16 février, 2015
Je regardais mes statistiques et j'ai eu l'idée de consulter les mots clés par lesquels les gens étaient entrés sur le blog. Quelle surprise de constater que le premier était "pute" tandis que "bourlet à la nuque" (avec une faute) mais aussi "femme culturiste" se plaçaient en bonne position !
Si j'ai du employer le mot "pute" plus souvent qu'à mon tour car je sais que je peux être d'une rare vulgarité en écrivant, je n'ai pas le souvenir d'avoir parlé de femmes culturistes ?
Quand au fameux "bourrelet de nuque" et non "bourlet", il 'agissait bien évidemment d'une description du Gringeot qui possède, comme toute brutasse, une nuque plissée formant deux épais bourrelets de chair. C'est d'ailleurs à ces bourrelets que l'on reconnait l'homme fort. Mais il en faut deux.
Avec un seul bourrelet de nuque, vous êtes soit gros, soit mal foutu, avec une peau flasque et adipeuse. Ce n'est que lorsque vous arborez les deux bourrelets que vous pouvez décemment vous dire que vous faites partie de la confrérie des brutes, des vrais mâles gorgés de testostérone, du quadra finissant ou du jeune quinqua ayant bien profité de la vie.
Tandis que le jeune voyou est sec et toujours aux aguets, celui qui a réussi, le capo de tutti capi possède deux bourrelets de nuque ! Toujours ! Les bourrelets de nuque sont à l'homme fort ce que la collerette osseuse est au tricératops ou les dix cors au cerf !
C'est ma théorie sur les bourrelets de nuque et j'y tiens car j'y crois profondément.
Les mères !
Lorsque je reçois de jeunes patients, la plupart du temps cela se passe bien. Même ceux dont le destin semble le plus étrange, le plus anticonformiste, trouvent chez moi une oreille compatissante prête à les écouter sans les juger. Moi qui possède les deux seuls livres jamais écrits en français sur les hérissons, j'aurais mauvaise grâce à m'ériger en juge de la normalité.
Finalement, dans ces cas là, mes pires ennemies ce sont leurs mères ! Elles sont toujours là, à guetter ce qui ne va pas et à mesurer la distance entre ce que leur fiston fait et ce qu'elle considère comme étant la normalité. Et dans un monde dévirilisé, ne comptons plus sur les pères pour dire aux mères : mais cesse de l'emmerder le pauvre, laisse le un peu vivre ! Non, ça n'arrive plus. Le père vit planqué à l'abri des soucis, parfois comme un adulescent laissant reposer sur la mère toute puissante l'éducation des marmots.
Or qu'est ce qu'une mère, fut-elle la meilleure, peut bien connaitre de leur fils dont elle a certes accouché mais qui au fil du temps s'est transformé en jeune mâle gorgé de testostérone ? Rien bien sur ! Et tandis que certains errements, certaines remarques, certaines angoisses de leur progéniture, m'amusent parce que je n'y vois juste que la confrontation entre ces jeunes hommes et la vie, les mères se tordent les mains en gémissant. Parce que vous comprenez, le petit il ne va pas bien du tout puisqu'il ne fait rien de ce que je lui dis !
Quand je commence un travail avec un de ces jeunes mâles, et encore plus quand je me rends compte qu'il est très différent du commun des mortels et qu'il ne s'épanouira pas dans un environnement classique. Et alors ? Après tout, moi je suis marchand de bonheur et non consultant à l'APEC et il ne m'échoit pas de désigner comme seul avenir possible l'exercice d'une profession avec costume cravate et voiture de fonction !
Mais les mères ne le conçoivent pas ainsi, elles qui pensent que si elles veulent des petits enfants, la meilleure manière pour leur marmot de rencontrer l'élue de leur cœur est justement d'avoir un travail salarié. On a beau donner des tas d'exemples de gens ayant réussi sans être pour autant salaryman, elles s'en foutent. Aux autres les grands voyages, les aventures curieuses et les destins complexes, mais pour leur gamin, elles n'en démordent pas, il sera cadre dans une assurance ou dans une SSII.
Alors de guerre lasse et avec l'autorisation des jeunes patients, je reçois les mères. J'essaie de m'en faire des alliées, de leur montrer que je partage totalement leurs angoisses, mieux que je les comprends et que leur fiston est entre de bonnes mains, que je suis un type sérieux qui ne va pas faire n'importe quoi avec la chair de leur chair. D'ailleurs, le jour où j'en reçois une, je passe spécialement l’aspirateur et je fais les poussières dans le cabinet, je vide les cendrier et je balance du febreze (parfum fraise) dans la pièce !
Parce qu'elles voient à tout et quelque soit mon discours, fut-il le plus posé, le plus raisonnable, il n'aura aucun poids si leur œil détecte la moindre poussière ou leur nez la moindre odeur suspecte. Je deviens aussi lisse que je peux l'être ! La plupart du temps, quand je discute avec elles, je sais que cela ne sert pas à grand chose. Le mieux que je puisse obtenir, c'est qu'elle sache que le petit est entre de bonnes mains et que je comprends leurs angoisses. Au grand jamais, je n'obtiendrai qu'elles adhèrent totalement aux projets de leur fils ou qu'elles comprennent que parfois, dans la vie d'un homme, le choix d'un destin puisse être compliqué.
C'est ainsi que le connais fort bien Madame Jésus, la mère de Jésus, mon patient exorcisé. Après que ledit exorcisme eut bien fonctionné et que l'état de Jésus se soit considérablement amélioré, je l'ai reçue pour parler de tout cela, car il faut bien admettre que ce n'est pas tout le monde qui a un gosse possédé ! Il faut savoir, comme je l'ai déjà dit, que la psychiatrie se révélait impuissante et que quelques mois encore, et on collait des électrochocs à Jésus, faute d'autres moyens thérapeutiques efficaces.
Que croyez-vous que Madame Jésus m'ait dit ? Qu'elle était contente ? Oui, un peu, il allait mieux et c'était notable. Que cette aventure était incroyable mais qu'on s'en sortait bien ? Oui, un peu aussi, ça avait marché mais l'important n'était pas là. L'important c'était que Jésus ne débarrassait pas la table après avoir diné et avait laissé des saletés en râpant du gruyère sur le plan de travail et que ce n'était pas bien du tout. Et pourtant Madame Jésus est diplômée de Sciences-Po. Mais s'agissant de son fils, elle redevient une mère se plaignant qu'il a beaucoup changé tout de même, lui qui était si mignon petit et si affectueux.
A la fin, je suis désarmé et obligé de sourire en promettant que le miracle ce sera pour bientôt et qu'après avoir aidé Jésus à surmonter une crose qui aurait pu l'envoyer en HP jusqu'à la fin de ses jours ou le pousser au suicide, je m'attaquerai au plus grave de ses problèmes : que ce jeune verrat n'essuie pas le plan de travail de la cuisine après avoir râpé du fromage !
Une autre mère, tandis que je n'avais aucun problème avec son fils qui s'est toujours révélé charmant, me disait que, oui peut-être mais il est très différent de sa sœur, beaucoup plus remuant ! Sans doute qu'en le castrant et en le bourrant d'oestrogènes, on aurait pu en faire un fils parfait, tout doux, mais je ne prescris pas et je doute qu'un médecin soit prêt à ordonner un tel traitement.
Une autre, pas une mère mais une femme médecin, me parlant d'une patiente que nous avions en commun, semblait plutôt timorée face aux résultats obtenus, arguant du fait qu'elle continuait à fumer des cigarettes. Comment ? Cette patiente qui avait été jusqu'à vendre son cul pour sa dope, était considéré comme perdue, et s'était sortie d'à peu près tout, continuait malgré tout à acheter des Marlboros ! Cette fois aussi j'avais expliqué que pour les miracles, on attendrait un peu.
D'ailleurs avec ce médecin, pour qui j'ai la plus grande estime, lorsque l'on aborde le cas de patients que l'on a en commun, parfois j'ai l'impression qu'on joue au papa et à la maman. Je finis toujours par me fâcher en lui disant de lâcher l'affaire à untel ou une-telle !
Bref, je n'irai pas jusqu'à dire que les mères m'emmerdent parce qu'elles jouent leur rôle finalement. Disons que les pères manquent cruellement dans le tableau.
Le temps qui passe !
Aujourd'hui, c'était les quarante ans d'un ancien patient à moi avec qui j'ai conservé des liens. Polytoxicomane ayant sans doute dealé aussi, ce patient m'avait été envoyé par son médecin qui m'avait expliqué que j'étais le psy de la dernière chance. Ce patient n'avait que vingt-quatre ans à l'époque et une longue pratique de la dope.
Il m'avait appelé sur ma ligne fixe et on avait pu discuter près d'une demie-heure. Compte-tenu de son expérience, il détestait ma corporation en qui il voyait une bande de branleurs incapables doublés d'escrocs. D'ailleurs, son médecin me l'avait précisé, il avait menacé physiquement son dernier psy, un psychanalyste chez qui on l'avait adressé et qu'il n'appréciait pas.
Au téléphone, tout s'était bien passé. Le ton du discours était certes un peu véhément mais courtois. Le vocabulaire était riche, la syntaxe parfaite et ma foi, je ne pouvais pas m'inscrire en faux contre ce qu'il disait de ma profession. Moi aussi j'ai déjà eu envie de frapper des psychanalystes. Pas tous bien sur, mais les plus orthodoxes, ceux qui ne comprennent pas que face à quelqu'un en souffrance, le moment n'est pas venu de parler de maman, de son œdipe et de faire hum hum mais qu'il faut agir.
On avait donc pris rendez vous suite à cette prise de contact téléphonique et j'avais immédiatement appelé le médecin pour lui dire que le contact était bien passé et qu'à mon avis, ça marcherait bien. Comme à son habitude, le médecin m'avait dit : oui je sais, avec toi, rien n'est jamais grave, je commence à te connaitre. Ben oui, face à un type intelligent et donc accessible à la raison, tout est question d'alliance thérapeutique et il n'y avait aucune raison que cela se passe mal.
Bien sur, si dès le départ, parce que c'est un toxico, vous jouez le kéké donneur de leçon, selon le profil psychologique du toxico, soit vous vous faites éclater le museau, soit il se barre pour ne plus revenir. Je crois que ma chance, c'est de fumer du tabac un truc addictif qui ne sert à rien mais que j'aime beaucoup. Alors, je crois que je comprends un peu les toxicos. Eux et moi, nous sommes un peu cousins. Du moins, je ne les regarde pas d'un drôle d’œil comme si ce qu'ils font était la chose la plus folle qui soit.
Et puis, je suis un mec super prosaïque, je me défie toujours des grandes théories à la con. Je crois que le plus souvent les choses ne sont pas si compliquées qu'elles en ont l'air. Et plus que tout, je déteste ceux qui justement trouvent que "c'est très complexe", ce qui me semble être la preuve flagrante qu'ils n'ont rien compris. C'était assez simple finalement puisque ce jeune type se droguait pour mettre un filtre entre lui et le réel qu'il ne pouvait pas supporter. Rien de plus.
Tout s'était joué sur le premier rendez-vous. Je m'en souviens encore parfaitement bien, même s'il serait trop long de le raconter ici. Je me souviens, qu'ils 'était assis en face de moi, je lui avais proposé un café et il avait été surpris. Après tout, pourquoi ne pas bien accueillir les gens que l'on reçoit ? Je lui avais dit qu'il pouvait fumer et il avait apprécié. Les héroïnomanes sont toujours de gros fumeurs. Il avait apprécié aussi et ces deux attentions avaient suffit à le déstabiliser un peu.
Mais, il était resté ferme. Et quoique le premier contact ait été positif, il avait voulu me tester en se montrant véhément, un peu comme s'il commençait à me boxer pour voir ce que j'avais dans le ventre. Son discours était cousu de fil blanc, c'était un rebelle qui se cognat aux murs de sa prison intérieure et voulait en découdre. Je n'avais répondu à aucun de ses coups, me contentant de les esquiver et de dédramatiser.
Dédramatiser jusqu'à ce qu'il comprenne que je n'étais pas son ennemi mais juste un type qui pouvait éventuellement l'aider à s'en sortir et que ce n'était pas très compliqué finalement. A une époque où l'on prescrivait du subutex ou de la méthadone, se sevrer de l'héroïne n'était pas si difficile que cela. Pas si difficile pourvu que l'on ne néglige pas l'aspect social de la thérapie. Il fallait donc offrir un cadre structuré et structurant à ce jeune type pour lui permettre de passer du statut de toxico avec ses repères à celui d'adulte avec d'autres repères.
Angoissé par la vision qu'il avait du monde des adultes, rigide et stricte, je lui en avais offert une autre, lui montrant qu'on pouvait assumer ses obligations sans pour autant s'ennuyer dans la vie. En vérité, il était bien plus rigide que moi. D'ailleurs je l'appelais Monsieur l'officier ! Cela ne m'étonnait pas qu'il angoisse à l'idée de grandir compte tenu des exigences qu'il avait vis à vis de lui ! Je lui ai juste montré que la vie était bien plus simple qu'il imaginait et qu'il existait bien d'autres possibilités de bien vivre sans pour autant s'ennuyer.
Finalement e sevrage s'était plutôt bien passé. Ensuite, je m'étais débrouillé pour lui trouver un petit travail. Quelque chose de pas trop compliqué dans un environnement sympathique qui lui permette assez vite d'être content de lui. Le travail structure le temps, apporte de la reconnaissance et de l'argent. Alors il était hors de question qu'il reste à ne rien faire. Ça avait bien marché durant une année au terme de laquelle, il avait fallu trouver autre chose. J'avais alors considéré qu'il était prêt à se confronter à quelque chose de mieux et l'avais alors présenté à mon camarade Toju qui l'avait trouvé très bien et l'avait aidé à trouver un poste intéressant.
Ensuite, on avait très largement espacé nos rendez-vous et il ne venait me voir qu'en cas de "petites crises passagères", ces moments où l'on trouve que tout est dur et que l'on a envie de tout envoyer balader. Je me contentais alors de l'aider à franchir cette nouvelle épreuve en lui permettant du recul, rien d'autre. Et puis vint un jour où il ne fut qu'un ex-patient. Comme nous nous entendions bien, il passait de temps à autre, au gré de son emploi du temps, prendre un café et papoter de tout et de rien.
Quelques années après, il me racontait encore des choses en me disant : tu te souviens de l'époque où j'étais toxico. Cela l'amusait parce que finalement, il n'avait pas trouvé cela si difficile de passer de ce statut de toxico à celui d'adulte assumant ses responsabilités. Du moins bien moins dur qu'il ne l'imaginait à l'époque de ses vingt-quatre ans quand il jugeait que ce monde hostile ne saurait accueillir un être aussi complexe qu'il s'imaginait être.
Plutôt très doué, il a vite grimpé dans son travail, accédant à un poste de direction moins de dix ans après avoir commencé. Il a collaboré avec mon épouse avocate. Une fois je m'étais joint à un de leur déjeuner professionnel et c'est vrai que c'était marrant de voir ce jeune que j'avais reçu vêtu d'un jean et d'un sweat à capuche, sapé comme un milord en costume, consultant la carte des vins avec sérieux. Et puis comme on dit, la vie a fait son œuvre.
Il s'est marié, et j'étais son témoin de mariage car il y tenait, et il a eu une fille. Il a acquis son appartement. Il a même lâché son travail salarié voici un an ou deux pour monter son entreprise. Bref, lui qui vouait aux gémonies la vie de bourgeois, il s'y épanouit avec délectation, voyageant et roulant en Peugeot 308 ! Croyez-moi, moi qui est connu un monde que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, rouler en Peugeot est le fait du bourgeois conformiste !
Ceci dit, tout n'est pas à jeter dans son passé, loin de là. Car quand vous avez fréquenté les squats, acheté votre dope à la Chapelle ou à Barbés, fréquenté des gens infréquentables et passablement dangereux et triomphé de certaines épreuves avec succès, vous êtes armé pour la négociation. Tout se joue souvent sur l'apparence et sur le regard dans certains milieux. Et j'avoue qu'aujourd'hui, fut-il vêtu avec une rare élégance, son passé de "voyou" lui est utile car ce n'est pas le premier diplômé de sup' de co qui lui fera baisser les yeux ou l'arnaquera. L'école de la vie est une excellente formation aussi.
Et hier tandis que je lui souhaitais son anniversaire et que l'on reparlait du temps passé, il m'a dit qu'il venait de passer la meilleure décennie de sa vie. Confortablement installé dans sa vie bourgeoise avec Peugeot, vacances lointaines et écran plat géant, il se contente de vivre sereinement sans grande angoisse.
Je lui ai donc souhaité que la décennie qu'il entame soit aussi féconde et riche que celle qui s'en était allée. Avec pourquoi pas une Peugeot 508, maintenant qu'il est chef d'entreprise ? Mais, ça m'a fait tout drôle quand même d'entendre celui que je prenais pour un gamin un peu rebelle parler comme un homme et constater qu'il m'avait rejoint dans le clan des quadras.
Comme le temps passe !
15 février, 2015
Conseils de pro !
Tout le monde se demande comment Jean sablon parvient à choper comme un fou. Certes, de l'avis général, il est plutôt beau garçon mais il n'en fait pas des tonnes. Ce n'est pas un hipster, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce qui énerve considérablement le Jeune Gentihlomme Tourangeau qui malgré ses jeans slims, ses baskets montantes et sa veste de chez The Kooples ne ramène pas grand chose dans ses filets !
Par exemple personne n'a jamais vu Jean Sablon dans une salle de sport pas plus qu'il n'investirait dans des fringues à la dernière mode. Pour collectionner les aventures, et sa légende parle de cinq mille maitresses, il se contente d'une liquette en coton (Tex Carrefour), d'un pull en polyamide (Vêtimarché), de ses chaussures bateau (Bata) et d'un jean (Auchan). Sa Swatch, il l'a trouvée un jour par terre. Et le plus qu'il ait raqué pour une femme, c'est un soir où il a invité et que la happy hour était dépassée. Il a du payer les deux cafés plein tarif, il en parle encore !
Tout le reste, c'est sa tchatche, quoiqu'à la vérité ce soit plutôt un taiseux, une particularité héritée des paysans de la Haute-Loire en Auvergne chez qui il se ressource au milieu de nulle part deux fois par an. Parce que Jean sablon, ce n'est pas le genre de type à vous raconter ses escapades lointaines. Comme il le dit si souvent : pourquoi que j'irais payer pour voir des trucs que je peux mater gratos sur le net ? Alors comment fait-il ? D'où lui vient cette science ?
Sans doute des ses lectures si je me réfère au dernier livre qu'il m'a offert pour mon anniversaire, le douze janvier dernier. Il m'a juste tendu un petit sac FNAC dans lequel se trouvait une biographie pour le moins étrange puisqu'il s'agissait de Pimp, mémoire d'un maquereau de Iceberg Slim qui raconte sa vie de proxénète jusqu’à ce qu'il se range.
J'avais pas mal de livres en retard, c'est pour cela que je ne l'ai attaqué que voici quelques jours. Et en lisant le début du livre dans lequel Iceberg Slim nous raconte sa quête au cours de laquelle il souhaite devenir le plus grand mac de tous les temps, j'ai noté des conseils intéressants. Conseils qu'à peut-être mis en pratique Jean Sablon, allez savoir ! Voici un extrait :
Cet emmerdeur de junkie commençait à me courir sérieusement. Assis à côté de lui, je réfléchissais aux questions à lui poser pour en tirer le maximum et pouvoir me tirer d'ici au plus vite. Il avait l'air d'un babouin ratatiné et son haleine empestait comme s'il venait d'avaler un bol d’asticots.
- J'en pince pas tellement pour Pepper, dis-je. Elle est trop à la redresse pour moi. Je suis venu te voir parce que tout le monde sait que t'en connais un rayon. J'aimerais bien que tu me donnes des tuyaux pour arriver à lui piquer un peu de fric.
Le babouin mordit à la banane que je lui avais lancée. Il était disposé à parler de proxénétisme.
- L'enfer est plein de gogos qui réclame de l'eau fraiche, mais c'est trop tard pour eux , dit-il. L'eau fraiche, ils n'en auront jamais. Ce qui compte avec une fille c'est la manière dont tu t'y prends au début. Parce que ça finira de la même façon. Bien sur, tu peux commencer par faire le mac avec un gonzesse et puis finir comme un pigeon et te faire plaquer, mais ça ne marche jamais dans l'autre sens. Avec Pepper, t'as commencé comme un micheton, impossible de revenir en arrière, elle te verra jamais comme un mac. Oublie la et trouve toi une autre fille.
Moi qui suis fleur bleue, j'ai été outré par tant de cynisme. Je désapprouve évidemment totalement cette manière pratiquer et me désolidarise complètement des propos de Iceberg Slim ! Le livre est cependant passionnant à lire et je ne dis pas que de temps à autre, au fil de la lecture, un brave type ne comprenant rien aux femmes, n'y apprenne pas quelques petits trucs. Disons que s'agissant de vécu, ce livre peut-être un bon complément de ce que ces mêmes braves types apprendront en lisant les sites de conseils de drague les plus connus.
09 février, 2015
Je viens de modérer mes commentaires et une de mes lectrices me demande : s’il n'y a pas de transfert en TCC, comment expliquer l'attirance que l'on a pour son psy ? Ben, que répondre à cela ? Déjà, il s'agit de distinguer le transfert de l'attirance.
Le transfert est le moteur, le poitn central de toute psychanalye et repose sur deux grands principes. Premièrement, le patient suppose que le psychanalyse possède un savoir et qu'il connait les réponses aux questiosn qu'il se pose. Dans les faits, même si le psychanalyse ne sait rien, le patient ressent la nécessité de s'appuyer sur la certitude que son analyste sait, pour aller
au-devant de son savoir inconscient, y trouver les réponses appropriées. Enfin, un peu comme on le ferait sur un mannequin de couture, le patient accroche à son analyste toutes les défroques des gens qui ont compté dans son
histoire. Il va ainsi rejouer avec son analyste les relations qu'il
entretenait avec ces personnes puis analyser ces relations pour les
comprendre.
On admettra ainsi que, « le
transfert en psychanalyse, est essentiellement le déplacement d’une
conduite émotionnelle par rapport à un objet infantile, spécialement les
parents, à un autre objet ou à une autre personne, spécialement le
psychanalyste au cours du traitement ». Au sens large, le transfert est donc : « La
reviviscence de désirs, d'affects, de sentiments éprouvés envers les
parents dans la prime enfance, et adressés cette fois à un nouvel objet,
et non justifiés par l'être et le comportement de celui-ci. ».
En revanche Larousse explique l'attirance est une force qui attire par le plaisir, le charme, le vertige, qu'elle est le sentiment de quelqu'un qui est séduit : Éprouver une forte attirance pour quelqu'un. L'attirance existe donc en tant que telle et ne se justifie pas forcément par l'inconscient. On peut être attiré par une personne, par une marque ou que sais-je encore, sans qu'il ne soit nécessaire de se faire des nœuds au cerveau pour en comprendre les causes. La vie n'est pas une cure analytique, Dieu merci !
Le transfert n'est donc pas une simple attirance mais la projection d'un conflit inconscient sur la personne du psychanalyste. On ne saurait donc voir de transfert partout, dès lorsqu' il existe une attirance entre deux êtres. Confondre transfert et attirance serait le fait soit d'une personne ne connaissant pas la définition de ces deux mots ou bien d'une personne démarrant une analyse et voyant de la production inconsciente dans les faits les plus anodins de l'existence. Or, même pépé Freud l'a dit : parfois un cigare n'est rien d'autre qu'un cigare !Mais pour compliquer le tout, et pourvu que l'on accorde le moindre crédit à la psychanalyse, attirance et transfert peuvent parfois être mêlés.
S’agissant des TCC, leur réussite n'est pas axée sur ce fameux transfert que l'on devrait liquider, permettant ainsi au patient de se libérer de ce conflit intrapsychique qu'il projetait sur son analyste. Dans les TCC, il s'agit pour le thérapeute et le patient de former une alliance thérapeutique désireuse de travailler sur les symptômes afin de les éradiquer. Le transfert doit donc être découragé si l'on sent qu'il nait dans la relation afin de ne pas dénaturer la relation thérapeute/patient. On voudrait aussi vivre dans un monde parfait et songer que l'on ne choisit pas son thérapeute en fonction de l'attirance que l'on a pour lui/elle mais uniquement pour ses compétences.
Ce serait bien vain et raisonner comme un ingénieur alors qu'il s'agit d'individus autrement plus complexes. Il est certain que la relation ne peut s'établir que s'il existe de la part du patient une forme d'attirance pour le thérapeute. Je ne parle évidemment pas ici d'attirance sexuelle, mais d'un sentiment plus neutre, que l'on pourrait qualifier de sympathie. On n'imagine pas un patient qui irait consulter quelqu'un qui connaitra toutes ses pensées intimes en pensant que c'est un(e) sale con(ne).
Une forme d'attirance est donc nécessaire, sans doute que celle se situe au niveau des valeurs que le patient et le thérapeute partagent. Par exemple, en mon jeune temps, j'avais choisi mon analyste, non pas en fonction de ses qualités, dont je ne savais rien, mais simplement parce qu'ayant vu le Figaro posé sur la méridienne, je m'étais dit que c'était sympa de voir un psy qui ne fut pas un gauchiste ! Le pauvre aurait pu faire toutes les publications savantes qu'il voulait, eut-il été lecteur de Libération que je ne l'aurais pas consulté étant entendu que pour moi, âme frustre, être socialiste est une pathologie mentale.
De la même manière, il est possible que dans les TCC puisse exister une forme de transfert latent. C'est souvent lié à l'âge. C'est ainsi que les plus jeunes projettent sur moi l'image du père. Pourvu que cela ne prenne pas de proportion alarmante, je considère que c'est une des composantes de l'alliance thérapeutique que je vais nouer. en revanche, même si je constate que ce transfert existe, je ne l'utilise jamais dans le cadre de la TCC. Certaines jeunes patients en sont frustrés car ils aimeraient que je sois parfois moins stoïque mais que je m'engage dans ce transfert.
Quant à l'attirance proprement dire, le fait de se sentir séduit, il est évident que comme dans toute relation humaine, elle peut exister. Pour autant, il y a ce que l'on nomme un style professionnel à adopter, quelque soit le style personnel que l'on surajoute par la suite. Ce style personnel ne doit jamais entrer en conflit avec le style professionnel qui consiste en des règles strictes liées à l’exercice de la profession. Je tutoie une partie de ma clientèle, je fais parfois la bise à certaines patientes que je connais bien, mais pour autant, je prends toujours garde à ce que ces comportements ne soient jamais assimilables à une quelconque séduction de nature sexuelle.
Ceci étant dit, compte-tenu de ma profession, je sais avec qui je peux agir ainsi et avec qui je sais que je dois me tenir plus distant. Il existe parfois des pathologies comme l'hystérie, avec son cortège d'émotions incontrôlables, ou encore l'érotomanie, une psychose paranoïaque de la classe des délires passionnels, qui sont à prendre en compte. De la même manière, le thérapeute ne doit jamais oublier que dans les situations de détresse psychologique ou de grande solitude, sa personne, en tant que soignant empathique et aimable, peut susciter si ce n'est de la convoitise, du moins une forme de compensation affective pour certain(e)s patient(e)s. Il s'agit donc de faire attention pour décourager l'attirance comme on le fait du transfert.
Ceci étant dit, on peut donc, à défaut de transfert du type analytique, ressentir une attirance pour la personnalité de son(sa) psy. Soit que celui(celle)-ci soit d'une grande beauté ou possède un magnétisme incroyable, soit que l'on adore sa disponibilité et son amabilité ou encore qu'on le(la) trouve extrêmement brillant(e). L'attirance étant un phénomène complexe, qui sait pourquoi l'on craque pour telle personne plutôt que telle autre ! On sait aussi que certaines professions (militaires, pompiers, médecins, infirmières, élus, musiciens, etc.) sont de nature à polariser la passion amoureuse plus que d'autres (syndic de copropriété, militant socialiste, comptable, chômeur, etc.).
En cas d'attirance manifeste du patient pour son thérapeute, ce dernier devra donc décourager toute ambiguité afin de ne pas polluer le processus thérapeutique. S'il advient que cela s'avère impossible, le thérapeute sérieux devra s'en ouvrir et adresser le patient à un confrère. La thérapie, n'est pas une pratique médicale mais un mécanisme complexe dans lequel on traite par la parole et de ce fait, il est bien sur très fortement déconseillé d'y entretenir des liaisons sentimentales ou sexuelles !
C'est comme cela qu ça marche. Et souvenons-nous que transfert et attirance ne sont pas identiques, enfin pas toujours. Mais vous m'avez compris !
Y'a un truc !
Marrant ça ! Tout n'avait pas été facile mais on n'avait eu de très bons résultats ces derniers temps avec ce jeune patient. En le rencontrant, j'aurais pu croire qu'il s'agissait d'une personnalité limite mais très vite, j'avais constaté qu'il s'agissait d'un SSPT issu de maltraitances durant l'enfance.
Plutôt que de faire comme la plupart de mes confrères et de lui faire ressasser ce qu'il avait vécu dans l'espoir d'une hypothétique guérison, j'avais pris le problème à contrepied. J'avais imaginé que ce qu'il avait vécu de traumatisant durant l'enfance était comme une tumeur. Et plutôt que de m'y attaquer, j'avais pris le pari de l'assécher en la contournant. Plutôt que de toujours regarder le passé, j'avais pris le parti de songer à son avenir professionnel et affectif.
Ma foi, même si rien n'était gagné, les résultats étaient là, plutôt encourageants. On sentait semaine après semaine, une pente légèrement ascendante certes, mais d'une rare constance. Sans doute pas de quoi crier au miracle mais des progrès certains qui me donnaient confiance en l'avenir. J'espérais qu'un jour, le présent serait si bénéfique que se retourner sur le passé n'entrainerait plus aucun stress.
Et puis voici que la semaine passée, le voilà qui arrive un peu triste et abattu dans mon cabinet. Alors certes, il y a des hauts et des bas considérés comme normaux, et il ne faut pas s'alarmer de tout. Mais là, j'étais dubitatif devant ces symptômes d'abattement. Pas normal du tout ça, compte tenu de l'environnement qui n'avait pas varié, du moins pas que je sache.
Et puis, je l'ai vu prendre sa vapoteuse et tirer dessus une taffe de cow-boy. Ça a fini par m'alerter parce que voici quelques années j'avais eu un cas semblable. Un médecin m'avait appelé pour savoir si je pouvais prendre en urgence un de ses patients très mal en point, un fils de people mondialement connu. J'avais accepté et reçu le type en question. Il était très abattu, anxieux et fébrile. Et pourtant selon ses dires, rien n'avait chagé dans son existence.
Rien, sauf l'arrêt de la cigarette, fait à l'ancienne, à l'arrache, sans aide aucune. Parfois ça marche, parfois non et on se tape un syndrome de sevrage tabagique. Généralement, ce sevrage à la nicotine, n'entraine que des symptômes un peu désagréables, variant de quelques jours à un mois, mais bénins. Toutefois, sur un terrain sensible, l'arrêt brutal de la nicotine peut créer des troubles importants. La nicotine se fixant sur les récepteurs cérébraux à l’acétylcholine, son arrêt brutal amenant une baisse de dopamine, peut entrainer un état anxio-dépressif important.
Je ne me souviens plus combien de temps j'avais mis à invoquer le sevrage nicotinique comme responsable de l'état de ce patient. Toutefois, je me souviens qu'une pharmacie restant ouverte jusqu'à 22h00 dans la rue, il avait eu le temps de s'y rendre et d'acheter des substituts nicotiniques. Le lendemain, il m'avait prévenu que cela allait mieux.
J'ai fait de même pour mon jeune patient. Constatant qu'il prenait des liquides dosé à 12mg, je lui ai dit que ce n'était sans doute pas suffisant compte tenu, et de son état psychologique encore trop fragile mais aussi de sa consommation de cigarettes habituellement très élevée.
A moins d'en consommer une dose élevée, la nicotine n'est pas dangereuse pour la santé. Il est donc important lorsque vous arrêtez la cigarette, que vous passiez par la cigarette électronique ou non, de songer qu'un sevrage à la nicotine n'est pas toujours sans danger et qu'un arrêt trop brutal peut s'assimiler à la descente d'un consommateur de cocaïne en manque.
Et oui, l'arrêt de la clope peut révéler un état psychologique anxio-dépressif sous-jacent.
02 février, 2015
Où je me montre jaloux et mesquin !
Dans mon boulot, c'est un fait, on est sensé être des adultes ayant fait le tour des passions humaines et les ayant rejetées au profit d'explications psychologiques alambiquées. La psyché, la connaissance intime de l'âme, c'est notre job alors Dieu sait si j'ai fait le tour de la mienne. Parfois, j'ai même l'impression d'avoir atteint l'ataraxie la plus complète et faire partie de la bande à Sénèque et Cicéron, c'est vous dire si je me la pète !
Et bien non ! Je n'en suis pas là. Tant mieux d'ailleurs parce que l'ataraxie complète, si elle empêche toute souffrance, est aussi l'antichambre de la mort. Et moi, j'aime bien vibrer un peu. J'aime la sagesse mais un peu seulement, disons juste ce qu'il faut pour me distinguer du commun des mortels, mais point trop pour ne pas devenir un vieillard étique revenu de tout.
La semaine passée, un de mes ex-patients m'adresse sa copine avec qui il est depuis quelques mois. Elle arrive, blonde, tailleur pantalon et escarpins noirs. Dans les cabinets de conseil on ne rigole pas ! C'est l'executive woman. On se croirait dans un film ricain dans lequel on verrait plein d'avocats courir partout et bosser la nuit ! Sa couleur est parfaite, c'est un beau balayage pas un truc qu'elle s'est fait toute seule dans son lavabo avec un produit acheté chez Carrefour (j'étais coiffeur pour dame dans une autre vie) !
Je la fais entrer et je me dis que j'aurais du mettre un costume. J'ai l'impression d'être un sac face à une princesse sortie de ses luxueux bureaux. Mais bon, c'est trop tard et puis elle me consulte pour mes compétences en psychologie et non pour mon élégance. Tant pis ! Je commence à l'écouter et à lui poser des questions.
Sa demande est vague alors je lui fais préciser des tas de trucs. Elle m'explique alors qu'elle a vu durant trois ans, une consoeur qu'elle a troué géniale et que jamais elle n'a vu quelqu'un d'aussi intelligent. J'ai beau prtiquer l'humilité tous les jours et tenter de ne pas sombrer dans le péché d'orgueil, ce que j'entends là me hérisse le poil. Ma nouvelle patiente vient juste de me dire que quel que soit mon niveau de compétences, det toute manière, je ne serai jamais aussi bien que ma consoeur qui elle était gé-nia-le !
J'ai juste envie de lui demander ce qu'elle fout dans mon cabinet à 21h30si elle connait quelqu'un d'aussi génial ! Serait-ce à dire que ma géniale consœur ne peut pas tout traiter ? Mais bon, plutôt que de réagir en trou du cul blessé par cette comparaison, je joue le grand garçon et me tais. J'apprends donc que ma consœur est diplômée de l'ENS, qu'elle a tout compris de la vie et qu'elle tient d’ailleurs un blog pour asséner ses vérités. Comme moi donc, sauf que je n'ai fait l'ENS.
Ayant gardé dans un coin de ma tête le nom du blog de ma consœur, pour aller le lire et savoir si elle est mieux ou non que moi, je me concentre de nouveau sur ma patiente. Comme je me dois à l'excellence, vu que je suis challengé par cette consœur géniale qui sans être présente dans le cabinet n'en étend pas moins son ombre sur notre entretien, je me dois de répondre à la demande de cette patiente.
Alors j'écoute, j'écoute, j'écoute. Je triture mes méninges pour comprendre ce que ma patiente attend de moi. Et d'un coup, d'un seul, tout s'éclaire, les nuages de l'incompréhension se dissipent et les mânes de Sénèque et Cicéron, deux vieux potes capricornes, m'aident à comprendre que sous son discours un peu précieux et emberlifocté, elle désire ce que bon nombre de femmes désire : un enfant. Sauf que quand on est cadre sup' dans le domaine du conseil, ça ne le fait pas d'avoir des désirs aussi prosaïques.
Alors toc, muni de ma plus belle masse, je défonce ses défenses et je lui parle moi du désir d'enfant qu'elle n'ose pas aborder. Elle pleure me dit que c'est ça. On aborde le sujet. Elle dit qu'elle est très bien avec le mec avec qui elle est depuis six mois. Moi en gars simple je lui dis, qu'elle a alors toutes les conditions parfaites pour faire son mouflet ! Et hop ! Elle sourit, elle est contente, elle me paye et m'explique qu'en rentrant, elle va dire à son mec qu'elle est décidée à faire cet enfant !
Bon, il semblerait que j'ai triomphé de ce nouveau cas mais je pense encore à ma consœur géniale. C'est ainsi que j'envoie le lien du blog de la consœur au Touffier afin qu'il me donne son avis. C'est mieux d'avoir un avis neutre. Moi, si j'avais lu son blog, soit je me serais dit qu'elle était vachement balèze parce qu'issue de l'ENS, je suis sur que c'est le genre à bien parler et à ne pas coller des marcassins partout. Ou alors, pétri de mauvaise foi, j'aurais survolé ses textes en cherchant la petite bête pour finalement me dire qu'elle était naze !
Le lendemain, je reçois un mail du Touffier dans lequel il démonte ma consœur comme un gitan le ferait de son stand de tir à la fin d'une fête foraine ! C'est un assassinat en règle et c'est bien écrit et très bien argumenté. La consœur prend tarif ! Ouf, je respire de nouveau, ma consœur ne semble pas si géniale que cela !
Moi qui avait peur d'avoir sombré dans le péché d'orgueil en me croyant devenu sage et revenu de tout, je suis rassuré en constatant que je peux être jaloux comme une teigne et pétri de mauvaise foi !
Je suis humain !!!
Aporie, vous avez dit aporie ?
Voici le commentaire que m'envoie un lecteur :
"Tout d'abord bravo pour votre blog que je lis avec un plaisir renouvelé.
Deux remarques cependant sur ce billet :
- Je m'étonne que vous avaliez le coup de l'exorcisme sans creuser plus avant dans votre propre domaine d'expertise. Pour moi, vous avez fait de l'ethnopsychiatrie sans le savoir en prenant en compte le cadre de référence de votre patient et en l'adressant au "spécialiste" épousant le mieux le cadre en question. Ça a marché et c'est finalement l'essentiel pour votre patient, mais cela ne démontre pas la validité des croyances religieuses sous-tendant la pratique de votre collègue en robe de bure.
- N'y a-t-il pas une contradiction épistémologique dans votre position ? Vous prétendez accepter ce qui dépasse votre intelligence, mais en réalité, vous comblez l'aporie à laquelle vous vous affrontez par des explications qui n'en sont pas, en l'occurrence d'ordre théologique. La véritable modestie intellectuelle ne consisterait-elle pas plutôt à dire "je ne sais pas" face à un phénomène inexpliqué, laissant ainsi le champ libre à un examen rationnel ultérieur, au fur et à mesure du progrès des savoirs positifs (qu'on se souvienne des épileptiques, tenus pour "possédés" pendant des siècles, comme le rappelle l'étymologie du terme...) ?
Bien à vous."
Deux remarques cependant sur ce billet :
- Je m'étonne que vous avaliez le coup de l'exorcisme sans creuser plus avant dans votre propre domaine d'expertise. Pour moi, vous avez fait de l'ethnopsychiatrie sans le savoir en prenant en compte le cadre de référence de votre patient et en l'adressant au "spécialiste" épousant le mieux le cadre en question. Ça a marché et c'est finalement l'essentiel pour votre patient, mais cela ne démontre pas la validité des croyances religieuses sous-tendant la pratique de votre collègue en robe de bure.
- N'y a-t-il pas une contradiction épistémologique dans votre position ? Vous prétendez accepter ce qui dépasse votre intelligence, mais en réalité, vous comblez l'aporie à laquelle vous vous affrontez par des explications qui n'en sont pas, en l'occurrence d'ordre théologique. La véritable modestie intellectuelle ne consisterait-elle pas plutôt à dire "je ne sais pas" face à un phénomène inexpliqué, laissant ainsi le champ libre à un examen rationnel ultérieur, au fur et à mesure du progrès des savoirs positifs (qu'on se souvienne des épileptiques, tenus pour "possédés" pendant des siècles, comme le rappelle l'étymologie du terme...) ?
Bien à vous."
En ce qui concerne le fait que je n'aurais pas creusé plus avant mon propre domaine d'expertise, c'est faux. Ces troubles existaient depuis près d'un an chez mon patient. Chacun sait que je n'ai jamais eu de position antipsychiatrique. Pour des pathologies lus bénignes j'ai d'ailleurs souligné les bienfaits des antidépresseurs à bien des patients qui n'en voulaient pas. J'ai toujours considéré que les médicaments seraient l'artillerie, tandis que mon patient et moi serions l'infanterie. Et comme chacun le sait, l'artillerie prépare le terrain et l'infanterie l'occupe.
Il m'arrive même de réfuter les explications psychologisantes quand des médecins m'envoient des patients qu'ils n'ont pu diagnostiquer. Voici deux ans, je parlais ici d'une femme âgée qu'un service de neurologie m'avait envoyé avec un diagnostic d'hystérie auquel je ne croyais pas mais que j'ai renvoyé dans un service de médecine interne qui a fini par trouver les causes de son état.
S'agissant de ce cas précis même si je doutais très grandement qu'il se fut agi d'une banale schizophrénie paranoïde, j'ai bien sur soutenu la famille lorsqu'il s'est agi d'interner mon patient quinze jours pour être mis en observation. c'était une précaution à prendre dans le cadre d'une obligation de moyens.
Pourtant, et bien qu'il ait été dans deux grands hôpitaux parisiens, force est de constater qu'il n'y a pas eu de miracles. D'une part, la qualité d'écoute de mes confrères a été déplorable, comme si son sort était lié dès le départ. Un type qui vous explique qu'il se sent "comme possédé" est nécessairement fou. Aucun des psychiatres qui l'ont vu n'a procédé à des examens bien poussés si ce n'est un scanner pour vérifier qu'il n'y ait pas de tumeur cervicale.
Mon patient a fait ce que bon nombre d'entre nous aurait fait, il s'est tu, se contentant d'adopter une position de fausse collaboration pour ne pas se mettre l'institution à dos et risquer un internement plus long. Il a donc honoré ses rendez-vous, se contentant de faire passer le temps en lisant dans les jardins de l’hôpital. De toute manière, le diagnostique de schizophrénie avait été lancé faute de mieux, son sort était scellé.
Il en est ressorti avec une ordonnance comprenant des neuroleptiques atypiques qui n'ont rien fait. Comme il me l'expliquait, il se sentait défoncé mais ses "sensations" restaient les mêmes. C'est à dire que les neuroleptiques n'avaient aucune efficacité sur lui. Il a donc cessé de les prendre.
Voyant que la "science officielle", n'aurait pas d'efficacité sur lui, il s'est mis à lire et a pu faire son autodiagnostic lui-même. Il se sentait possédé, cela lui est apparu évident. Pour ma part, je l'ai toujours écouté patiemment sans remettre en cause ses explications, ni jamais y adhérer totalement. Il a enfin admis que le terme de possession était trop fort et qu'il serait plus judicieux de parler d'obsession s'il tenait à utiliser ce cadre.
Dans le même temps, sachant qu'il s'était adonné, par jeux, à des "pratiques magiques", ouverture de chakras et sorcellerie, avec prise de produits stupéfiants (ce n'est pas neutre !), je me suis mis à fouiller sur le net où j'ai découvert cela. Ce texte ainsi que de nombreux autres décrivaient l'état de mon patient mieux qu'aucun des diagnostics du DSM. J'en ai parlé à deux vieux psychiatres qui m'ont confirmé avoir déjà eu ce type de cas, des adultes jeunes découvrant des pratiques orientales et restant "perchés". Les deux ont reçu mon patient et on confirmé que ce n'était pas une schizophrénie mais "autre chose". Aucun n'a souhaité l'interner.
Nous avons aussi abordé la possible existence d'une épilepsie temporale qui serait responsable de ses hallucinations cénesthésiques. Face à la souffrance de mon patient et au risque suicidaire, il a été décidé que nous agirions sur deux plans. D'une part, un plan surnaturel qui consisterait en un exorcisme réalisé par un prêtre dont c'est la mission. Mon patient n'ayant pas été satisfait des services du diocèse de Paris, j'ai du chercher un autre prêtre.
Enfin, la piste naturelle n'a pas été abandonnée pour autant et un rendez-vous a été pris auprès d'un épileptologue réputé afin d'étudier son cas. J'ai d'ailleurs exigé que mon patient suive ces deux pistes car il m'était impossible de me fourvoyer dans le surnaturel tant que le naturel n'aurait pas été complètement exploré. Le "timing" a fait qu'il a vu le prêtre en premier et que les résultats ont été visibles en vingt-quatre heures et qu'ils n'ont cessé de s'accroitre. Voici quinze jours, mon patient souhaitait mourir et cette semaine il est au ski. Avouez que c'est étrange non ? Cependant, il s'est engagé à maintenir son rendez-vus chez l'épileptologue.
J'ai bien sur fait de l'ethnopsychologie mais en le sachant. Si j'avais eu un patient d'une autre religion, j'aurais fait en sorte qu'il voie quelqu'un ayant les mêmes présupposés spirituels que lui. C'est une évidence. D'ailleurs ce sont les chrétiens, devenus matérialistes et scientistes, qui nous consultent pour cela. Les autres semblent accepter plus facilement les explications surnaturelles. Mais je n'ai pas fait que cela.
Face à cette "aporie", cette difficulté à trancher un problème, j'ai juste écouté mon patient sans remettre en cause ses explications, en lui proposant ces deux pistes. Il ne s'agissait pas de verser dans le mysticisme comme un crétin mais surtout de prouver à mon patient qu'il était écouté et compris. Dans ma profession, l'alliance thérapeutique c'est quatre-vingt-dix pour cent du travail. Le patient et moi, nous devons collaborer. Il ne s'agit pas pour moi de me laisser berner pas plus qu'il ne s'agit de prendre pour vrais tous les délires. Justement, il s'agit de faire la part des choses.
Et comme je l'ai répété mille fois, mon patient me parlait normalement de choses anormales. si j'ai pu éloigner la piste psychiatrique (confirmée par deux psychiatres), je n'ai jamais totalement abandonné la piste neurologique. La neurologie est pleine de ces délires totalement incroyables comme le délire de Capgras, la prosopagnosie ou encore le syndrome de Frégoli. Oliver Sacks, neurologue, fait d'ailleurs état de ces pathologies surprenantes dans son livre L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau.
Aujourd'hui encore, je ne sais pas si c'était un cas relevant du surnaturel ou non. Je constate que l'exorcisme a mieux fonctionné que les molécules qu'on lui a administrées. C'est un fait. On peut bien sur imaginer qu'il s'agissait de suggestion, parce que mon patient croyait plus en Dieu qu'en la science, ou encore que le decorum avec ce moine en robe de bure et des prières d'exorcisme ont eu un effet tel qu'il a pu entrainer des conséquences neurologiques.
C'est possible, tout est possible. En l’absence d'examens ayant été faits avant (EEG par exemple) que l'on aurait pu comparer à maintenant, il est impossible de crier au miracle et d'en déduire que la possession existe, pas plus qu'il est possible de nier l'efficacité de l'exorcisme, quelle soit la manière dont cela a fonctionné.
Mon aporie, si tant est qu'elle existe, ne résulte dont pas du fait d'une difficulté à trancher mais bien d'une impossibilité à trancher tant les données relatives à ce cas sont inexistantes. D'un côté il y a eu des "scientistes" sautant à pieds joints sur le diagnostic de schizophrénie et de l'autre, des gens plus ouverts d'esprit qui ont écouté ce patient et ont laissé ouvertes les portes menant à des explications sortant largement des sentiers battus.
On a même pu invoquer la prise de stupéfiants pour expliquer cet état tant l'usage de certaines drogues peut amener certaines personnes à connaitre des bad trips. Et donc, si tel était le cas, pourquoi pas ? Il n'empêche qu'aucune molécule n'a pu le faire redescendre sur terre et que c'est l'exorcisme qui a agi.
Résoudre une aporie ne consiste pas pour autant à se retrancher dans un monde que l'on connait au motif que notre rationalité repousse ce que notre intelligence a du mal à comprendre. Triturer la raison de manière à ce qu'elle cadre avec ce que l'on connait du monde revient à être un mauvais flic qui extorquerait des aveux à la personne qui est en garde à vue. C'est satisfaisant sur le moment mais moins par la suite. Il s'est passé quelque chose, quoi, je n'en sais rien. Je ne suis pas prêtre pas plus que neurologue. Face à la détresse de mon patient, j'ai juste rempli mon obligation de moyens. Je suis aussi ravi d'avoir pu collaborer avec deux psychiatres honnêtes qui ont admis ne pas savoir.
Et il reste encore le rendez-vous chez l'épileptologue qui nous apprendra peut-être plus !