Gabriele Amorth est le chef des exorcistes du Vatican. Autant vous dire que quand il s'exprime sur le sujet, c'est un cador qui vous parle et pas un scénariste hollywoodien féru d'effets spéciaux. Il a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet dont un qui s'intitule
Exorcisme et psychiatrie. Parce qu'il n'est pas contre la psychiatrie, bien au contraire. Il admet que l'on doive toujours faire en sorte de distinguer la maladie mentale de la possession. C'est honnête de sa part. Parce que de l'autre côté, les scientistes, adorateur de la Science, ne font pas toujours le
distingo et continuent de traiter des cas qui ne relèvent pas de leur spécialité.
Les lecteurs qui me suivent sont au courant que voici quelques temps, j'ai Jésus dans ma clientèle. Non pas le Vrai qui serait venu me serrer la paluche en bon capricorne qu'Il est mais un autre, un jeune patient dont le cas n'a cessé de m'étonner. Jésus, je le connais bien. Tout allait pour le mieux dans sa vie et puis un jour, il a déraillé sévèrement. Et ma foi, je n'ai jamais trouvé ce qu'il avait.
Bien sur, j'ai pensé à la schizophrénie mais ce n'était pas cela. Cela ne servait à rien de s'enferrer dans ce faux diagnostique parce que j'avais autre chose en face de moi. Et il aurait fallu être un bien mauvais psy pour se satisfaire de ce diagnostique commode de schizophrénie. Comme le dit un vieux psychiatre de mes amis : la vraie schizophrénie est rare et il y a plus de mauvais psychiatres que de vrais schizophrènes.
J'avais en face de moi un type tout à fait normal qui me racontait des choses totalement anormales. Lui-même avait bien conscience que ce qu'il ressentait semblait complètement fou. J'avais aussi une connaissance intime du sujet, car Jésus je le connais depuis des tas d'années. Je l'avais vu quand il était plus jeune. Je savais aussi qu'il était du genre à s'adonner depuis peu à des expériences mystiques un peu curieuses. Et on en pensera ce que l'on veut, mais il y a des portes qu'il ne vaut pas mieux pousser.
Jésus, comme il n'a peur de rien et qu'il a une force psychique peu commune, il y est allé avec entrain dans ces pratiques curieuses, ces chemins de traverse de la connaissance, pour voir, simplement pour voir. Alors de la pratique de la sorcellerie, oh juste un ou deux petits rituels, rien de plus, jusqu’à l'ouverture des chakras, il a essayé des tas de trucs. Jusqu'au jour, où il s'est senti tout drôle.
Comme il ne cessait de me le dire, il se sentait habité par quelqu'un, ou quelque chose, une sorte d'entité qui aurait capté toutes ses pensées, aurait entretenu un dialogue permanent avec lui tout en le faisant souffrir via des hallucinations cénesthésiques telles que des coups ou des brulures. Comme je suis le gars ouvert d'esprit, je l'écoutais Jésus tout en tentant de capter le moindre signe qui m'aurait permis de me dire qu'il était barré et qu'il était grand temps de confier le cas à un hôpital.
L’hôpital on a bien tenté mais dans le service psychiatrique, ils n'ont rien trouvé de probant. Ils n'ont pas retenu la schizophrénie mais on parlé d'état psychotique mixte ou un truc de ce genre, bref rien de précis sauf qu'il fallait qu'ils écrivent un truc. Alors Jésus est revenu me voir parce qu'on s'entend bien et qu'il sait que si j'ai les pieds sur terre, je suis capable d'écouter ses histoires sans le prendre pour un fou.
Je lui ai mis le marché en main en lui disant que l'on allait suivre les deux voies, la voie naturelle en l'adressant à un spécialiste de l'épilepsie parce qu'il aurait pu s'agir d'une épilepsie temporale et que dans ce cas, c'est de la neurologie et que cela dépasse mes connaissances. Mais aussi la voei surnaturelle et que j'allais m'employer à trouver une solution qui une fois encore dépasse mes connaissances parce que l'exorcisme, j'avoue que j'en fais peu.
Je lui ai pris deux rendez-vous avec deux vieux psychiatres en qui j'ai toute confiance. Des gars qui ont fait cinquante ans de psychiatrie, des vieux
chibanes comme on les qualifierait dans l'armée de l'air s'ils étaient pilotes, des mecs à qui on le fait pas, qui ne s'émeuvent plus d'un rien, tellement ils ont vu de barges dans leur vie !
Une fois encore, les deux vieux ont été d'accord avec moi. Il ne s'agissait pas de schizophrénie et plus curieusement encore, ils ont admis qu'ils avaient déjà été confrontés avec ce genre de cas lorsque des gens s'adonnaient à des pratiques mystico-religieuses. C'est ce que j'avais noté en farfouillant dans le
net. L'un d'eux était d'accord pour lui refourguer une molécule et attendre, tandis que l'autre étant opposé à tout internement, n'était même pas pour un traitement.
Moi, de mon côté, comme au bout de toutes ces années de pratique, je commence à avoir un petit réseau, j'ai trouvé un exorciste. Un, bon, un vrai, pas un cureton qui vous reçoit et qui tandis que vous lui parlez du diable s'ingénie à vous répondre en psychologisant parce que vous comprenez bien que le diable en 2015, faut être un peu dérangé pour y croire.
Celui qu'on m'a recommandé, il exerce à Rome et il revient tous les mois en France durant un weekend. C'est un vieux modèle, pas un prêtre en costume noir, mais un moine en robe de bure qui ne déparerait pas dans le film
Le nom de la rose !
Jésus il était à bout e toute manière. Comme il me le disait, il se sentait torturé nuit et jour et il songeait au suicide. Alors rendez-vous a été pris et moi je n'ai fait que le soutenir. A la fin, il n'y croyait même plus alors je l'ai engueulé en lui disant que je n'avais pas fait tout cela pour rien.
Alors, comme un condamné à mort irait vers la guillotine, il y est allé. C'était en province qu''avait lieu le rendez-vous. Ses parents l'ont emmené. Ça devait leur faire drôle d'emmener leur fils à une séance d'exorcisme, surtout que je les connais bien ses parents, et que c'est plutôt le modèle intellos de gauche ! De toute manière comme rien ne marchait plus, ila bien fallu qu'ils ravalent leurs idées et qu'ils y aillent à ce rendez-vous.
C'était un dimanche que cela a eu lieu. J'avais rendez-vous avec Jésus le mardi suivant. Le dimanche soir, il m'envoyait déjà un SMS me disant qu'il sentait du mieux. Et le mardi, quand j'ai ouvert la porte pour le recevoir, ce n'était plus le même. Il était détendu, souriant et il m'avouait que s'il restait quelques symptômes, il notait une grande amélioration.
Il m'a raconté que le prêtre exorciste était plutôt sympa et souriant, qu'il l'avait écouté et penchait pour une infestation plutôt que pour une possession. Les symptômes que ressentaient Jésus lui étaient parfaitement connus et le rituel s'avérait particulièrement efficace pour les combattre. Alors, il a prié et a même dit Satan je te chasse, comme dans les films d'horreurs ! Et là, Jésus a ressenti un truc bizarre en lui et même des trucs physiques comme si quelque chose s'agrippait en lui pour y rester. Le vieil exorciste lui a ensuite recommandé certaines pratiques religieuses en lui disant qu'ils se reverraient dans deux mois.
Voilà ! Voilà tout ce qui avait été fait et j'avais le résultat sous les yeux. Ce type qui une semaine auparavant pensait au suicide comme seul moyen de se libérer après huit mois de lutte, se sentait enfin apaisé même s'il reconnaissait qu'il restait encore à faire. Il était souriant, content et confiant en l'avenir. Tellement confiant que l'après-midi même on le voyait se pointer à une séance de cafing, même que les gens qui l'avaient connu si sombre et désespéré, ne le reconnaissait plus.
Tellement bien que le lendemain, tandis que je déjeunais avec Jean Sablon, ce dernier reconnaissant le changement complètement incroyable qui s'était opéré en Jésus, me demandait "mais tu y crois toi à l'exorcisme ?". Alors que penser de toute cette histoire.
Moi, je reste très prosaïque comme je l'ai expliqué à Jean Sablon. Je crois que dans mon métier, j'ai une obligation de moyens à assurer, c'est ma responsabilité juridique. Et puis c'est ma nature, il faut que je trouve, quitte bien sur à m'adresser à des praticiens d'autres disciplines que la mienne ! Je ne suis pas toutologue, loin s'en faut !
Enfin, même si j'ai des idées arrêtées, par exemple si je considère que le socialisme c'est merdique, je ne suis pas dogmatique pour autant. Je crois juste en ce qui marche. L'exorcisme a marché, j'y crois voilà tout. Et si il faut pour se rassurer, penser que ce n'était que de la suggestion, pourquoi pas après tout. Moi, je ne le pense pas, j'ai vu quelque chose, quelque chose que je ne connaissais pas et qui m'était inconnu et qui foutait un sacré bordel dans la psyché de Jésus, allant jusqu'à tout désorganiser sans pour autant que Jésus ne perde UNE SEULE FOIS le sens des réalités. Voilà tout.
Je crois aussi que l'intelligence peut-être un piège et qu'il y a un vrai péché d'orgueil qui serait celui de l'intelligence, quand on veut à tout prix penser que notre intelligence serait capable de tout circonscrire et que ce qui la dépasse n'existerait tout simplement pas. Je crois pourtant aux atomes que je ne vois pas de la même manière que je crois aux bactéries et aux virus.
Qu'il s'agisse de la science, et le pauvre
Semmelweiss a payé cher l'aveuglement idéologique de ses confrères, ou de la pratique psychothérapeutique, l'intelligence doit nous ouvrir à d'autres champs d'expérience et non nous enfermer comme des militants dans ce que l'on sait, ce que l'on maitrise parce que c'est rassurant. Comme le dit Sherlock Holmes,
quand vous avez éliminé, ce qui reste, même improbable, doit être la vérité.
Et puis à l'instar de mes deux vieux confrères, si Dieu me prête vie, ce sera sympa le grand âge venu, de me souvenir que je n'ai pas traité que des dépressions ou de l'angoisse, des toxicomanes ou des alcooliques, mais que moi aussi, je me souviendrai qu'une fois, j'ai eu un cas étrange, un drôle de patient que je surnommais Jésus, qui m'a fait perdre mon latin ...
C'est une maladie naturelle à l'homme de
croire qu'il possède la vérité directement ; et de
là vient qu'il est toujours disposé à nier tout ce
qui lui est incompréhensible ; au lieu qu'en effet il ne connaît
naturellement que le mensonge, et qu'il ne doit prendre pour véritables
que les choses dont le contraire lui paraît faux.
Blaise Pascal, De l'esprit géométrique, 1658