L'adversaire !
Le comportement de son mari, ne cessait d'inquiéter ma patiente. Elle me demanda plusieurs fois si je savais de quoi il souffrait. Je lui répondais que sans l'avoir vu, c'était difficile à dire, mais qu'à mon sens, il était soit dépressif et désemparé soit odieusement calculateur.
Au fil des séances, j'engrangeai d'autres renseignements sur ce type et j'acquis la certitude absolue qu'il était manipulateur et potentiellement dangereux. Dans mon for intérieur, ce type me rappelait Jean-Claude Romand, ce faux médecin qui avait fini par assassiner toute sa famille pour ne pas être démasqué.
Lassé de lui, ma patiente finit par demander le divorce pour faute. Compte tenu des preuves dont elle disposait, nul doute qu'elle obtiendrait une décision favorable. Ceci signifiait qu'il devrait payer très cher. Confronté à la démarche de son épouse, le mari réapparut. Sur les conseils de son épouse, qui imaginait que quelque chose pouvait encore être sauvé, il me téléphona pour prendre un rendez-vous. Estimant qu'il devrait consulter un confrère, je n'avais à l'époque que bavardé avec lui au téléphone, ne trouvant pas utile de le recevoir. Je me souviens de ce court entretien
Nulle trace de dépression ni d'anxiété, non, rien qu'un type atrocement sur de lui tentant de me prendre de haut, me citant Lacan dans toutes les phrases pour bien me faire comprendre qu'on jouait d'égal à égal, et que je ne pourrais jamais le prendre au dépourvu. Hélas pour lui, depuis Lacan, la clinique a évolué. L'entretien tourna court. Il ne me parla que pour me tester, savoir qui son épouse avait consulté et jauger quel danger je représentais. Nous raccrochâmes au bout d'une demie heure. J'appris par la suite qu'il était reparti à l'étranger et ne donna plus beaucoup de signes de vie replongeant son épouse dans l'angoisse.
Mais son épouse maintint toutefois la procédure de divorce qui suivit son cours. Tant et si bien, que peu de temps avant le rendez-vous chez le juge, le mari réapparut de nouveau. Cette-fois ci sentant que cela chauffait pour lui, et avec l'accord de son épouse, il me téléphona, me demandant d'abord une consultation téléphonique parce qu'il avait besoin de vider son sac. La séance fut un morceau d'anthologie, à croire que le type avait lu tous les symptômes de la dépression puisqu'il tenta de jouer le rôle du pauvre type paumé et déprimé. Tout cela sonna particulièrement faux et, après l'avoir écouté, je lui conseillai de consulter un confrère.
Il décida toutefois de venir me voir et me demanda de bloquer deux heures. J'acceptai juste pour une fois. Lorsque je le vis face à moi, il rejoua le même jeu du type désemparé, sans être très crédible. Effectivement, prenant confiance et s'enhardissant, il abandonna finalement son rôle de petite victime pour endosser celui plus naturel de manipulateur sans affects.
Je lui fis remarquer que son cas était étrange. En effet, avec ce que je connaissais de sa vie, il aurait du être soit très déprimé, soit pour le moins, extrêmement anxieux. Or, j'avais face à moi un type sur de lui présentant une personnalité exempte de toute souffrance psychologique. Il ne me parla pas tant de ses problèmes affectifs mais des affaires qui le préoccupaient. Confronté au choix de quitter soit son épouse soit la maitresse qu'il entretenait à l'étranger, il présenta sereinement les options sous la forme d'un bilan coût/avantage.
Bien que notre discussion semble sereine, ce type me fit froid dans le dos. Il avait un profil de tueur en série présentant des traits sociopathiques accusés. Il était froid, méthodique, calculateur tout en possédant suffisamment de charisme et de dons d'acteurs pour donner le change en se mettant en scène sous les traits de l'homme accablé par le destin
Je pense que si je n'avais pas laissé tourner mon radar, il aurait pu m'abuser facilement. La seule chose qui me gênait c'est l'opposition radicale entre les sujets difficiles dont il m'entretenait, et l'aisance relationnelle dénuée d'affects qu'il utilisait pour le faire. En surface je l'écoutais tandis qu'en tâche de fond, notant toutes mes impressions dictées par sa gestuelle. Lorsque la bouche de ce type souriant, ses yeux restaient froids et vous épiaient. Il émanait de lui une curieuse sensation de malveillance.
Un quart d'heure avant la fin, je conclus l'entretien en lui disant que son problème concernait plus un avocat qu'un psy dans la mesure où ce qui l'inquiétait était de savoir à quelle sauce il serait mangé s'il divorce. Dans les faits, s'il quittait son épouse, elle lui prendrait sans doute leur pavillon. S'il quittait sa maîtresse, il perdait un appui important lui permettant de faire des affaires dans le pays où il s'était installé. Tout n'était donc qu'opportunités à soupeser.
Je lui expliquais donc que je ne pouvais rien pour lui. Je restais intimement persuadé qu'en venant me consulter, il tentait de donner à son épouse des gages de bonne volonté afin de l'inciter à suspendre la procédure de divorce, ce qui lui permettrait de gagner du temps.
Comme ce jour là, c'était mon dernier patient, je redescendis avec lui du cabinet et nous fîmes même un bout de chemin ensemble dans la rue. Il me demanda ce que j'avais pensé de lui. Froidement, je lui répondis que c'était un "beau cas" mais pas unique, qu'il se rassure. Comme nous allions nous serrer la main, il me regarda et me dit de manière un peu incongrue que j'étais moi aussi un "beau cas". Je lui répondis alors calmement : "Ne tentez pas de rentrer dans ma tête, vous n'en avez pas les moyens. Bonsoir monsieur". Et je le plantai là.
Deux jours après, n'ayant toujours pas renoncé, il me rappela et m'expliqua, la voix chevrotante qu'il lui avait suffit de passer quelques jours avec son épouse pour comprendre qu'il l'aimait. Il me demanda si je faisais des thérapies de couple. Ne souhaitant pas le recevoir, je lui donnai les coordonnées d'un confrère qui ferait cela très bien. Manque de chance pour lui, ma patiente ne céda pas et demanda le divorce qu'elle obtint.
On a en effet tort d'imaginer que seuls les forts sont dangereux. Les faibles compensent souvent leur absence de brutalité par une ruse et un machiavélisme à toute épreuve. Bien que le DSM n'en parle pas, on a coutume de les appeler des pervers narcissiques.
Une consoeur Isabelle Nazaré-Aga, dans un livre intitulé "Les manipulateurs sont parmi nous" décrit trente critères majeurs pour déceler les grands manipulateurs. Voici les pricnipaux :
- Il culpabilise les autres au nom du lien familial, de l'amitié, de l'amour, de la conscience professionnelle, etc. Autant de notions qu’il ne respecte pas lui-même… il sera le premier à tromper sa femme mais à exiger sa fidélité, etc.
- Il reporte sa responsabilité sur les autres ou se démet de ses propres responsabilités. C’est systématique : il n’est jamais responsable de rien ! C’est toujours de la faute des autres.
- Il répond très souvent de façon floue.
- Il change ses opinions, ses comportements, ses sentiments selon les personnes ou les situations. - Il fait croire aux autres qu'ils doivent être parfaits, qu'ils ne doivent jamais changer d'avis, qu'ils doivent tout savoir et répondre immédiatement aux demandes et aux questions.
- Il met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l'air, dévalorise et juge.
- Il sème la zizanie et crée la suspicion autour de lui, chez ses proches ou avec ses collègues de travail… peut parfaitement tenir un discours donné avec Mme X et dire exactement le contraire, 3 minutes plus tard avec Mme Y.
- Il sait se placer en victime pour qu'on le plaigne (maladie exagérée, entourage « difficile », surcharge de travail…) à l’entendre, il est le seul à savoir !
- Il ignore les demandes (même s'il dit s'en occuper).
- Il change carrément de sujet au cours d'une conversation.
- Il mise sur l'ignorance des autres et fait croire à sa supériorité.
- Il ne supporte pas la critique et nie des évidences.
- Il ment.
- Il utilise très souvent le dernier moment pour demander, ordonner ou faire agir autrui.
- Il utilise des flatteries pour nous plaire, est capable de se plier en quatre pour mettre en confiance celui ou celle qui deviendra sa victime.
- Il est séducteur ce qui ne veut pas dire qu'il soit séduisant,.
- Il produit un état de malaise ou un sentiment de non-liberté.
- Il est parfaitement efficace pour atteindre ses propres buts mais aux dépens d'autrui.
- Il est constamment l'objet de discussions entre gens qui le connaissent, même s'il n'est pas là. Si vous entendez parler d’un personnage particulier avant même d’avoir eu le temps de poser vos affaires : méfiance …
Ils ne sont pas faciles à démasquer. Il faut pour cela, se fier à ses intuitions (impression de malaise, de gêne, etc.) et traquer toutes les incohérences de discours et surtout les oppositions entre la forme et le fond. Si une infime partie de ces pervers narcissique sera capable de tuer comme le fit Jean-claude Romand, en revanche tous sont capables de plonger quelqu'un dans les affres de la dépression après lui avoir avoir ruiné l'estime de soi.