Est-ce le temps, est-ce la saison ? Toujours est-il que je viens de recevoir un stock de braves petites soldates. Toutes taillées sur le même modèle ! Bachelières deux ans si ce n'est trois avant la date convenue, issues des classes préparatoires, puis diplômées de grandes écoles, ou encore de l'université, issues d'excellents milieux, telles sont mes braves petites soldates !
Lorsque je les écoute me réciter leur pédigrée, j'en ai le tournis. Je me sens alors vaguement coupable et les efforts qu'elles ont déployés depuis leur plus jeune âge pour être les meilleures me donnent le tournis. Je ne savais même pas qu'on pouvait autant persévérer et réussir ! J'ai l'impression d'être un brave percheron écoutant les exploits de juments de courses ! A elles le Prix de Diane, à moi la pâture dans un champ.
Lorsqu'on les observe, on ne se demande plus pourquoi les femmes cartonnent aux concours administratifs. Que ce soit dans la magistrature, la police, l'enseignement, la médecine, elles sont partout, trustant toutes les meilleures places et nous laissant leurs restes. Encore quelques dizaines d'années et nous vivrons dans un gynécée gigantesque, n'occupant plus que des emplois médiocres soumis à leurs désirs de perfection, à leurs contingences et à leurs lois.
Bien sur, je n'en crois rien ! Je fais exprès d’imaginer un pareil avenir alors que je sais qu'il n'aura jamais lieu si ce n'est dans les livres de sciences-fiction ou plus exactement dans une dystopie. Parce que dussè-je passer pour un vieux con, un sombre salaud ou ce qu'il plaira d’imaginer à mon sujet, je sais que nous sommes différents. Et même si à la marge, je ne conteste pas qu'il puisse exister des femmes très phalliques, le grand mot est lâché, et des hommes sans aucune ambition, ce n'est pas la majorité de l'espèce.
Tandis que l'écrasante majorité des hommes, moi y compris, ne cesse d'entrer en compétition, c'est plus rarement le cas des femmes. Un jour, mon épouse qui n'est pas pourtant une petite chose, m'avait révélé que cela l'amusait de me voir avec mes amis. Tandis que je revendique une sensibilité hors du commun qui me fait dire parfois que j'ai une jeune fille qui vit en moi, une coconne avec des macarons et une robe à smocks, il n'en reste pas moins que plongé dans un monde d'hommes, je dois la ramener et ouvrir ma grande bouche.
J'ai beau détester le sport et la compétition en général, très bien m’entendre avec les femmes, je dois avouer que je ne suis pour autant pas un gros nounours, je secrète vingt à quarante fois de testostérone qu'une femme. C'est donc ce qui avait marqué mon épouse, que mes amis et moi, nous puissions nous envoyer des scuds dans la face alors que nous nous entendons fort bien. En gros, c'est à celui qui atomisera l'autre fut-ce sur le ton de la plaisanterie. C'est même tellement vrai que j'ai déjà vu Lapinou, pourtant gaulé comme une crevette, s'en prendre au massif Gringeot. Même ce petit con, gorgé de testostérone comme un jeune coq, ose nous prendre de haut et de face ! C'est ainsi, c'est endocrinien.
D'ailleurs, même chez mes chers petits patients, pourtant sensibles comme des jeunes filles et délicats comme des primevères venant d'éclore, c'est la même chose. Ils ne se plaignent pas de leur sensibilité mais ils voudraient mieux la vivre. Ce qui les ennuie, c'est de manquer de virilité. Ils ont beau avoir tous les attributs, poils et testicules, ils aimeraient eux aussi pénétrer ce vaste monde d'un ample coup de bassin comme le fait le Gringeot.
Ils ont beau être ingénieurs, médecins, pharmaciens, que sais-je encore, s'abriter pour un moment derrière leurs titres et leur culture, voire leur argent pour certains, ils rêvent pourtant de se battre comme des chiffonniers, de se bourrer la gueule à la bière et de choper des gonzesses. C'est sans doute un peu réducteur de dire cela mais cette putain de testostérone est là. Gratter la sensibilité et la culture d'un mec et derrière vous aurez toujours un barbare.
C'est justement la différence de mes petites soldates qui, bien qu'étant à leur manière dotées d'un pôle masculin affirmé, ce que Jung appelait un animus, n'en restent pas moins des femmes. Et croyez le ou non, dès que l'on gratte un peu, qu'on écoute leurs histoires, il y a toujours un mec derrière. Au d"part, il y asouvent papa pour l'amour duquel on a voulu être une petite fille modèle doublée d'une redoutable intellectuelle ou scientifique ! Papa à qui l'on a voulu montrer qu'en plus d'être la plus jolie, on était la plus intelligente.
A vrai dire mes petites soldates, bien que fort jolies, se soucient peu de leur féminité. Elles se sont surtout axée sur l'intellect. Elles s'en fichaient un peu d'être les plus jolies. Ayant souvent joué le rôle de garçon par défaut, celle sur qui reposent tous les espoirs, qu'elles soient fille unique ou bien que leur(s) frère(s) n'ait pas rempli le contrat consistant à continuer la dynastie, et les voici surinvestissant leur pôle masculin.
Et comme des réacteurs qui seraient perpétuellement en post-combustion pour assurer toujours plus de puissance au décollage, les voici toutes parvenues à un moment de leur vie où elles s'interrogent. Quid de leur carrière ? Quid de leurs ambitions dont elles se prévalaient pourtant. Il n'en reste rien. N'ayant jamais séduit papa, elles peinent à trouver un type bien. Faisant un peu peur aux hommes, lles se contentent souvent d'un type fade et mou, à moins qu'elle ne doivent endurer un de ces types sensibles qui leur conviendraient parfaitement, s'il n'avait pas le malheur d'être comme elles mais à l'inverse, confronté à son pôle féminin dans lequel il se perd.
Les voici donc, les pauvrettes, parées de leurs diplômes et auréolées de leurs succès, échouées sur les rivages de l'amour. C'est beau non comme image ? C'est ainsi que fatiguées par tant d'années passées au front, lassées de victoires qui n'en sont pas à leurs yeux, elles viennent me voir, percluses d'angoisses, se demandant ce qu'elles vont bien pouvoir faire de leur vie. Papa n'est toujours pas séduit ou du moins il ne le montre pas et l'homme de leur vie n'est pas celui dont elles rêvaient.
Bref tandis que mes petits gars sensibles rêvent d'accéder au monde pour avoir la femme, mes petites soldates rêvent d'accéder à l'homme pour avoir une place dans le monde. A notre époque, cela apparait terriblement sexiste comme remarque, et cela doit bien tomber sous le coup d'une loi quelconque, mais c'est ce que j'observe chez mes petites soldates. Et pourtant, elles ne sont pas tendres avec moi. Elles me challengent sans cesse, ne cessant de me confronter à une obligation de résultat que la loi ne m'oblige pourtant pas à avoir.
Façonnée par les auto-injonctions telles que "il faut que" ou "je dois, elles projettent leur besoin d'excellence sur moi. Il faudrait que tout soit réglé en deux temps trois mouvements, c'est tout juste si elles ne me demandent pas à faire des exercices à la maison, en bonnes élèves et parfaites petites soldates qu'elles sont. Alors je recommande Sénèque ou Epictète, ça permet de lâcher prise.
Mais rien de plus parce que justement, je voudrais qu'elles détèlent un peu, prennent la vie différemment et cessent d'être au front pour bénéficier d'une permission bien méritée. Qu'elle fassent le deuil de cette relation infantile qu'elles ont avec papa pour tenter d'en renouer une plus épanouie et mature. Qu'elle se souviennent qu'une femme de tête c'est magnifique pourvu qu'elle n'en oublie pas d'être femme d'abord. Parce que sinon, l'animus mal réglé, c'est très pénible, ça fait des machines à débiter des opinions tranchées et sans appel, ça lasse même le plus gentil des mecs.
Non qu'un homme ne puisse être contesté bien sur, mais simplement qu'un débat soit plus sympathique qu'une oukase. Surtout que cet animus, lorsqu'il s'enfle, gonfle et prend toute la place de la psyché a toujours du mal à perdurer. Alors de temps en temps, la guerrière s'écroule et laisse place à une petite fille paumée, pantelante et sans défense. On ne sait plus sur quel pied danser, pas plus qu'elle ceci dit.
C'est dans ces moments là que mes petites soldates me confient qu'elles adoreraient être malade pour de bon, ou avoir un truc grave, qu'on voie enfin leur fragilité. De toute manière, leur stress est tel qu'elles décompensent souvent et somatisent ! Une autre m'a un jour confié qu'elle achetait des chaussures à talons
qu'elle n'osait pas porter. C'est sur, dès fois qu'on la prenne pour une
fille et qu'on lui colle le stéréotype de la pauvre petite chose
fragile !
Enfin, quels que soient l'ampleur des symptômes, tout cela n'est pas si grave. Et je ne nie pas leur souffrance, je ne m'alarme pas pour autant. Les plus atteintes vont d'abord chez leur médecin préféré faire une cure d'ISRSNA et d'anxiolytiques avant de venir me voir. Parce que quand le touy dégénère en dépression anxieuse, il y a toujours un risque suicidaire. Et le pire c'est qu'elles en seraient capables ! Dépitées d'avoir déçues papa en n'étant pas les guerrières de leurs rêves, elles préféreraient mourir que d'apprendre à mieux vivre. Alors je fais attention tout de même.
Et puis après, cela se passe bien. On apprend à se connaitre. Elle mes tapent un peu dessus, exigent, s'agacent mais comme je suis doué en défense et que mes murailles sont inaccessibles, je n'en meurs pas. Lassées, elles finissent par m'avouer leurs failles comme autant de péchés honteux. Récemment l'une d'elle n'osait pas aller à une conférence toute seule, alors qu'elle n'hésite pas, lorsque je tergiverse et tente d'atténuer ses prises de positions radicales, à me traiter de gay !
Mais bon, au final, on en rit, on améliore ce que l'on peut, on apprend à vivre avec le reste et on s'humanise. Et on s'aperçoit que la vie loin d'être le concours de Normale sup' n'est pas si compliquée que cela !