L'immense majorité des gens que je reçois est sans mystère, on les perce à jour sans aucun problèmes. Ce sont ds gens comme vous et moi, de simples cas d'anxiété ou de dépression comme il en existe des dizaines de milliers. Leurs comportements qui passeraient pour étranges aux yeux de non spécialistes ne sont jamais mystérieux pourvu qu'on les inscrivent dans un cadre clinique convenable.
Bien que n'en ayant jamais rencontré, je pense que les tueurs en série qui passionnent les foules et font de si bons sujets de cinéma ne provoqueraient en moi aucune surprise non plus. Même si l'on spécule sur l'origine de ces troubles, la sociopathie et la psychopathie n'ont rien de très mystérieux. On a même pu envisager une échelle de prédiction de la dangerosité des individus, c'est vous dire si ces comportements sont prévisibles. La psychiatrie criminelle utilise
différents outils dont l'échelle de Hare pour prévenir les risques.On parle alors de dangerosité psychiatrique ou criminologique selon que le sujet ait ou non une pathologie psychiatrique avérée.
Et puis s'agissant d'hommes non schizophrènes, on peut aisément comprendre que des mauvais traitements entrainant une rage et une frustration alliés à un taux de testostérone importants amènent des fantasmes morbides qui dégénèrent parfois en violence. Finalement du tueur en série au militaire de carrière, les hommes se distinguent souvent par un potentiel de dangerosité important. Passer du normal au pathologique peut se faire en quelques instants.
En revanche, et sans doute parce que j'ai un préjugé positif sur les femmes, je suis toujours étonné lorsque j'ai face à moi une femme chez qui je décèle un potentiel de dangerosité. Les cas sont beaucoup plus rares et l'histoire criminelle fait état de bien peu de cas de tueuses comparé au nombre de tueurs. Il est à noter que bon nombre de ces tueuses ayant défrayé la chronique sont avant tout des femmes ayant été associées aux crimes de leur conjoint. Comment juger les cas de
Monique Olivier, la compagne de Michel Fourniret ou encore celui de
Karla Homolka, compagne de Paul Bernardo, qui ira jusqu'à lui livrer sa jeune sœur afin qu'il en abuse et la tue ?
Si l'on se penche sur ce second cas, parmi les explications avancées pour expliquer le comportement de Karla Homolka, on avance qu’elle était excitée par la menace qu’elle ressentait avec Bernardo. On parle alors d'hybristophilie". L’hybristophile (du grec "hybrizein", commettre un outrage contre quelqu’un et de "philie", qui aime) est excité sexuellement par le fait de savoir que son partenaire a commis un acte violent tel qu’un viol, un meurtre ou un cambriolage de banque. Bonnie Parker (l’amie de Clyde Barrow) était sûrement une hybristophile.
Selon le professeur
John Money, un spécialiste en sexologie, «
le comportement de l’hybristophile n’est pas complaisant, mais complice : la complaisance signifie que vous suivez des instructions ; la complicité signifie que vous devenez volontairement l’équivalent du partenaire ».
Même si cet éminent professeur de psychologie avait raison, je trouve qu'il en reste à des jugements hâtifs. En effet, contrairement à son compagnon qui passe à l'acte pour assouvir un fantasme sexuel, rétribution immédiate amenant un soulagement d'une tension, il me semble que la femme hybristophile possède des motivations bien plus complexes. Les quelques cas d'hybristophilie que j'ai eu à connaitre avait tout du délire à deux, ce type de délire non schizophrénique dans lequel un individu plus faible en vient à vivre sous la coupe d'un grand paranoïaque. La seule différence réside dans le fait que contrairement au conjoint(e) d'un grand paranoïaque qui est entrainé(e) malgré elle(lui) dans le délire, il semblerait que l'hysbristophile soit au contraire très demandeuse de participer aux actes délictueux ou criminels de son compagnon.
J'ai récemment eu le cas d'une très jeune femme, d'une rare beauté et d'une intelligence au dessus de la moyenne, dont la vie sexuelle est d'une perversité redoutable. Comme elle me l'avoue, parce que nous nous connaissons bien, les hommes gentils l'ennuient tout simplement. Elle n'est bien qu'avec des "sales types". Compte-tenu de son intelligence et de son milieu social, elle n'est pas du genre à sortir avec des dealers de cité, ceci sans doute parce qu'elle n'en connait pas. Alors, elle se rabat sur ce que le milieu qu'elle fréquente lui offre de pire.
L'homme qui a le plus compté pour elle semble être un garçon de son âge qui se déclare bissexuel et passionné par
Les liaisons dangereuses. Son grand truc est de séduire des filles ou des garçons, de les faire tomber amoureux, de les humilier, avant de les jeter. Elle m'avouait qu'à sa demande, elle avait joué ce genre de jeux, interprétant différents personnages qu'elle joue à la perfection, de la nunuche à la la pétasse en passant par la fille simplement sympa ou encore la bombe sexuelle pour lui amener ses proies, ayant même été jusqu'à séduire d'autres femmes alors qu'elle n'a jamais eu de pulsions homosexuelles. Elle s'imagine simplement que c'est son Valmont.
Tandis que je lui demande jusqu'où elle aurait pu aller pour lui, elle me répond qu'elle aurait été capable de faire du mal à des gens qu'elle aime, parents ou amis, sur sa simple demande. Tandis qu'elle me fait ses confidences, elle est encore une superbe jeune femme maitrisant parfaitement le rôle qu'elle tient face à moi.
Puis, plus nous approfondissons nos entretiens thérapeutiques, plus ses motivations apparaissent au grand jour. Comme je lui explique que son copain est un sociopathe d'une rare perversité, elle n'en disconvient pas. Ce qui lui plait chez lui, alors qu'elle n'ignore pas ses penchants pathologiques, c'est avant tout qu'il l'accepte telle qu'elle est avec ses troubles et ses contradictions. En tant que grande hystérique suscitant souvent le rejet du fait de ses comportements outrés, elle a simplement trouvé qui l'instrumentalise et utilise les traits pathologiques de sa personnalité tandis que les autres hommes se lassent de ses comportements. D'ailleurs, en dépit de sa très grande beauté, cette jeune femme est désespérément seule.
Puis, analysant ses motivations plus en avant, elle me parle aussi de ses complexes d'ancienne fille pas très jolie. Oui, l'adolescence peut faire des ravages et telle jeune femme splendide que vous croisez dans la rue peut avoir été une adolescente boulotte et timide en grande souffrance. C'est manifestement son cas.
Elle m'explique alors que dans la prestigieuse entreprise où ils travaillent, elle adore sentir qu'elle et son compagnon sociopathe dominent largement les autres. Elle imagine qu'ils sont comme un couple de prédateurs lâchés au milieu de proies dont ils usent et abusent comme bon leur semble. Elle sourit tandis qu'elle m'explique combien les gens sont bêtes. Elle me dit ainsi que comme son compagnon et elle sont très beaux, les gens leurs font confiance et se laissent manipuler sans efforts.
Ce qui lui plait aussi, c'est de ressentir la perversité de son compagnon. Elle habituellement hautaine et méprisante, se mue pour lui en une copie un peu perverse de la bonne épouse, n'hésitant pas à cuisiner ou à faire la lessive pour lui mais surtout à encaisser toutes les humiliations et autre dépravations mais aussi le fait d'être instrumentalisée. Elle m'explique qu'elle a l'impression de vivre avec un prédateur dangereux, une sorte de fauve qu'elle serait seule capable de dompter. Puis, par la suite, elle me dit qu'elle trouve un vrai plaisir de lui plaire à lui alors qu'il est potentiellement si dangereux.
Curieusement, tandis qu'elle est face à moi, je ressens toujours un kaléidoscope de sensations contradictoires. Tantôt j'ai face à moi une hystérique dangereuse, une hybristophile qui ne reculerait devant rien pour assouvir ses fantasmes de toute puissance, puis j'aperçois ensuite une pauvre fille qui aussitôt débarrassée de ses oripeaux de gloire n'est qu'une misérable victime de ses complexes d'infériorité.
Voilà tout à fait le genre de cas pour lequel je ne puis me prononcer. Je mets en œuvre mon obligation de moyens, mais je ne suis pas sur de pouvoir faire quelque chose pour elle. Parfois j'ai bon espoir, imaginant qu'une prise de conscience a eu lieu. D'autres fois, j'ai la nette certitude que son destin est fixé et qu'une fois qu'elle aura quitté mon cabinet, j'entendrai parler d'elle dans la presse ou du moins que sa vie sera misérable et sans joie.
Dans tous les cas, je ne sais rien d'elle. Est-elle sincère ou non ? Me mène-t-elle en bateau ? Je n'en sais strictement rien. Lorsqu'elle m'apparait belle et dangereuse, je distingue en elle cette grande souffrance. En revanche, quand elle se présente calme, comme la presque gamine qu'elle est, je ne peux m'empêcher de savoir qu'il suffit de peu de choses pour que la prédatrice se réveille.
Peut-être qu'entre elle et son compagnon, la différence ne réside que dans certains taux d'hormones spécifiques qui font que le passage à l'acte est plus souvent spectaculaire pour un homme du fait de sa violence, tandis qu'une femme agira de manière plus psychologique et nuancée ?
Dans tous les cas, parmi les centaines de personnes que j'ai reçues, voilà bien un "cas" qui ne cesse de me faire réfléchir.