Chemin des dames !
On ne cesse de me dire : vu la morosité ambiante, tu ne dois pas manquer de patients ! Et bien non, ce n'est pas la folie. Pourquoi ? Parce que, sans le vouloir j'ai toujours eu une patientèle particulièrement intelligente. Je l'ai souvent écrit ici, je me suis toujours vu comme un entraîneur de chevaux de course. Non que je me prenne moi-même pour l'un d'eux car je suis bien trop humble pour cela même si vous l'admettrez, rien n'est oins humble que de se dire humble !
Je ne compte plus les X, Centrale, Mines et autres écoles d’ingénieurs ou bien les grandes écoles de commerce, tous les IEP ou les médecins. Rassurez-vous je compte aussi pas mal d'autodidactes soit que leur paresse naturelle ait empêche leur talent de s'exprimer à travers les études ou bien qu'ils aient préféré choisir la libre entreprise plutôt que d'user leurs fonds de culottes sur des bancs d'écoles. Je ne suis pas sectaire. D'ailleurs celui qui a le mieux réussi financièrement et me parlait d'acquérir une Aston Martin, n'a que le bac. Et comme il est intelligent, il a renoncé à cet achat stupide pour conserver sa vieille Fiat.
C'est sans doute une clientèle qui me correspond parfaitement. Non que je ne jure que par les diplômes mais qu'à un certain niveau, on évite les bourrins laborieux et les connes à fiches bristol pour ne garder que les meilleurs : les vrais talentueux. Étant moi-même parfois un peu spécial, il est préférable que j'évite ceux que l'on nomme les normies qui risqueraient de voir dans mon approche thérapeutique particulière mais toujours respectueuse, je vous rassure, un sujet d'effroi !
Le fait d'être en totale congruence avec ma patientèle particulière m'a par exemple permis d’avoir une discussion passionnante avec un brillant polytechnicien pour savoir ce qui différenciait le pâté d'une terrine. Et c'est à ce moment qu'une charmante et jeune IEP, qui assistait a notre conversation, les yeux remplis d'admiration pour de si beaux esprits que les nôtres, nous a assuré que la terrine n'était qu'une métonymie visant à confondre le contenant dénomme terrine et le contenu qui n'est qu'un pâté. Une terrine et pâté sont donc similaires. Qu'est-ce qu'ils sont intelligents et cultivés les Sciences-po !
Mais venons en au fait ! Alors j'ai toujours considéré que la vie était une sorte de train qui est en marche et que pour différentes raisons, certains étaient forcés d'en descendre ou incapables d'y monter. En ce cas, mon job, ça a toujours été de les rassurer et de leur dire que, oui on pouvait remonter ou monter dans el train, et qu'il réservait sans nul doute de belles surprises. Même si malgré ma bonne volonté je ne puis garantis personne contre les aléas de la vie. Ça a généralement bien fonctionné et je crois avoir été efficace la plupart du temps à différents niveaux. Certains ont connu la réussite, d'autres l'amour, d'autres encore les deux.
Puis, il y eu Macron et le Covid et ma foi, le train est resté à quai. ma patientèle, victime de son intelligence, n'y croit plus. On ne me parle plus que de ruine prochaine et de guerre civile inévitable. Certains sont déjà partis à l'étranger et d'autres font plus que d'y songer et s'y prépare activement. J'ai l'impression d'être un chef de régiment (maintenant j'ai carrément l'âge d'être colonel) et de commander un assaut au Chemin des Dames sous les ordres du général Nivelle ! Viendra un jour ou mes patients me chanteront la chanson de Craonne "Adieu la vie, adieu l'amour".
C'est vrai qu'entre la pression fiscale écrasante assortie de réglementations toutes plus démentes les unes que les autres, le temps n'est pas au beau fixe. Rajoutons à cela, une insécurité endémique à laquelle s'agrègent des pénuries en tous genres et des services publics hors de prix et inefficaces, et admettons qu'il n'y a pas beaucoup de raisons d'espérer. Et pour couronner le tout, admettons que nous avons une classe politique composée pour quatre vingt-quinze pour cent de voyous ou de crétins. Pour plus de renseignements sur cette gabegie, reportez vous à mon confrère H16.
Pas facile dans ce cas, quand on est intelligent et lucide de voir le bout du tunnel. Parce que l'intelligence, la vraie, celle qui compte, pas la fausse tout juste bonne à passer des concours, s'accompagne toujours d'une extrême sensibilité. Et quand on est brillant, c'est à dire intelligent ET sensible, on sait qu'on va droit dans le mur et que l'on y va de plus en plus vite. Ainsi une jeune patiente, âgée de tout juste trente quatre ans, dont je pourrais donc être le p§re, m'expliquait qu'elle avait conscience d'avoir vécu ce qu'il y avait de meilleur. C'est triste à entendre.
Parfois, la lucidité c'est effroyable et l'on se rêve gauchiste, heureux dans une réalité parallèle croyant en un état tout puissant et une république maternelle comme un enfant croit au Père Noël. Mais bon, comme chacun sait que l'on ne peut être intelligence et de gauche, il faut bien l'assumer cette effroyable lucidité. Mais souvenons qu'elle peut aussi être trompeuse. Parfois on voit l’horizon couvert et bloqué et l'on n'ose aller plus loin alors qu'avancer aurait suffit à trouver un endroit plus verdoyant où retrouver l'espoir.
Foi, charité et espérance sont des vertus théologales. Alors gardez l'espérance en vous et dites vous que même si vous pensez qu'après la pluie, viendra la neige, le soleil reviendra. Je ne vous parle pas d'espoir mis d'espérance. Car tandis que l'espoir est le fait d'attendre et désirer quelque chose de meilleur, l'espérance est une confiance pure et désintéressée en l'avenir.
Rassurez vous, je ne fonctionne pas différemment que mes patients, j'ai les mêmes soucis, les mêmes inquiétudes. Ce qui me sauve ? Mes petits exercices cognitifs. Comme vous le savez, j'aime la guerre de 14-18, la Grande Guerre, parce que c'est la fin d'un monde. Je crois avoir lu tout ou presque ce qui s'y rapporte et mes deux grand-pères l'ont faite. Alors parfois quand je me laisse aller à la morosité ou au désespoir, je pense à eux à Verdun dans la boue, parmi les morts et sous les obus et je me dis qu'il y a tout de même eu un onze novembre qui a mis fin à cette boucherie.
Sur ces bonnes paroles, mon sermon est terminé. Alors chers lecteurs, allez en paix et continuez d'espérer !
On les aura !