pas un ne dira quoi que ce soit. Je pense en souriant aux deux clowns-ministres, Valls et Taubira, venus faire leur show en Corse en demandant à la population de collaborer avec l'état ! Et bien les mecs il y a du boulot parce que manifestement, l'état et la loi républicaine, ils l'emmerdent. Même si bien sur je me hâte de dire que rouler trop vite et fumer ce n'est pas bien, je ne peux m'empêcher de me dire que vivre dans un coin où l'on méprise à ce point l'état n'est pas désagréable. Cela ne veut pas dire qu'on soit pour autant chez des dangereux puisque la criminalité est très faible en Corse. A moins de tripatouiller dans des affaires peu claires, vous avez plus de chance de vivre vieux sur l'ile de beauté que sur le continent.Il y a bien des cambriolages mais les atteintes aux personnes sont presque inexistantes.
Pour se faire agresser en Corse, il faut avoir provoqué le local en remettant en cause son mode de vie. Parce que si vous ouvrez votre gueule au Québec par exemple pour faire une remarque, vous risque de vous faire traiter de maudit français tandis qu'en Corse, vous risquez surtout la main dans la gueule ou le calibre contre la tempe, selon l'humeur de votre contradicteur. Mais comme c'est un fait culturel connu, je ne crois pas que quiconque ayant visité la Corse se soit permis une seule remarque désobligeante à l'encontre de leur charmant folklore.
Et puis une fois les courses faites et Corse-matin lu, c'est la route pour Asco et là tout change. C'est un peu la route de tous les dangers. D'abord les habitants du crus vous souhaitent la bienvenue avec des panneaux délicatement festonnés à coups de fusils et puis ensuite il va falloir faire attention aux vaches. Certes vous pouvez continuer à rouler comme un con mais vous devez à tout prix vous souvenir qu'en Corse, un peu comme en Inde, la vache est sacrée et qu'elle vaque librement ou bon lui semble et même au milieu de la route où elle peut parfois s'allonger pour se reposer.
Et là, comme j'ai une corse dans ma voiture, pas question de pester et de dire "putain quelle bande de cons, ils peuvent pas les foutre dans des prés fermés leurs vaches" ! Parce que cela me vaudrait un regard noir de la part de mon épouse pour qui les pires bizarreries que l'on observe en Corse sont avant tout des particularismes culturels et rien d'autres. Les vaches au milieu de la route ? On a toujours fait comme ça, la vache est un animal libre comme le peuple corse ! On se descend à coups de calibres ? La Corse est une terre de violence marquée par l'empreinte des bandits d'honneurs, ça a toujours été comme ça ! Ils n'auraient pas pu foutre des rembardes de sécurité sur la route des gorges ? Il faut avoir l'habitude après on n'a plus peur de verser dans le ravin, la route a toujours été comme ça. Bref la Corse est une endroit où l'on pratique éventuellement l'assimilation mais où vous n'avez pas intérêt à ouvrir votre gueule. Alors je me concentre sur la conduite pour ne pas heurter une vache.
Et là, j'ai vachement besoin d'être concentré parce que la route des gorges est certes très jolie mais aussi abominablement dangereuse puisqu'elle court sur douze kilomètres bordée d'un précipice au fond duquel cascade l'Asco. En plus, il ne se serait pas agi de faire une route trop large parce qu'on n'est pas dans les Alpes ici ! Non, on a du mal à se croiser et on se dit qu'entre les vaches qu'on risque de rencontrer et le fou furieux qui prend la route à toute vitesse que l'on risque de croiser, il faut se concentrer et serrer les miches. Pour le coup, j'ai l'impression d'être Charles Vanel dans
Le salaire de la peur !
Ca grimpe, ça tourne dans tous le sens, on n'en voit pas le bout mais on arrive enfin au village duquel semble s'être inspiré Goscinny et Uderzo quand ils ont écrit Astérix en Corse. Pour le coup, si je voulais être un peu pompeux, je vous dirais qu'on entre dans un univers minéral. La vallée, c'est du maquis et la forêt ne pousse que plus haut. Ou que portent les yeux, c'est gris et bruns et les maisons de pierres se détachent à grand peine de cette toile de fond. De toute manière, apr!s la route s'arrêête et l'horizon est barré par le Monte cinto, le plus haut sommet de Corse.
Surtout que les locaux n'ont pas donné beaucoup dans la couleur. Ici, ce n'est pas l'Alsace ! Les géraniums ne poussent pas sur les balconnières et les volets sont à peu près uniformément couleur bois. D'ailleurs, une fois j'avais émis l'idée de repeindre ces putains de volets en couleurs un peu plus gaies et mon épouse m'avait répondu "quoi tu veux qu'on dise de nous qu'on habite la maison des fous ?" Devant une telle évidence, je m'étais dit qu'un coup de bondex suffirait.
Une fois arrivés sur place, j'ai le droit aux embrassades. Car le corse semble froid sans l'être vraiment surtout les femmes et peut-être plus celles de l'âge de ma belle-mère qui remercie Dieu pour tout comme par exemple de nous avoir fait voler sans risques ou affronter la terrible route des gorges sans se planter dans le précipice. D'ailleurs si tout va bien, on remercie Dieu et si une merde arrive c'est que Dieu l'a voulu, on comprend bien vite que Dieu est partout et que ses desseins sont impénétrables.
En revanche, il semblerait que dans le Notre-Père ma belle-mère ait omis le passage où l'on parle de "pardonner nos offenses comme nous pardonnons ceux qui nous ont offensé" parce qu'elle a la rancune tenace. Un fois, alors qu'elle ahanait pour remonter de l'église à chez elle et que l'on avait croisé une voiture sur la route, elle avait refusé de monter à bord, m'expliquant par la suite qu'elle préférait mourir sur place (Dieu lui soit témoin) plutôt que de se faire accompagner par ce type qui lui avait fait je ne sais plus quoi dix ans auparavant. La vendetta a de beaux jours devant elle et s'il m'était venu à l'idée de dire qu'on pouvait enterrer la hache de guerre, on m'aurait rétorqué que c'était culturel et qu'on avait toujours fait comme ça. Alors, je rigole et je ne dis rien, me contentant de jouer mon rôle de
pinzutu du mieux possible.
En plus, les gens me trouvent sympa pour quelqu'un qui n'est pas corse et on s'accorde à dire que je suis très simple pour un docteur. Il faut dire que dans un patelin où la plupart des gens étaient bergers au siècle passé, dès qu'on a une profession intellectuelle, on est vite catalogué docteur. D'ailleurs à l'époque où mon épouse avait prêté serment pour devenir avocate, il avait fallu qu'elle pose sur les marches du palais de justice en robe d'avocate pour faire accréditer qu'elle l'était vraiment. Parce que là-bas, employé de banque c'était déjà une belle réussite et le mieux auquel on pouvait prétendre dans ses rêves les plus fous, c'était institutrice.
Et le weekend s'est bien passé. Comme traditionnellement, un homme doit manger beaucoup, boire et fumer, ma belle mère m'avait acheté quelques litres de
Domaine Vico, le producteur local, une cartouche de cigarettes et m'a bien sur préparé à manger comme si je m'apprêtais à crapahuter pour aller chasser le cochon sauvage alors que ma seule activité consistait à lire sur la terrasse.
Il a aussi fallu honorer les morts parce que les morts c'est sacré en Corse et qu'il ne s'agirait pas de les oublier. Alors bien sur, comme ici sur le continent, il y a un cimetière, il y en a même trois là bas mais en plus, il y a des tombes isolées voire des cimetières privés. C'est ainsi, qu'après avoir nettoyé les tombes principales, il fallu se baguenauder sur des routes peu fréquentées pour aller fleurir des tombes perdues ça et là. Moi, je ne suis pas descendu de voiture parce qu'il y avait un taureau juste à côté tandis que ma belle mère qui doit mesurer un mètre cinquante les bras levés, s'est contenter de lui dire en corse de foutre le camp.
Parce que là bas, tout le monde ou presque parle corse ce qui me vaut parfois des moments de solitude puisque je ne le pratique pas. De toute manière, il s'agit de savoir qui fait quoi, qui est en vie et qui est mort. Dans le coin, on vit très vieux quand on est honnête et un peu moins si on fait de la politique ou des braquages. Mais bon, globalement c'est plutôt sympa et rigolo et je constate que bien des gens vont se depayser au bout du monde alors qu'à une heure et demie d'Orly il y a des coins où tous vos repères sont bouleversés.
Puis, nous sommes rentrés. J'ai repris la route des gorge avec belle-maman qui assise à l'arrière marmonnait et qui se signait en répétant de temps en temps des "mon Dieu, mon Dieu" comme si nous partions à la guerre ou pour une mission tout aussi risquée. De toute manière, je suis tellement habitué à son sens du tragique que je n'y fais plus attention. Je suis tellement habitué au fait qu'elle me dise qu'elle aurait du mourir que j'en rigole parce que ce que l'on prendrait ici pour une sorte d'hystérie n'est là-bas qu'un facteur culturel de plus. Dieu, la mort et les imprécations font partie du folklore.
Et puis je suis revenu en France même si en fait on doit dire qu'on est revenu sur le continent parce que la Corse fait partie de la France et même de la France métropolitaine. A Paris, il faisait gris et moche, les radars marchaient, et personne ne fumait dans les cafés.
J'étais de retour chez moi.